Chapitre 10 - 1434

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— Baudry, pars pas ! me crie Mila quand je démarre ma moto.

Sans me soucier d'elle, ni des autres qui me regardent m'enfuir, je fais un grand dérapage sur le trottoir, envoyant valser des gravillons partout autour de moi. Margaux me rend fou, je la déteste. Cette réflexion tourne en boucle à l'intérieur de ma tête tandis que mon coeur tape tellement fort dans ma poitrine que je suis persuadé qu'il est sur le point d'exploser. Je la hais. À chaque pulsation, je le répète encore et encore. Je la hais. Tout va voler en éclats autour de moi. Je la hais. Le compte à rebours est lancé. Je la hais.

La main droite crispée sur l'accélérateur, je fais gronder le moteur. L'aiguille du compteur s'affole et monte sur le cadran. Je grille le premier stop au coin de la rue sans m'en rendre compte. Je trace à toute allure. Les rues de la ville défilent sous mes yeux. Je n'ai qu'un souhait à ce moment précis : filer le plus loin possible.

Je passe les vitesses les unes après les autres jusqu'à ce que l'aiguille se bloque sur 80 kilomètres/heure. Le froid s'engouffre dans mon blouson que je n'ai pas pris le temps de fermer. Sans mes gants, mes mains gèlent. Je m'en moque. Je veux uniquement disparaître. Disparaître loin d'elle et de son venin. Je ne veux plus ralentir, je me sens libre, seul mais libre. Je file droit devant moi. Aucune voiture ne vient perturber ma conduite, à cette heure-ci, les boulevards sont déserts. Le vent de la course vide progressivement mon esprit de cette rage. Les maisons et les lumières qui défilent dans la visière de mon casque ralentissent leur cadence. La vitesse calme l'incendie qui me consume intérieurement, ma colère s'étiole et finit par disparaître quand j'arrive au coin de ma rue. Je reprends mon sang-froid. À bout de souffle et des larmes plein les yeux, je ralentis et m'arrête.

Sans faire de bruit, je range ma moto dans le garage et file dans ma chambre pressé de découvrir mon butin : le sac de Margaux. En boule sur le lit, mon imbécile de chat semble surpris de me voir rentrer si tôt. Comme s'il savait que je devais passer la nuit chez Alban et qu'il avait délibérément choisi de squatter ma chambre pendant mon absence.

Je retire mon casque, mon blouson et mon sac à dos, puis je saute sur mon lit. En me voyant tomber à côté de lui, Senseï pousse un miaulement aigu et tente de fuir. Dépourvu de ses ridicules moustaches après son passage de la veille dans mon salon de coiffure improvisé, cet abruti de félin se cogne dans ma commode et les murs, pour terminer sa course contre le pied de mon lit. Cette sale bête est incapable de se diriger sans ses petites moustaches.

— Dégage de là, sale bestiole ou je t'éclate !

Je jette une de mes chaussures dans sa direction et il finit par trouver le chemin du couloir. Je retire ma deuxième chaussure et d'un coup de pied, je ferme la porte.

Mes mains tremblent encore. C'en est définitivement terminé. Margaux a signé son arrêt de mort. Machinalement, je cherche mes ciseaux dans le tiroir de mon bureau. Les faire tourner autour de mes doigts me fait du bien. Je respire profondément en m'étirant lorsqu'un portable vibre. Je sors mon téléphone de ma poche, mais il n'indique aucun message. Il doit s'agir de celui de Margaux. À tous les coups, il est dans son foutu sac à main.

Depuis mon lit, j'arrive à attraper mon sac. Je tire sur la fermeture éclair pour en sortir le sac en cuir noir avec la pointe de mes ciseaux. Mon premier réflexe est de le porter à mon nez pour sentir le parfum de Margaux qui embaume toutes ses affaires.

Avec le sac au bout de mes lames, je me sens fort désormais. Je lui ai pris son bien le plus précieux, celui qui ne la quitte jamais. Ma vengeance est impitoyable et je suis fier de moi. Je ris en imaginant son désarroi.

