Troisième chapitre (troisième partie)

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Nous sommes arrivés à Fort William en tout début de soirée. Le tonnelier nous a laissés en bas de la colline et nous avons grimpé à pied jusqu'à la petite ferme des parents de Steven. Il leur avait écrit à notre arrivée à Ipswich, mais il se demandait si la lettre leur était parvenue. Steven avait jeté son sac sur son épaule et il portait ma valise. Je le suivais en économisant mon souffle, car ça grimpe dur. Depuis, je l'ai fait tant de fois, que je n'ai pas compté…

La maison ne ressemblait pas du tout à celles que je connaissais, mais j'en avais déjà eu un bon aperçu durant le voyage. Depuis, nous y avons fait des travaux, nous l'avons agrandie. Mais elle offre toujours une aussi jolie vue sur la presqu'île d'Ardgour.

En grimpant sur la colline, j'ai demandé à Steven :

- Tu crois que tes parents vont m'accepter ?

- Petite Pomme, oui, j'en suis certain. Même s'ils n'ont pas reçu mes lettres… Et puis, ton père nous a donné un véritable passe-droit, avec la bouteille de gniole. Mon père ne nous fermera pas la porte grâce à elle !

J'étais un peu dubitative quand même. Avoir moins de valeur qu'une bouteille de gniole… même passée en contrebande… et ayant échappé aux fouilles minutieuses de l'occupant allemand…

Alors que nous approchions de la maison que je voyais déjà nichée sur la colline, un grand chien de berger est venu vers nous. Il aboya deux fois, puis s'arrêta en remuant la queue. Il avait reconnu Steven qui l'appela en sifflant :

- Yep ! Kashy ! Yep !

Le chien est venu le saluer. Puis nous avons franchi les derniers mètres vers la maison. Après le chien, c'est une grande jeune fille, plus grande mais plus jeune que moi, qui est arrivée en courant.

- Steven ! Hey ! Oh, te voilà !

Bon, comme c'est moi qui raconte, je vous épargne la version anglaise. Surtout qu'au début, j'ai eu un peu de mal à tout comprendre.

Elle a sauté à son cou. C'était Mary, sa sœur de 15 ans. Elle était donc plus grande que moi, blonde avec des reflets un peu roux, et les mêmes beaux yeux que Steven. Derrière venait son autre sœur, Kathleen, qui avait 12 ans à l'époque, et l'un de ses frères, Matthew, 18 ans. Et leurs parents, Donan et Finella MacLeod. Le père de Steven était aussi grand que son fils, et Matthew à peine plus petit. Donan avait les cheveux un peu longs, légèrement ondulés, tombant sur ses épaules, à peine striés de blanc. Il avait par contre plus de carrure que Steven et, en cela, Matthew lui ressemblait beaucoup. Finella était beaucoup plus grande que moi. En fait, je me suis sentie très vite très petite, s'il n'y avait eu Kathleen… mais elle aussi, m'a dépassée, en grandissant.

Finella, sa mère, était donc assez grande, blonde, aux yeux gris. Bien bâtie aussi, elle donnait vraiment l'impression d'être une force de la nature. Je me suis dit que ces gens ressemblaient bien à nos campagnards, je ne me sentais pas trop dépaysée pour cela.

Tout le monde s'est approché, a salué Steven avec de grands éclats de voix, de joie. Moi, je restais un petit peu en arrière, non pas très intimidée, mais attendant plutôt que les effusions retombent. C'est Donan qui m'a vraiment regardée le premier, même si les autres m'avaient vue, bien entendu.

- Alors, Steven, tu n'es donc pas revenu tout seul ? Et si tu nous présentais ?

- Papa, voici Madeleine. Ma femme.

Et il s'est approché de moi, pour me ramener dans le cercle familial. J'ai souri et salué tout le monde comme je le pouvais. Ils ont eu l'air étonné que je parle un peu anglais. Mais j'ai vite eu du mal à les comprendre, surtout quand ils parlaient vite et tous en même temps. Heureusement, Steven répondait pour moi, mais j'avais quand même un peu l'impression de ne pas pouvoir placer un mot, alors que j'aurais aimé me présenter moi-même un petit peu.

