Chapitre 2 - 1388

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Une semaine s'est écoulée depuis l'accident. Je souffre encore beaucoup de mes blessures, surtout au niveau des côtes. Ce matin, sur le terrain de basket, j'essaie d'en faire le moins possible pour me ménager. Damien a bien compris dès sa première passe que je n'étais toujours pas en forme. Je suis plus spectateur que joueur dans cette partie. Ça m'embête vraiment car le sport est l'un de mes cours préférés. De plus, au basket nous ne sommes que cinq par équipe alors, quand l'un des joueurs est aussi inactif que moi, ça se repère de suite.

— Ça ne va pas, Monsieur Dubois ? me demande mon prof en passant à côté de notre terrain.

Je me suis agenouillé car je suis trop essoufflé. J'ai bêtement tenté un panier, mais entre la réception violente du ballon dans mes mains et le fait de lever les bras, j'ai perdu tous mes moyens. Mes côtes compriment toujours mes poumons et c'est très douloureux quand je prends de trop grandes bouffées d'air. Je valide tout de même que je vais bien en me commençant à me lever avec difficultés. J'adresse également au prof un sourire afin de le rassurer.

C'est ce moment précis que choisit Margaux, qui est dans mon équipe, pour m'envoyer le ballon. J'ai les deux mains au sol, j'essaie de me relever sans souffrir lorsque je me prends le ballon en pleine gueule. Je suis d'abord sonné et je retombe à terre, plié en deux par la douleur qui irradie en moi. Putain ! C'est un véritable supplice, non pas celle du ballon sur mon visage mais celle de mon thorax sur la terre ferme. Je me frotte les yeux pour ne pas pleurer à cause de la souffrance que je contiens depuis sept jours, serrant les dents afin de ne pas laisser échapper le moindre hurlement. Lorsque je retrouve mes esprits, c'est le visage de Margaux hilare que je découvre en premier. Quelle salope !

— Ben alors Baudry, tu fous quoi ? se moque Flavien entouré de tous les joueurs de mon équipe.

— Ouais, si tu ne veux pas jouer, dis-le direct ! Parce que là on est en train de perdre et c'est à cause de toi. Comme d'habitude, tu ne sers à rien. Tu es juste un loser ! me lance Margaux d'un air hautain avant de tourner les talons pour récupérer le ballon.

Dans son legging moulant, elle est diaboliquement parfaite. Je dégage mes cheveux bruns de mon visage pendant que Damien s'avance pour me tendre la main. Il me propose de m'aider à me relever, mais j'en suis incapable. J'ai mal partout et surtout, je suis obsédé par les paroles de Margaux qui résonnent dans ma tête. Pour qui se prend-elle, cette connasse ? Moi, je ne sers à rien et je suis un loser ? Vraiment ? Mais elle, à part être belle et se moquer de tout le monde, elle fait quoi ? Putain, j'en ai marre ! Margaux m'affronte du regard, un grand sourire aux lèvres. Elle chuchote quelque chose sur moi à l'oreille de sa copine. Je ne supporte plus son attitude. Elle me rend nerveux. J'ai envie de l'étrangler, de lui faire autant de mal qu'elle me blesse. À la fin du match, je suis toujours focalisé sur Margaux. Je n'arrive pas à me sortir cette fille de la tête. J'ai envie qu'elle endure toute ma souffrance, même si je sais qu'elle n'aura jamais aussi mal que moi. La douleur physique a pris toute la place dans mon esprit.

— Sale pute !

