Huitième chapitre : Mickaël

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Deux ans après la naissance de Véra, Ingrid attendait donc un autre enfant. Elle était venue durant l'été, avec la petite, passer un moment chez nous. La naissance était prévue pour la fin septembre, elle se sentait mieux à Fort William qu'à Glasgow. Henry les avait conduites jusqu'ici, puis était reparti, pensant venir les chercher seulement vers la mi-septembre. J'avais prévu de revenir avec eux, afin d'aider ma fille durant les derniers jours et de garder la pitchoune quand elle serait à la maternité.

Seulement, les choses ne se sont pas tout à fait passées comme nous le pensions. Un après-midi, nous profitions de la douceur de cette fin d'été, dans le jardin. Steven revenait de Fort William et nous a rejointes. En voyant le gros ventre de sa fille, il a pointé du doigt en disant :

- Tu nous fais un petit gars, hein, cette fois !

Cela nous a fait rire. Je savais qu'il serait heureux, même avec une autre petite-fille. Mais un petit gars…

Dans la nuit, Ingrid nous a réveillés. Elle venait de perdre les eaux. Nous sommes partis en catastrophe jusqu'à la maternité de Fort William. Steven est passé chez des amis qui habitaient à proximité et qui avaient le téléphone pour pouvoir prévenir Henry. Il est arrivé au petit matin, pas très réveillé et un peu inquiet… Et Mickaël a poussé son premier cri en ce début septembre, avec au moins trois semaines d'avance, par une belle fin d'après-midi, à Fort William.

Je sais qu'il est très heureux d’être né dans les Highlands, et pas à Glasgow comme sa sœur. Il me dit parfois : "J'avais prévu, Mummy ! Maman voulait rentrer à Glasgow pour la naissance, mais moi, je voulais naître ici !"

Vous vous doutez de la fierté de Steven d'avoir enfin une descendance masculine… Il adorait Véra, mais Mickaël… c'était la prunelle de ses yeux ! D'ailleurs, ils ont le même regard, à une nuance près. Cet éclat de bleu que Steven n'a pas, que seul Mickaël, dans la famille, possède. La première fois que j'ai remarqué cela, il était petit, et je me suis souvenu… Le matin de sa naissance, alors que je regardais par la fenêtre du couloir de la maternité, fenêtre qui donnait sur le Loch Linnhe, j'ai vu, dans la lumière du soleil levant, une forme étrange (sans doute un oiseau) plonger dans les eaux et projeter des éclats bleutés et blancs d'écume tout autour de lui. L'image n'a duré qu'un instant, mais je suis persuadée qu'un de ces éclats de bleu s'est retrouvé dans les yeux de Mickaël. Alors, je dis toujours qu'une fée, ce jour-là, est venue chercher cet éclat, tout au fond du loch, pour le déposer dans ses yeux.

Un des plus beaux souvenirs de cette naissance, c'était le soir-même, quand John a conduit Donan et Finella jusqu'à la maternité et qu'ils ont pu faire connaissance avec leur arrière-petit-fils. Henry a fait quelques photos de cet instant et je les regarde toujours avec beaucoup d'émotion. Quatre générations étaient rassemblées là. Une sacrée brochette, comme a dit Sam un jour !

Mais je vous parlerai de Sam plus tard... Ce sacré numéro mérite bien un chapitre à lui tout seul !

**

Véra et Mickaël ont beau être sœur et frère, ils n'en sont pas moins profondément différents. Ils s'entendent très bien, sont très "complémentaires". Oh, bien entendu, il y a eu des disputes, des petites jalousies comme il y en a toujours dans une fratrie. Mais je peux assurer que Véra veillait sur son frère avec une attitude presque maternelle, ce qui parfois l'agaçait.

Quand je dis qu'ils sont très différents, ils le sont surtout par la sensibilité. Véra est aussi plus fonceuse que son frère, plus observateur. Ne croyez pas que ma petite-fille n'a pas de sensibilité, mais par rapport à son frère… Mickaël est vraiment un sensible, un sensuel. Il peut rester des heures à regarder la lumière changer sur le loch, observer le vent qui pousse les nuages au-dessus des montagnes, écouter les oiseaux, le chant du ruisseau... Cela ennuie profondément Véra. Et autant il était simple de faire à manger pour Mickaël, quand ils étaient petits, autant Véra était difficile, mais difficile… Mickaël était toujours prêt à goûter à tout, à tout essayer… Véra, non. Il ne fallait pas changer ses habitudes alimentaires.

Là où ils se rejoignent, c'est sur l'humour, la façon de blaguer entre eux, et puis leur côté travailleur. On ne peut pas dire que ce soient des fainéants, l'un comme l'autre. Ils ont suivi des voies totalement différentes, mais chacun en s'accrochant, car ils étaient déterminés dans ce qu'ils voulaient faire, et Véra peut-être encore plus que Mickaël, du moins, dans les premiers temps.