- Le voyage a été long, dit Steven pour conclure. Mais nous voilà arrivés !

- Rentrez, a dit Finella avec une certaine autorité. Vous marchez depuis combien de temps ?

- Juste depuis le bourg, a répondu Steven. Nous avions trouvé une charrette pour faire la route depuis chez les McGuivan.

- Oh, vous étiez chez eux hier soir ?

- Oui. Ils vont bien. Ils vous passent le bonjour.

Et sur ce, nous sommes entrés dans la maison et j'ai eu droit à mon premier repas dans la famille.

**

Comment décrire mes premières journées là-bas ? Comment je me suis fondue dans cette famille, moi la petite Normande, la petite Française, qui arrivait du fin fond de son bocage pour vivre maintenant à flanc de montagne ?

J'ai un peu le souvenir d'un tourbillon, en fait. De voir beaucoup de nouvelles têtes, de devoir retenir plein de noms… Pourtant, ça ne semble pas beaucoup peuplé, les Highlands… Et bien, détrompez-vous ! Des habitants, il en sortait de tous les coins, et des moindres recoins… Enfin, c'était mon impression en ces premières journées ! Tout le monde voulait saluer Steven, le soldat qui était revenu de la guerre, qui avait vaincu les Allemands, qui avait vu tant et tant de choses ! Qui avait tant à raconter.

Et qui était revenu avec une petite Française.

Car cela, au début, je ne l'ai pas compris, mais cela a beaucoup aiguisé la curiosité des gens. Une Française ! Steven était revenu avec une femme, une Française ! J'ai dû faire quelques jalouses, je l'ai compris aussi, mais je n'y ai pas vraiment prêté attention. J'avais bien autre chose à faire, notamment aider ma belle-mère et mes belles-sœurs, à la ferme, comme autrefois, j'avais aidé ma mère et mon père. Steven, Matthew et Donan s'occupaient des moutons. Visiblement, Donan était bien heureux que son fils soit de retour à cette période de l'année, car il y avait à faire.

Les moutons. Il y en avait partout, des moutons. Et les terres aussi. Le père MacLeod avait une sacrée propriété. Il était impossible d'en faire le tour en une journée. Mais c'était une terre assez pauvre, où il était difficile de faire pousser autre chose que des moutons.

J'ai fait la connaissance de James, l'autre frère de Steven, à la fin de l'été. James était l'aîné de la famille, mais il n'a jamais aimé les moutons et la terre. Il était ouvrier aux chantiers navals à Glasgow. Cela paraît comme une ascension sociale pour ses parents. Je peux comprendre cette vision des choses, c'est du moins celle que l'on avait tous, plus ou moins, à l'époque, quand on vivait à la campagne. L'attrait de la ville, du salariat, d'un certain confort. Mais vivait-on finalement mieux ? Plus heureux que par ici ? Je n'en suis pas certaine… Enfin, c'est à chacun de suivre son chemin.

Je dois dire que j'ai été rapidement et bien acceptée dans la famille de Steven, peut-être aussi qu'une certaine retenue, un peu obligatoire à cause de ma médiocre pratique de l'anglais à mon arrivée, a contribué à cette image de jeune femme posée, besogneuse, que j'ai pu leur donner. Mais oui, je le dis, je me suis sentie bien avec eux tous. L'atmosphère d'une famille nombreuse me rappelait les grands repas chez nous, quand les oncles et tantes étaient là, et même quand mon jeune frère, Jacques, était encore vivant. Et puis, j'étais heureuse d'avoir des belles-sœurs ! Même si Kathleen est plus jeune que moi, c'était un vrai cadeau pour moi que de les avoir, elle et Mary. Mary et moi avons toujours été très proches. Nous nous sommes vite bien entendues, et j'ai fait de gros progrès en anglais et en gaëlique grâce à elle. Et Steven m'aidait aussi, bien entendu.

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