Lolita dans les Fleurs (première partie)

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J'essayais très fort de ne pas avoir honte de ma situation. Mais les fleurs blanches et roses, éparpillées au sol au milieu d'un tapis de confettis pastels, me rappelaient sans cesse à cette réalité floue qu'assurément, je faisais tout pour oublier. J'ai trop honte pour daigner m'en souvenir ! Comment ais-je fait pour m'enfoncer si dolemment dans un tel traquenard ?! A constater que je me suis assoupie, m'apparaît l'évidence que je dois me lever. Mes yeux sont ouverts, oui : ils fixent les fleurs pastels sur le sol recouvert de confettis multicolores, et les notes que j'ai si longtemps griffonné d'une main aussi enragée que ma colère était désastreuse, pour et par tout ce que j'ai été. Pour et par tout ce que je suis, aussi. Je crois. A ce tableau atypique s'ajoutait, au sol là encore, entre les fleurs pastels, les confettis multicolores, et les feuilles de papier noircies d'encre coulée, les vestiges des soirées précédentes, car je ne nettoie pas souvent ma chambre. Mes yeux clairs écarquillés à ces mystères, je vois : les coupes de champagne brisées au sol et le chapeau melon noir d'hier soir, le paquet de cigarettes d'avant-hier, le balalaïka sans corde des jours lointains, et quelques vestiges d'il y a dix ans. Des morceaux de photographies brûlées aussi : elles sont un composant de ces souvenirs qui me font honte en ce jour, en cette situation présente ; voilà pourquoi elles restent bien à leur place dans la coupe à fruit, entre les pêches roses trop dures et le raisin blanc trop mûr. Jour ? L'aube point, mais le matin tarde. L'aube a quelques merveilleuses teintes pastels, pareilles au fleurs sur le tapis de confettis multicolores maquillé de feuilles, de témoignages détraqués en tout genre, de coupes de champagne brisées et d'autres éléments encore. Mais tout énumérer à nouveau serait, je crois, long, long, long... Je me levais alors non sans difficulté, et me cognais immédiatement la hanche contre le buffet sur lequel était posé la coupe à fruits. En résultent mes douleurs corporelles, n'en résultent pas mes douleurs cérébrales. Si ma tête cogne, cogne, cogne, je ne sais pas, pas, pas, pourquoi il en est ainsi. Mais j'étais levée. N'étais-ce pas un début tout à fait engageant ? Une grosse boule en tout cas, s'était quand à elle engagée à loger dans mon estomac et ma gorge, et peut-être ne vais-je pas tarder à vomir. Enfin, je me mettais debout. D'un pas chancelant, certes, mais la seule perspective de réaliser que je pouvais encore garder mon équilibre dans une telle position, et même faire quelque pas, réchauffa mon cœur de la même manière que l'aurait fait le soleil s'il eut daigné briller. Mais c'est encore l'aube. Ses rayons sont tout juste tièdes. Et de toute façon, comment espérer qu'ils puissent m'atteindre ? La fenêtre a beau être ouverte, le grand rideau rouge cerise qui la cache arrêtera tout aussi bien l’astre céleste qu'il donnera à tout ceci un aspect assurément tragico-romantique. Et puisque tout cela est ainsi, et que mes douleurs, musculaires et neuronales ne veulent cesser, alors peut-être n'est-il tout simplement pas l'heure pour moi de me lever... Mes jambes ne me portent que difficilement de toute manière, et je doute fort que la situation ira en s'améliorant, dans les minutes qui vont suivre tout du moins. Et comme j'ai trop honte, vraiment trop honte, et que ce mal me noircis âcrement le cœur, j'attrape sur le buffet vieilli la bouteille de champagne d'hier, et en vide les restes dans mon gosier. Maintenant bien échappée de mes tourments présents, le joli sol pastel et multicolore m'apparaît comme un endroit rêvé pour reprendre ce que j'avais entamé dès hier. Ah, ça ! Oui : je vais fermer les yeux et à nouveau espérer ne jamais plus les ouvrir, car il y a trop de douleur dans tout mon corps et toute mon âme pour pouvoir la transporter avec moi tout le restant d'une vie. Et une vie, cela peut-être long quand on le veut. Heureusement, je n'en veux plus.