L'un comme l'autre, aussi, aiment les Highlands, mais Mickaël encore plus que Véra. Je suis certaine d'une chose, ou presque, c'est que le jour où je ne serai plus là, Mickaël ne permettra pas à sa mère de vendre la maison. Des fois, j'aime à penser qu'il viendra s'installer ici, peut-être avant que je ne sois vraiment trop vieille, ou que je ne sois plus de ce monde. Il sera difficile, en tout cas, de le faire aller vivre ailleurs qu'en Ecosse. Même la France, qu'il aime beaucoup, ne pourra devenir son pays. Son pays, c'est ici. Véra, elle, même si elle est attachée aussi à nos origines, l'est moins et pourrait plus aisément s'installer ailleurs. Elle est restée à Glasgow, car son métier le lui a permis et qu'elle a y rencontré Jimmy, son mari, mais elle aurait aussi bien pu partir en Angleterre, à Edimbourg ou même en France.

Il est évident que l'un comme l'autre sont parfaitement bilingues. Depuis qu'ils sont petits, Ingrid leur parle français et je l'ai fait également, à chacun de leurs séjours.

Quand je dis que Mickaël est peut-être plus attaché que sa sœur aux Highlands, je le tiens de leur enfance. Dès le premier jour des vacances, que dis-je, dès la première heure !, il aurait déjà fallu pour Mickaël prendre la route pour venir à Fort William. Alors que Véra aurait préféré rester avec ses copines encore quelques jours… Et quand il fallait repartir… le drame… Il fut une période, quand il avait 7-9 ans environ, où Mickaël allait se cacher dès le petit déjeuner avalé, le dernier matin des vacances. Une fois, nous avons même eu peur. Nous avons mis plusieurs heures à le retrouver. Il était parti chez John, sans qu'on le voie, et s'était caché dans la grange… C'est le chien qui nous a aidés à le retrouver… C'est la seule fois, aussi, où Steven s'est vraiment fâché contre lui. Plus par peur que par réelle colère. Mais cela avait été suffisant. Il n'a pas recommencé, même s'il faisait la tête les fois suivantes, quand il fallait repartir pour Glasgow. Souvent, à cette période, Steven ou Henry faisaient le voyage pour Véra qui voulait rentrer un peu en avance, aussi pour aller voir les parents d'Henry, puis nous faisions un dernier voyage, la veille de la rentrée (jamais plus tôt !), pour le ramener.

Il demandait souvent à ses parents pourquoi ils n'habitaient pas à Fort William. Même s'il fallait gronder pour lui faire accepter le départ, Steven, au fond de lui, était très fier de l'attachement de Mickaël pour notre région. Il se disait aussi que, peut-être, il reprendrait l'exploitation familiale après nous. Mais si Mickaël s'intéressait beaucoup aux moutons, il ne se voyait pas en faire son métier, cela, je l'avais perçu très tôt. Il suivait son grand-père partout, Steven l'emmenait partout. Que ce soit dans la montagne, pour rassembler le troupeau, à la tonte, dans la bergerie pour les agnelages… Il a tout vu, tout petit. Sauf l'abattage. Ca, j'avais dit non. C'est quand même dur et violent.

Peut-être tient-il aussi son attachement pour les Highlands d'un séjour un peu forcé qu'il a fait avec nous. Il avait 7 ans et, à la fin de l'hiver, il a fait une sorte de pneumonie. Pour éviter que Véra ne l'attrape également, le médecin a conseillé d'éloigner Mickaël pendant au moins deux à trois semaines, jusqu'à guérison complète. Henry l'a donc amené un jour, un peu dans la précipitation. Pauvre petit bout, il était fiévreux, toussait et crachait. Nous nous sommes occupés de lui, il était aussi bichonné par Finella. Il n'avait pas beaucoup d'appétit et une des rares choses qu'il mangeait, c'étaient les petites crèmes à la vanille ou au chocolat qu'elle faisait souvent quand ils venaient en vacances. Je ne l'ai nourri pratiquement qu'avec cela pendant plusieurs jours, après il a retrouvé quelques forces.

Il était alité dans sa chambre, j'avais déménagé pour dormir dans la pièce voisine, une toute petite chambre, pour l'entendre la nuit en cas de besoin. Je n'ai pas très bien dormi durant ces nuits-là, du moins les premières. Je lui mettais une sorte de crème, sur le torse, pour faire sortir le mal, à base de camphre et d'eucalyptus. Ca sentait fort ! Les premiers jours, j'ai dû laver les draps chaque jour, tellement il faisait de fièvre, surtout la nuit.

