Neuvième chapitre : Sam

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Très vite, ce ne sont pas deux petits-enfants que nous avons eus en garde durant les vacances, mais au minimum trois et même jusqu'à cinq. Depuis sa première année d'école, Mickaël avait comme amis Sam et William. La mère de Sam était tombée gravement malade, quand il avait à peine six ans. Il allait souvent chez Ingrid et Henry, quand elle était hospitalisée pour des soins, des opérations. Alors, tout naturellement, il est aussi venu en vacances chez nous. Quand je croisais mes amies, à Fort William, avant leur arrivée, je les prévenais en disant : "Ah, je vais avoir mes petits gars !" Elles savaient ce que cela signifiait…

Dire à quel moment Mickaël a commencé à coloniser la cuisine est difficile. Je crois qu'il a toujours été dans mes jambes. Du moins, quand il n'était pas à courir la montagne après les moutons avec son grand-père, ou à jouer dehors. Il amusait Finella à tenter, avec beaucoup de sérieux, de faire une pâte à tarte. Très vite, il a fallu que je lui explique comment je faisais les plats, comment les ingrédients cuisaient. Il voulait tout le temps m'aider. Il était très fier de pouvoir dire qu'il avait réussi à éplucher les légumes comme je lui avais expliqué, ou que la tarte aux pommes, cette fois, c'était lui qui l'avait faite. Moi, cela m'amusait, mais je ne pensais pas que cela l'aurait passionné au point de vouloir en faire son métier.

Et Sam était comme lui. Je pense que Sam ne voulait pas quitter son ami, quand Steven disait : "Les garçons, aux moutons !", hop, ils partaient avec lui. Mais quand Mickaël voulait rester avec moi, Sam faisait de même. Ils ont tout observé et, petit à petit, ils participaient aussi à la préparation des repas.

Malgré le développement des moyens de transport et d'échange, il était toujours très compliqué de recevoir des produits frais de France. L'Angleterre n'aimait pas beaucoup voir des produits "frais" entrer sur son territoire. Ca me fait doucement rigoler, aujourd'hui, quand j'entends parler du scandale de la vache folle… Si les Anglais avaient pris plus soin de leurs animaux, cette tragédie ne serait pas arrivée. Aussi, j'avais fini par fabriquer moi-même la crème dont j'avais besoin pour les plats, les desserts. Pour le beurre, j'arrivais à me débrouiller. J'en achetais du doux, forcément, que je retravaillais en y ajoutant des grains de sel. Il paraît, d'après mon petit-fils, que c'est le meilleur qu'il ait jamais mangé…

Quand Sam était là, c'était pareil. Ils s'entendent vraiment bien tous les deux, et je suis vraiment heureuse que leur amitié ait perduré, même quand Mickaël est parti étudier en France. Je pense que, pour Sam qui est fils unique, Mickaël est vraiment comme un frère. Si, parfois, Mickaël me faisait sortir de mes gonds, Sam, c'était pire ! En cuisine, il en mettait partout... mais lui aussi aimait m'aider. Comme il disait. Soi-disant... car il me fallait faire tout le ménage après leur passage ! Il y en avait vraiment partout... Des fois, cela "inquiétait" presque Steven, de voir les garçons à la cuisine et les filles dehors... Car Véra venait aussi souvent avec une petite copine, ou bien il s'agissait d'une ou deux cousines.

Il me disait :

- Ce n'est pas normal que des garçons passent du temps en cuisine !

Je lui répondais :

- Mais ils n'y passent pas tout leur temps ! Ils ont passé tout l'après-midi à courir avec toi après les moutons...

- Hum...

Ca l'a vraiment surpris quand Mickaël a commencé à parler de faire l'école hôtelière... Mais j'anticipe. Revenons à nos moutons. Ou plutôt, à ces deux garnements. Auxquels j'ajoute aussi William.

J'attendais toujours l'été avec impatience, de les avoir avec nous. Surtout depuis la mort de Finella. Nous n'étions plus que tous les deux, Steven et moi. La maison qui avait accueilli tant de monde, vu passer tant d'enfants, semblait si silencieuse... Je disais toujours oui quand Véra ou Mickaël demandaient s'ils pouvaient venir avec une telle ou un tel... J'aimais les enfants, et avoir la maison remplie, c'était la rendre vivante. A nouveau. Nous profitions aussi de les avoir avec nous pour leur faire découvrir les alentours. Les uns comme les autres aimaient ces escapades. Steven connaissait bien toute la région des Highlands, avant la guerre, il s'était rendu jusqu'à Inverness et aussi sur les îles. Il ne s'était pas rendu jusqu'aux Orcades, cependant, qui sont vraiment loin en mer. Moi non plus, je ne suis jamais allée sur les Orcades, même si, une fois, Mickaël a voulu m'y emmener. Je ne me sentais pas capable de faire un tel voyage. Chaque été, donc, nous prévoyions de les emmener à tel ou tel endroit. Nous y passions deux à trois jours, rarement plus, à cause des moutons, même si nous pouvions compter sur John. C'est ainsi que nous sommes allés sur Skye, Mull, Lewis et Harris, à Oban, à Inverness. Ils étaient ravis de ces petits voyages, ils appelaient cela leur "sortie de vacances". Nous trouvions toujours à dormir chez l'habitant. Le tourisme se développait, mais il y avait toujours de la place. Lors de notre séjour sur Lewis, nous avons vraiment sympathisé avec les gens qui nous ont accueillis. C'était un jeune couple qui avait hérité de la maison familiale et l'avait transformée en B&B. A chaque fois que Mickaël va sur Lewis, je sais qu'il s'arrête chez eux. Ils sont presque devenus comme des amis.

