Chapitre 4 - 1483

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— Pour la dernière fois, je vais reposer la question : qui a inscrit cette grossièreté sur le casier de Margaux ? interroge le CPE d'un ton ferme.

Dans son costume noir, il déambule au milieu des étroites allées de la classe, à la recherche d'une once de culpabilité sur le visage des élèves. Depuis plus d'une demi-heure, le silence s'est installé. Pas un lycéen n'ose faire le moindre geste face à cette figure d'autorité qui mène son enquête, tel un inspecteur déterminé dans une mauvaise série. Je n'arrive plus à retenir mes doigts qui jouent nerveusement avec mes ciseaux sous mon bureau car je suis terrifié à la simple idée que quelqu'un ait pu me voir ou pire, me dénoncer. Midi a sonné et mon ventre gargouille me rappelant cruellement que l'heure tourne et que si cela continue, nous allons louper la cantine. Le cri désespéré de ma faim fait rire Flavien. Il se tourne vers moi en affichant un large sourire. Malheureusement pour lui, il est aussitôt repéré par notre principal.

— Tiens, comme par hasard, ce que je dis vous fait sourire... lance le CPE à l'attention du cancre.

Le fait que les soupçons se portent sur lui ne surprend personne et surtout, m'arrange ! Premièrement, Flavien est sorti avec Margaux le mois dernier et celle-ci l'a plaqué en beauté. Tout le lycée en a entendu parler durant des jours, l'adolescent n'ayant cessé de pleurnicher sur son amour perdu. Un amour qui s'est par la suite transformé en haine samedi soir quand Margaux a embrassé un gars de Terminale. Forcément, cette dernière le fusille de regards accusateurs depuis qu'elle a découvert écrit en gros, au marqueur noir, sur la porte de son casier : PUTE.

Deuxièmement, sa culpabilité garantit mon innocence. Ce comportement est totalement lâche de ma part, mais je m'y suis préparé au moment même où j'ai été assailli par la pulsion de pulvériser Margaux. "Va te faire voir, Baudry!" m'a-t-elle lancé vendredi et je me suis juré que ce serait son ultime affront. Non seulement je vais lui passer l'envie de me rabaisser mais avec le plan que je prépare, plus jamais elle ne s'attaquera à qui que ce soit...

Flavien se défend aussitôt du délit dont il est accusé. Je suis le seul qui pourrait le sortir de cette situation mais je n'en ferais rien. Après tout, à part rire, qu'a-t-il fait quand Margaux se moquait délibérément de moi ?

— Non mais Monsieur, faut pas accuser les gens sans preuves, c'est contraire à la loi ! déclare Flavien dépité.

En affichant un air innocent, Margaux le toise et se tourne vers lui pour répondre :

— Parce que tu y connais quelque chose en lois ? Non, mais sérieux ! Regarde-toi ! T'es tellement pathétique avec ta jalousie !

— Dans tes rêves... tente de rétorquer Flavien qui perd patience.

— De toute façon, tu ne me méritais pas ! Tu croyais quand même pas que ça durererait entre nous ? Où t'as cru que j'allais m'afficher avec le fils du jardinier de mes parents ? Je suis sortie avec toi pour passer le temps. Cherche pas plus loin, t'es vraiment trop con... conclut Margaux juste assez fort pour que le CPE n'entende pas la fin de sa phrase.

Elle est tellement insultante parfois. Ayant souvent fait les frais de ses remarques acerbes, je compatis pour Flavien qui pâlit à vue d'oeil. Personne ne prend sa défense de peur de s'attirer les foudres de la vipère qui crache son venin. Cette fois-ci, Margaux va trop loin en s'attaquant à la situation professionnelle du père de son ex. Autour de moi, certains soupirent pour exprimer leur mécontentement alors que d'autres échangent des regards déconcertés.

— Non mais pourquoi tu parles de mon père, sérieux ? tente une dernière fois de riposter Flavien.

— Parce que comme lui, tu n'as aucun avenir... Famille de cassos !

Fière et satisfaite d'avoir eu le dernier mot, elle se recoiffe, quand le CPE se décide enfin à couper court à la conversation. Ayant déjà entendu la version de l'adolescente durant la récréation, il ne veut pas en savoir davantage. Après avoir vérifié l'heure sur sa montre et à mon grand soulagement, il ordonne d'un ton sec :

— Tout le monde dehors ! Flavien et Margaux, dans mon bureau !