Je le revois encore, sa tête, avec les cheveux un peu collés au front par la sueur, posée sur l'oreiller, sa main sur le rebord des couvertures, avec le chien qui avait appuyé sa truffe juste à côté et veillait sur lui.

Une fois guéri, j'ai pris le train avec lui pour le ramener à Glasgow, pour éviter à Henry de faire la route, d'autant qu'une vague de froid un peu tardive nous était tombée dessus et que la neige avait rendu difficile la circulation. Par le train, en revanche, il était possible de se déplacer plus aisément. Mickaël a passé le voyage, le nez collé à la fenêtre, à regarder défiler les paysages. Il me demandait comment s'appelait tel ou tel mont, le nom des lochs, des villages. Heureusement que je connaissais bien la région et que Steven m'avait appris à me repérer dans les alentours. Je lui racontais aussi certaines histoires liées aux lieux. Il m'a surprise à me parler de Glencoe. Je lui ai demandé qui lui avait raconté cette histoire tragique et il m'a simplement répondu : "Pépé." Et il a ajouté : "Je n'aime pas les Anglais. Je suis content d'être Ecossais. Les Anglais ne sont pas gentils." J'ai essayé de lui expliquer qu'il ne fallait pas généraliser et que moi, quand j'étais jeune fille, j'avais beaucoup d'admiration pour les Anglais parce qu'ils nous avaient aidés pendant la guerre. Il avait un peu de mal à comprendre. Mais il m'avait fait sourire aussi, car j'avais deviné que Steven était en train de semer une petite graine d'indépendance dans le cœur et l'esprit de son petit-fils. Un jour, peut-être, l'Ecosse sera une nation à part entière, mais je ne verrai pas ce jour. Lui, peut-être. Ses enfants, certainement.

**

Après la mort de Donan, alors que Véra avait 5 ans et Mickaël 3 ans, nous avons réduit le troupeau. John en a racheté une partie. Mais nous avons gardé toutes les terres. Steven me disait : "Si je pars le premier, ne vends pas la terre. Garde-la pour les enfants. La terre, c'est notre richesse. Ils en feront toujours quelque chose". Je n'ai pas fait ce qu'il m'avait demandé, en tout cas, pas tout à fait. J'ai vendu le troupeau qui restait, une partie des terres à John. Pas tout. Les enfants ne le savent pas, pas même Ingrid. J'ai gardé une partie pour chacun. Après moi, ils décideront…

Mais enfin, voilà que je digresse… Revenons aux moutons. Ou plutôt, au whisky. Cela faisait longtemps, n'est-ce pas ?, que je ne vous avais pas parlé de whisky ou de gniole. Parlons donc whisky, puisque nous sommes au cœur des Highlands. Mickaël aime souvent dire que son plus ancien souvenir, il le tient de son grand-père, d'une fois où Steven l'avait emmené voir Al, pour acheter quelques bouteilles. Je n'étais pas allée avec eux, j'étais restée avec Véra et Finella à la maison. C'est aussi avec Al et Steven qu'il a goûté son premier verre. Sam et Willy étaient avec eux ce jour-là, mais c'est plus tard. Ils avaient 13 ans. Mickaël, je crois, associe vraiment le whisky à son grand-père.

Que ce soit Véra ou Mickaël, ils ont tous les deux aussi été très attachés à Finella. Si Mickaël ne garde aucun souvenir de Donan, car il était trop petit quand il nous a quittés, Véra en a quelques-uns, mais assez peu. Mais Finella, Mémé Fine, comme ils l'appelaient, ils s'en souviennent très bien. Elle les aimait beaucoup. Ils n'étaient pas ses seuls arrières-petits-enfants, loin de là, puisque la famille s'était bien agrandie aussi que ce soit chez Matthew, James ou les filles. Mais Véra et Mickaël, elle pouvait les voir sur une longue période, à chaque vacances. Malgré les ans et quelques difficultés à se déplacer, elle faisait encore beaucoup de choses. Moi, elle m'impressionnait. Elle était encore capable de faire du crochet à son âge, de repriser des chaussettes sans porter de lunettes. Je ne crois pas qu'elle voyait grand-chose, mais elle avait une telle habitude de ces gestes-là… C'était presque machinal. Véra a gardé précieusement des petites paires de socquettes raccommodées par son aïeule. A Mickaël, elle a appris à faire un flan, qu'elle seule était capable de réussir. Même moi qui m'y suis essayée plus d'une fois, je ne suis pas capable de le faire. Mickaël, si. Il dit souvent qu'il tient sa passion pour la cuisine de moi, mais je crois plutôt qu'il la tient de Finella…

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