Chapitre 3 - 1549

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Ce soir, il est tard quand je rentre du lycée. J'ai encore traîné au skate-parc pour repousser au maximum ce moment. Comme d'habitude, la maison est silencieuse et plongée dans le noir ; je préfère ça. Un léger grattement sur le carreau de la fenêtre me fait sursauter. Il ne s'agit que du chat qui cherche à attirer mon attention. Il a faim lui aussi, mais il attendra. Ma mère a laissé de quoi dîner au frigo : deux barquettes de poulet ; une avec sauce pour mon frère et une sans pour moi. Je lui ai souvent répété de ne plus me préparer de repas. Je mange ce qu'elle fait bien que je n'aime pas toujours ça. Elle prend le temps de faire la cuisine, autant se forcer. Elle continue de me traiter en petit dernier et j'avoue que ces menues attentions me touchent toujours. J'aime beaucoup ma mère. C'est une personne très affectueuse qui a consacré énormément de son temps à nous élever. Mais depuis que mes sœurs aînées ont quitté le domicile, elle s'est trouvé un certain nombre d'activités afin d'occuper ses soirées. Ça ne me dérange pas, dans ma famille chacun a son rythme et son indépendance. Il reste mon grand frère de dix-huit ans, bien qu'étant à la fac, il vit encore au domicile. Lorsque la porte d'entrée claque, je suppose que c'est lui qui revient. S'il n'est pas trop fatigué, peut-être pourrons-nous faire une partie de jeux vidéos...

Je verse mon poulet dans une assiette que j'enfourne au micro-ondes programmé pour deux minutes. Aussitôt, une odeur d'épices se répand au sein de la cuisine. Puis, subitement tout s'éteint et la maison est plongée dans le noir.Le micro-ondes s'est arrêté et le silence devient soudainement pesant.

— Fred ? j'appelle mon frère. Le compteur a disjoncté !

Je ne vois que cette explication. Ça ne m'est jamais arrivé auparavant mais le four est plutôt vieux donc ça doit être ça. Je ne reçois aucune réponse de mon aîné. Je cherche mon portable au fond de ma poche. Je ne suis pas froussard, mais le fait est que je ne suis pas forcément très à l'aise dans l'obscurité.

— Fred ? C'est bon, c'est pas drôle !

J'essaie de me rassurer tant bien que mal. Avec la torche de mon portable j'éclaire le couloir où se situe le compteur dissimulé à l'intérieur d'un placard mural. Je fais quelques pas à tâtons dans ma maison qui me paraît plus spacieuse à cause de l'obscurité. En avançant, je m'entrave sur un pied de la grande table familiale. Je jure intérieurement quand je sens une présence derrière moi. Je déglutis en tentant de rester calme mais je reconnais le souffle bruyant et bestial qui se rapproche. C'est impossible, ça ne peut pas recommencer. Je ne le supporterai plus alors je me mets en position défensive, prêt à frapper.

— Qui est là ? Maman, maman, c'est toi ?

La crainte m'envahit et bizarrement, c'est ma voix aigue d'enfant qui crie. Je suis surpris par le son que j'émets alors je me racle la gorge et toussote pour tenter d'éclaircir mes cordes vocales, en vain. Seul un hurlement perçant et tétanisé par la peur s'échappe de ma bouche lorsque j'essaie à nouveau d'appeler ma mère.

— Maman, maman ?

Je sais que ce n'est pas elle, mais prononcer son nom me donne l'illusion d'être protégé. Une boule au creux de mon ventre commence à m'incommoder. C'est le poids de la peur que je distingue. Toujours aussi confuse et étouffante, elle se diffuse lentement. Une ombre se dévoile, tournoyant autour de moi. Ses gestes sont saccadés et maîtrisés. Il pose une main sur mon épaule, puis saisit mon poignet pour le coincer dans mon dos. Il est fort, beaucoup plus fort que moi. Je sens son odeur de tabac et de dentifrice à la menthe, comme s'il venait de se laver les dents. Je lâche mon portable qui s'écrase au sol. À partir du moment où il me plaque le visage contre le mur, je sais ce qu'il va me faire mais je peux me défendre. Je vais résister autant que possible.

— Arrête ! hurlé-je en essayant de me libérer de son emprise.

— Tourne-toi ! Me regarde pas ! Tourne-toi !

Je connais ce souffle sur moi. Cette haleine. Cette voix.

— Arrête ! Arrête ! NOOON !!!