Les mots sortent tout seuls quand je tombe nez à nez avec Margaux qui revient de boire alors que moi, je traîne dans le couloir du vestiaire en ruminant. Je l'insulte et ça me soulage. SALE PUTE ! Je ne pouvais imaginer que les prononcer à voix haute me ferait tant de bien. L'insulter me libère. Je me sens plus léger, moins étriqué. J'ai moins mal au fond de moi. Elle a l'air surprise. Elle ouvre la bouche en grand mais aucun son n'en sort. Elle m'a habitué à des répliques cinglantes et je ne comprends pas pourquoi, elle a perdu sa répartie légendaire. Elle qui d'habitude fait preuve d'assurance, n'en mène pas large. Face à face, je suis prêt à lui sauter dessus. Mon coeur tambourine dans ma poitrine. Je ne la quitte pas des yeux car je sens que désormais je peux rivaliser avec elle. Non, je ne baisserai plus mon regard.  Je suis beaucoup plus grand qu'elle. Cette position me renforce dans ma conviction que je peux lui faire mal, très mal. Elle le présage car je lis la peur sur son visage. Je ne connais que trop bien cette sensation, tous ces symptômes me sont familiers. Mais j'ai pris le dessus sur Margaux. Avec deux petits mots, je l'ai séchée.

— Laisse-moi passer, Baudry ! me supplie Margaux effrayée.

La sentir faible et vulnérable me comble de joie et me procure un plaisir intense. Je suis en transe, je tremble, je suis quelqu'un d'autre. J'ai très chaud, je sue, probablement une conséquence de ma nervosité. Je viens de passer du statut d'opprimé à celui de persécuteur. Je n'ai jamais eu d'emprise sur qui que ce soit et soudainement, je découvre que Margaux se soumet sous le poids de mon regard. Les épaules rentrées, elle fixe ses pieds. Lorsque je mime de lui envoyer un coup de poing que j'arrête sur son menton, elle sursaute et protège son visage avec ses mains. Elle reste silencieuse et prostrée. Elle pourrait crier, mais totalement effrayée, elle n'en fait rien.

— Sale pute ! l'insulté-je à nouveau avant de lui tourner le dos.

Je me sens bien. J'ai même envie de rire en repensant à la tête de Margaux. Je l'ai calmée une bonne fois pour toute. À partir de maintenant, je me jure de ne plus jamais me laisser impressionner par cette fille. Je retire mon T-shirt, trempé par la transpiration. Devant l'unique miroir du vestiaire, je me passe de l'eau sur le visage et dans mes cheveux pour essayer de me rafraîchir les idées. Je découvre mon reflet qui a considérablement changé ces derniers temps. J'ai encore le regard mauvais. J'ai grandi et mon visage est désormais parfaitement centré dans la glace dans laquelle je me détaille. J'esquisse un sourire pour adoucir mes traits fins. Mes yeux, qui se parent habituellement d'une belle nuance de vert, semblent à cet instant aussi noirs que le fond de mon âme. Je découvre mon visage sous un nouvel angle. Même ma cicatrice à l'arcade ajoute un côté dangereux. Seule ombre au tableau, un fichu bouton d'acné, apparu ce matin à la commissure de mes lèvres, qui ne cesse de grossir. Je ne peux m'empêcher d'appuyer nerveusement dessus. À partir d'aujourd'hui, le plus important est que je sois aussi grand que mon père et mon frère. Même si je me suis épaissi, je n'ai pas encore leur force. Ce jour viendra.

— Putain, mec ! C'est quoi tous ces bleus ?

La voix inquiète de Damien résonne dans le vestiaire totalement vide. Il s'est changé et a remis son jean et son sweat. Il est prêt à retourner en cours.

J'ai tellement l'habitude d'être abîmé que je ne prête même plus attention à mes hématomes. Je remets rapidement mon T-shirt mouillé posé sur le lavabo voisin afin de me soustraire à l'examen attentif de Damien. Personne ne doit me voir ainsi, ça me rend vulnérable et fragile. Je n'aime pas parler de moi et ce n'est pas maintenant que je vais craquer.

— Bah, c'est ma luge en moto de la semaine dernière... lui rétorqué-je en me dirigeant vers le casier qui renferme mes affaires propres.

Mais Damien me considère dubitativement, me suit et insiste :

— Tu rigoles ? On dirait plutôt que tu t'es fracassé dans un escalier ! Sérieux Baudry, si tu avais des problèmes, tu me le dirais, non ?

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