Le sac est lourd et je me demande bien ce qu'il peut contenir. Pressé de le découvrir, je me mets à genoux sur mon lit. Je dégrafe la pression de devant et je renverse le tout sur ma couette bleu marine.

Afin de profiter pleinement de chaque détail, j'allume même ma lampe de chevet.

Au milieu du fourbi, l'iPhone à la coque rose vibre à nouveau. C'est un appel de Mila. À coup sûr, elle aide son amie à chercher son sac. Je suis tenté de répondre. J'ai envie de dire à Margaux que c'est moi qui détiens tous ses secrets, étalés sous mes yeux. J'observe le portable s'allumer dans mes mains. Je jubile intérieurement devant la photo de Margaux en fond d'écran. La savoir paniquée et énervée d'avoir perdu tous ses trésors me console. Ça me fait du bien de lui faire mal. De reprendre le dessus. De la blesser. Sa souffrance m'excite, je m'en délecte.

Mon regard est attiré par une pochette en tissu rose. Je pose le téléphone, écran face à moi, pour ne pas louper les messages qui s'affichent.

J'ouvre la petite pochette en velours, toute douce sous mes doigts. J'ai toujours été curieux de nature, sans pour autant n'avoir jamais été intrigué par les objets personnels. Et malgré tout, découvrir l'intimité de Margaux s'avère être délicieusement jouissif. La trousse rose contient des tampons et deux préservatifs. Margaux est prévenante. Flavien n'avait pas menti en affirmant qu'il avait couché avec elle dès le premier soir. J'ai toujours pensé qu'il se vantait. Margaux baisse dans mon estime, je ne l'imaginais pas s'offrir si facilement.

L'iPhone vibre une nouvelle fois. Maintenant, c'est un message :

De maman à Margaux : Ma chérie, on est bien arrivés à Paris. N'oublie pas de laisser sortir Plume demain matin quand tu rentres. Amuse-toi bien. Bisous.

Plume ? Il doit s'agir de son chien. J'ai cru comprendre qu'elle avait un sac à puces miniature. Margaux est donc toute seule en ce moment. Décidément Margaux, tu n'as pas de chance, je pense en ouvrant le portefeuille en cuir qui contient : sa carte de bus, sa carte bancaire et sa carte d'identité. Elle est belle sur sa photo. Elle doit dater de quelques années. Peut-être de la Cinquième. Elle a déjà ses traits de petite fille gâtée, de sale peste arrogante. Je jette les cartes sur le tas d'affaires que j'ai déjà triées.

Le porte-monnaie contient quelques pièces que je fais tinter. Son argent ne m'intéresse pas. Je préfère sa trousse à maquillage qui est bien pleine. Je la soupèse avant de l'ouvrir. Je débouche son tube de rouge à lèvres pour le porter d'abord à mon nez afin d'en sentir l'odeur, puis à mes lèvres. Savoir que sa bouche a touché le bâton coloré me donne envie de l'embrasser. Sans appuyer fortement pour ne pas m'en mettre partout, je me caresse les lèvres avec le bout de stick. La bouche de Margaux doit être si douce à toucher.

Après avoir refermé le tube, je finis de vider la petite trousse où je trouve encore sa crème pour les mains, un élastique et une brosse, un gel anti-bactérien et son déodorant. J'en pulvérise partout dans ma chambre. Margaux sent tellement bon. Je vais pouvoir dormir avec son odeur.Il ne reste plus grand chose d'intéressant dans le petit tas que je n'ai pas encore étudié, juste quelques chewing-gums, son chargeur, ses écouteurs et ses lunettes de soleil. Le portable vibre encore. Il annonce un nouvel appel de Mila. J'attends que les vibrations s'arrêtent avant de terminer ma fouille par la plus belle trouvaille de la soirée : son trousseau. La clef du portail qu'elle a refusé de m'ouvrir doit y être accrochée. Je les détaille toutes les unes après les autres, à la recherche de celle qui me permettra d'entrer. Un porte-clefs attire mon attention, un chausson de ballerine usé. En voulant le retirer du trousseau, il me reste entre les doigts. Il s'agit en fait d'une clé USB.

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