Au réfectoire, son prénom est dans toutes les bouches. Chacun y va de son petit commentaire, assassinant l'adolescente d'avoir accusé à tort Flavien.

— J'étais avec elle en début de récré quand elle a posé ses livres ! Y avait rien ! affirme Mila l'amie inséparable de Margaux. Je comprends pas pourquoi elle s'obstine à accuser Flavien !

— De toute façon on est tous témoins, il a un alibi en béton. Il a passé la récré dans la cour à faire sa campagne pour être délégué du lycée, confirme Damien en donnant un coup sur la table.

En s'asseyant parmi nous en fin de repas, Flavien est furieux. Il vient d'être forcé de présenter des excuses à Margaux et va devoir réparer une faute qu'il n'a pas commise. Contrairement à ce que je pensais, il n'en veut pas au vrai coupable, mais véritablement à sa détractrice, ce qui fait mon affaire.

— Elle va me le payer, cette grosse bourge ! Il est radicalement déterminé à ruiner l'existence de Margaux au sein du lycée et vu que je suis résolu à me venger de tout ce que j'ai vécu, je m'engage à l'aider. Pour mon plus grand plaisir, Margaux la populaire est devenue la tête à abattre.

Lorsque cette dernière fait son apparition dans le self pour attraper un plateau, c'est avec malveillance que tous les yeux la dévisagent. La vague de bruit qui jusqu'alors atteignait son pic, baisse d'un coup pour laisser place à un bourdonnement de murmures.

— Quand on parle du loup... annonce Damien avec assurance, avant de serrer les mâchoires.

Son visage se tord et son regard s'assombrit en détaillant la silhouette parfaite choisir son menu.

***

Peu à peu, l'attitude de Margaux change. Elle qui déambulait fièrement, la poitrine en avant et les fesses en arrière, marche dorénavant en traînant des pieds, les épaules voûtées, les yeux baissés. Ses amis lui prêtent beaucoup moins d'attention. Bien que Mila, sa copine ne se prive pas de la critiquer ouvertement, elle reste proche d'elle, plus ou moins forcée par l'amitié que leurs parents ont en commun. Installés dans un coin de la classe entre midi et deux, Margaux et moi sommes côte à côte. Avec nonchalance, elle est venue s'asseoir à mon bureau. Par la fenêtre restée ouverte, les cris des lycéens parviennent jusqu'à nous. Elle est penchée sur le sujet de notre exposé : Le Nazisme et ses conséquences. Elle a les traits tirés et des cernes sous les yeux mais elle est toujours aussi séduisante qu'avant. La sentir vulnérable et fragile la rend même encore plus attirante. Elle mordille sa lèvre inférieure, le regard vide. Je me demande si elle réfléchit réellement à notre exposé ou bien si elle pense à autre chose.

— J'ai une idée de sujet, annoncé-je en faisant tourner mes ciseaux sur mon index.

Margaux lève un sourcil et me dévisage, comme si elle découvrait subitement ma présence. Elle émerge de ses pensées et semble enfin intéressée par ce que je vais lui dire.

— Les tortures Nazies ! lancé-je fièrement en faisant tournoyer mes ciseaux plus rapidement autour de mon doigt.

Je souris déjà à l'idée de travailler sur ce sujet. J'y pense même depuis plusieurs jours maintenant et il me passionne, hors de question qu'elle s'y oppose ! Ma partenaire me toise horrifiée. Elle écarquille les yeux et imagine probablement déjà le pire en fixant mes ciseaux. En même temps, l'Allemagne Nazie n'est pas un sujet glamour...

— Baudry, t'as pas un truc moins gore ? demande-t-elle en grimaçant. Je sais pas, on pourrait faire quelque chose sur la race aryenne. Y avait un concept intéressant mine de rien...

Sans la quitter des yeux, je me pince la lèvre inférieure avec la pointe des lames de mes ciseaux et lui rétorque calmement :

— Écoute Margaux, je pense que tu n'as pas tout à fait compris. Tu n'es pas en position d'imposer quoi que ce soit...

Ses pupilles restent figées sur ma lèvre emprisonnée. Son visage se plisse sous une grimace d'horreur et elle m'interroge d'une voix à peine audible :

— Ah oui, et pour quelle raison, s'il te plaît ?

— Parce que t'es une pute ! lui dis-je d'un air mauvais en appuyant impulsivement sur les lames qui me coupent la lèvre.

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