Le balalaïka sans corde…

Champagne et chapeau melon, quelques notes et quelques verres...

Et des notes et des fleurs à n'en plus finir...

Et la fenêtre ouverte, le rideau rouge volant au vent...

Et puis ces voix...

Et puis... Toutes ces turbulences...

Un soupir...

‘‘Excusez-moi m'sieur, mais...’’

‘‘Excusez-moi, m'sieur...’’

‘‘Excusez-moi...’’

‘‘Excusez-moi, m'sieur ! Je sais que je ne devrais pas être là et que vous ne devriez pas me regarder comme ça, mais m'sieur, c'est une belle coïncidence que nous nous croisions dans de telles conditions ! Vous avez l'air de n'avoir nulle part ou aller et moi non plus, êtes-vous vagabond de cœur, ou de style ? Moi je ne sais pas ce que je fais là, mais vous enfin, qu'est-ce que vous faîtes ici ? Hé, m'sieur ! Ne part pas m'sieur, si tu permet que je te tutoie (ah, ça n'a pas l'air de te plaire...) , car tu as l'air plutôt insipide dans ton genre, et j'avoue que ça m'intrigue autant que ça me fait de la peine ! Tu... Vous avez l'air drôle dans votre costume-trois-pièces m'sieur, je parie mes dents que vous êtes du genre important ! Excusez-moi m'sieur, je suis directe monsieur, c'est dans ma nature... Je parie ! Toutes mes autres dents ! Que vous avez une épouse, hum ? Une du genre à faire des crises de jalousie monstrueuses dès que vous adressez la parole à la première lolita venue. Vrai, m'sieur ? Et n’en avez-vous pas marre de la vie ? A la vivre comme ça en tout cas, elle ne vous donnera que des burn-out et de l'anxiété chronique, et je vois bien que vous et moi nous partageons ce tragique point commun : oui, vous et moi nous sommes en vrai des gens très ennuyés et très anxieux ! Il suffirait de peu, m'sieur, pour mettre le feu aux poudres de notre vie très lassante, que nous tentons de déranger par les moyens les plus décalés et détraqués possibles ! Hé ! Là ! Hé ! ATTENDS ! Attends, attends, attends, zut ! Attendez m'sieur, attendez ! Ne vous enfuyez pas m'sieur, ne m'évitez pas, m'sieur, je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise ! Excusez-moi m'sieur, ne partez pas, m'sieur ! Je m'excuse, voilà, ne m'en voulez pas m'sieur ! Vous me rappelez un homme que j'ai connu, vous êtes peut-être un homme que j'ai connu ? (Êtes-vous l'homme que j'ai connu... ?) Un autre jour, une autre horaire, un autre endroit, et vous auriez peut-être, oui ou non, été l'homme que j'ai connu ! Un autre jour, une autre horaire un autre endroit, et tout, tout, tout aurait peut-être été différent ! Songez-y donc, m'sieur ! Je vois bien que vous êtes anxieux, mais je vois aussi que vous êtes las. Et regardez pas autour de nous : le soleil se couche, les boutiques se ferment et les bars ouvrent, m'sieur, c'est le moment de nous enfuir de cette vie, de trouver un petit coin de Paradis ! Sans rire, vous êtes encore mignon et moi j'ai du charme ; allez, allez, allez cherchons donc un lieu sympa, tout noir et tout chaud : un petit cocon bien ténébreux à l'image de nos anxiétés respectives, nous nettoieront la poussière au fil des jours ! Allons-y, car un autre jour, une autre horaire, un autre lieu, tout cela aurait été très très très différent, différent ! Et vous et moi, nous aurions été de nouveaux individus, comme nous le sommes au commencement de chaque journée ! Vous connaissez la ville et moi aussi, allons, trouvons notre chez-nous !! NE ME REGARDES PAS COMME ÇA ! Pas comme si j'étais cinglée ; c'est toi qui me fait peur avec un tel regard, c’est sans doute toi le cinglé de l’histoire ! Il ne faut pas hésiter ! Ne veux-tu pas, ne veux-tu pas, m'sieur ? Je sais que tu- que vous voulez en finir m'sieur, je le lis dans votre regard comme dans un livre ouvert ! Nous ne savons pas où aller et c'est une belle affaire, allez ! Excusez mon attitude m'sieur, mais vous ne m'auriez pas écoutée autrement ; quand bien même il faudra vous habituer : l'homme que j'ai connu fût un temps, a toujours dit que j'étais sacrément exubérante dans mon genre !