Un grand bruit me fait sursauter puis la douleur. Mes côtes. Je suis par terre sur le sol froid. J'ai mal au thorax. Je n'arrive plus à respirer. J'ai le souffle coupé. Quelqu'un tambourine fortement contre une porte.

— Baudry, ouvre !

Je cherche du bout des doigts un interrupteur. À l'extérieur, la voix de ma mère chuchote :

— Baudry, ça va ?

J'allume enfin la lumière. J'ai fait un cauchemar. Un putain de cauchemar. Je me rends compte que je gis sur le carrelage de ma chambre. J'ai dû tomber de mon lit. La douleur est à nouveau présente dans mon corps et dans ma tête mais je parviens enfin à respirer. Encore essoufflé, je me lève avec difficultés pour déverrouiller ma porte.

Ma mère, dans sa chemise de nuit rose, s'avance lentement. L'inquiétude dans ses yeux me fait réagir. Je me tiens le torse et je m'assois sur mon lit en grimaçant.

— Qu'est-ce qu'il se passe, mon chéri ?

— Rien, je suis tombé du lit, t'inquiète pas !

— Ce n'est pas normal que tu fasses autant de cauchemars ! Et pourquoi tu t'enfermes à clefs, bon sang ?

Je m'allonge sur mon lit et elle s'installe à côté de moi. Sa présence m'aide à quitter ce mauvais rêve, à oublier l'effroi. Ma mère passe sa main dans mes cheveux puis me caresse la joue. Me voir dans cet état l'angoisse mais je n'ai pas les mots pour la rassurer, ni pour lui expliquer ce que je vis, ce que je mérite. Elle reste un long moment contre moi, à fixer dans la pénombre Bidule, qui flotte sans bouger, à la surface de son bocal.

J'aligne les nuits blanches et c'est de plus en plus difficile de faire face au lycée. J'exècre les lendemains d'insomnies, je suis toujours de mauvaise humeur et je n'arrive pas à me concentrer. Toujours endolori, je somnole pendant le cours d'Histoire. La prof est partie pour nous donner les sujets de l'exposé sur lequel elle souhaite que nous travaillions en binôme. Damien prend des notes avec application pendant que, mes ciseaux dans la main, je m'autorise une micro-sieste. N'écoutant que d'une oreille, je suis encore perturbé par mes cauchemars. Je n'arrive plus à différencier ce qui est réel de ce qui ne l'est pas, comme si j'avais la capacité d'occulter les faits douloureux du passé.

— Baudry et Margaux ! lance la prof en regardant dans ma direction.

Damien en profite pour me mettre un coup de coude et me dire :

— Putain, t'as trop de chance, mec !

— Hein ? demandé-je sans avoir compris ce qu'il se passe.

Je me redresse pour chercher Margaux du regard. Elle affiche un air dépité mais reste droite sur sa chaise. Lorsque la cloche sonne, elle se précipite vers le bureau de notre enseignante où celle-ci range ses affaires. Damien m'empêche d'entendre leur conversation. Mon ami me fait des vannes douteuses sur le duo que je vais former avec Margaux. Loin de sourire, je reste concentré sur le visage contrarié de la jeune fille.

— On fait ça où ? questionné-je gentiment Margaux en quittant la salle de cours.

Je ne suis pas vexé qu'elle ait demandé à changer de partenaire. Je ne suis pas un demeuré, j'imagine qu'après l'épisode de l'insulte dans le vestiaire, elle doit me prendre pour un psychopathe. J'avoue que je ne sais pas vraiment comment me comporter avec elle. Devrais-je tout bonnement m'excuser ?

En guise de réponse, elle hausse les épaules en évitant de croiser mon regard. Ses yeux bleus surveillent ses amies qui déambulent dans le couloir pour sortir du bâtiment. Elle enfile une veste noire signée d'une grande marque et commence à marcher. Je décide de ne pas la lâcher. On a un boulot à faire et qu'elle le veuille ou non, on va le faire ensemble !

— Ecoute, Margaux, je voudrais m'excuser pour l'autre jour ! J'étais pas dans mon assiette !

Elle accélère le pas pour tenter de rattraper ses copines. Pour ne pas me faire distancer, je me hâte d'enfiler mon sac et de passer mon casque de moto à mon avant-bras. Ce dernier m'encombre et ravive la douleur de mes hématomes et de mes côtés fêlées.

— Va te faire voir, Baudry ! se contente-t-elle de me lancer.

Ses mots me coupent net dans mon élan. Je la laisse filer avec ses amies car une fois de plus, aucune réponse ne me vient à l'esprit.

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