Quand Sam a perdu sa mère, ça a été un moment très difficile pour tout le monde. C'était un soir d'automne, et le Noël suivant, lui et son père sont venus à Fort William. Cela leur a fait du bien, même si, un moment, son père s'est isolé pour verser quelques larmes. Il aimait beaucoup sa femme... Il a reconstruit une autre relation, il est heureux aussi avec sa nouvelle épouse. Je trouve très courageux ce qu'il a fait. Sam a eu un peu de mal à accepter sa belle-mère, car il garde un souvenir très vivace de sa maman, mais, en grandissant, il a compris son père. Et pour lui, que son papa soit heureux, qu'il ait pu reconstruire sa vie, c'est important.

L'été qui a suivi le remariage de son père - Sam et Mickaël avaient alors 14 ans -, il est venu comme d'habitude. Il n'était pas bien, cela se sentait. Lui qui avait toujours été jovial, cachant ses faiblesses et ses peines sous un humour ravageur, avait tendance à bouder. Certes, c'était l'adolescence, des années pas faciles. Je découvrais ce "problème", ce "cap à passer", avec les petits. Véra aussi avait fait sa "crise d'adolescence", deux ans plus tôt. Une vraie rebelle... Elle disait que le monde était pourri, que les politiques ne s'occupaient pas des gens de peu. Elle était révoltée par beaucoup de choses. Et bien décidée à faire ce qu'elle pouvait pour changer tout cela. C'est pour cela aussi qu'elle est devenue assistante sociale. Elle voulait aider les gens.

Sam était donc en pleine crise. Il passait beaucoup de temps chez Ingrid et Henry, il disait qu'il ne voulait pas être chez son père, avec "la belle-doche". Il avait vraiment du mal à l'accepter, alors que c'est une femme admirable et qui l'aime beaucoup. Mais, à cette période de sa vie, c'était vraiment difficile pour Sam. Les premiers temps des vacances, je les ai laissés tranquilles, Mickaël et lui. Ils prenaient les vélos, parfois le bus, et allaient explorer les environs. Les bords du Loch Linnhe n'avaient plus de secrets pour eux, de même que les flancs du Ben Nevis.

Vers la mi-juillet, cela faisait presque trois semaines qu'ils étaient là, Sam a commencé à se confier. Par petites touches. A la cuisine. Ils devenaient plus habiles, Mickaël et lui, et, souvent, je les laissais carrément préparer tout le repas. Sam aimait particulièrement cuisiner le mouton, il disait que la meilleure viande, c'était la nôtre. Il était gentil... Mickaël, lui, s'intéressait déjà sérieusement au poisson, mais cela s'est vraiment précisé quand il s'est trouvé en France.

Sam m'a parlé de sa maman. Elle lui manquait beaucoup. Il était un peu perdu. Il disait aussi qu'il ne savait pas ce qu'il allait devenir, ce qu'il allait faire. J'ai essayé de l'aider, à réfléchir. Je l'ai encouragé en lui disant de faire ce qu'il aimait. Que s'il faisait quelque chose qui lui plaisait, il y arriverait.

Quelqu'un d'autre a joué un grand rôle, pour Sam, aussi, cet été-là. C'est Jenn. Elle était une cousine éloignée de Mickaël et Véra. Elle n'avait qu'une sœur, mais toutes deux s'entendaient bien avec Véra et les copines qui venaient avec elle. Elles formaient vraiment une bonne petite bande de filles, et nous avions souvent une grande tablée. Il leur arrivait encore de "jouer aux princesses", se faisant faire des repas par les garçons. C'était comique à voir ! Je ne peux pas affirmer que Sam soit tombé amoureux d'elle cet été-là, je pense même que cela est arrivé plus tard, mais il s'entendait bien avec Jenn. Elle est franche, elle a du caractère, et l'humour de Sam ne la désarme pas, alors qu'il laisse souvent la plupart des gens sans voix, du moins quand on ne le connaît pas ! A moi, bien entendu, il ne faut pas qu'il la fasse... Bref, Jenn l'a aidé à sortir de sa morosité, et il est reparti plus vaillant à Glasgow.

C'était bien de le revoir "revigoré", à nouveau décidé et surtout, ayant de meilleures dispositions vis-à-vis de sa belle-mère. Petit à petit, il a admis qu'elle ne remplaçait pas sa mère, ni pour lui, ni pour son père. Qu'elle était une autre personne, dans leur vie. C'est bien qu'il l'ait compris et accepté. Cela aurait été une déchirure pour son père de se couper de son fils, et pour Sam de se couper de son père.

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