(Comment en suis-je arrivée là... ?

Un autre jour, une autre horaire, un autre endroit, et tout, tout, tout aurait peut-être été différent...)

(Différent comme ce lieu, différent comme toi, et aussi comme moi...)

Deux heures s'étaient écoulées, mais l'aube demeurait. Comme si jamais plus le soleil ne viendrait. Il poindrait éternellement, niché derrière quelques montagnes ou collines, plongerait le monde dans une vaste lumière tendre et atténuée, en ferait une peinture romantique charmante où le noir des chapeaux melons se refléterait dans le ciel matinal cotonneux aux teintes et aux senteurs fruitées. Je n'avais plus la force de me lever, à présent. Les restes du champagne d'hier soir, entamé au crépuscule, et achevés il y a peu, m'avaient ôté cette éreintante volonté. Je roulais alors sur moi-même, faisant désormais face à la petite glace qui, à grand jet de coupe de champagnes en verre, avait été méchamment morcelée. Ainsi, j'essayais très fort de ne pas avoir honte de ma situation : de ne plus penser ni au champagne crépusculaire, ni à la paroi vaniteuse me reflétant le corps d'une enfant adulte, d'une adulte qui, enfant, avait trop tôt fait l'adulte, qui, adulte, n'avait cessé de faire l'enfant; amenant à des résultats certes intéressants, mais jamais satisfaisants. Sur le long terme tout du moins. Mais la vie est une entreprise qu'il est jugé par beaucoup préférable d'accomplir sur le long terme. Je ne sais pas si j'ai raté ma vie. Peut-être ne l'ais-je pas vécue comme il faut. Et peut-être le corps actionné sous la main joueuse de cette vie n'a après tout pas été d'une grande aide à cela. Les brisures du miroir ne manquent après tout pas de me le rappeler. Il y a sur le sol de confettis et sur les feuilles noircies, une ivrogne qui gît, quoique ivrogne est un mot si cruel lorsque l'on a abusé du champagne qu'une seule fois dans sa vie ! Le torse nu absent d’un quelconque passage de puberté, même après toutes ces années, dévoilant une peau pareille à celle des pêches dans la coupe à fuit, rose et douce, mais pas encore mûre à l'extérieur; et les petits yeux clairs aux teintes mordorées des raisins dans cette même coupe, brillants de milles feux sous les frêles rayons auroral, mais trop mûrs à l'intérieur. Ce sont vraiment de tout petits raisins... Ne devrais-je pas manger un peu ? J'ai si faim que mon estomac ne perd pas un instant pour me le faire savoir. Ah, mais je ne veux pas bouger, pas bouger... Le champagne m'aura remplie pour mieux me vider. Je crois que je ne vais pas tarder à tomber de sommeil à nouveau. N'est-ce pas une peine qu'un état aussi lamentable, qu'une fille qui n'arrive même pas à prendre soin d'elle-même en son sens le plus vital, soit précisément réduite à un tel état ? Le champagne ? La faim ? Les mal de beaucoup de choses ? La fatigue insomniaque ? Hypersomniaque ? C'est une honte, et voilà que mes yeux se ferment à nouveau...

Les mots à n'en plus finir...

Les lettres, toutes ces photographies...

Et la suave odeur des fruits...

Le balalaïka sans corde...

Un sourire...

‘‘Touché, m'sieur, touché...’’

‘‘Touché, m'sieur...’’

‘‘Touché...’’

A SUIVRE...

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