Le couloir blanc

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Une porte d'une blancheur immaculée se ferma froidement derrière moi, m'abandonnant à quatre murs d'un blanc éclatant et éblouissant. Je me retourna face à cet univers qui s'était refermé dans mon dos et m'assis. J'attendis. Demain, j'attendrais à nouveau dans cette curieuse impression de déjà vu, à la fois familière et oppressante.

Le temps passa lentement, m'imposant sa présence quotidienne, sans que je ne puisse rien faire pour la contrer. S'habituer à lui était sans doute la meilleure chose que j'avais trouvé à faire pour m'occuper. Ces murs, ce blanc, ce vide, ils étaient ma seule compagnie. Tous renvoyaient une propreté, une netteté une perfection inerte et malsaine qui avec l'habitude m'était devenue naturelle.

J'entendais parfois des bruits provenir de l'extérieur, au delà de ma boîte écrue en trois dimensions, au delà de cette porte, au delà même de mes pensées, il me semble. Il y avait divers sons, et tous s'entremêlaient , s'embrouillaient dans mon esprit, jusqu'à ne plus devenir qu'un lointain écho dans mes oreilles bouchées. Bruits de grésillements, bruits de vrombissements, bruits de lacérations, bruits du liquide humain rougeâtre qui coule et salit, bruits des autres, cris, rires, pleurs, gémissements... Et tous achevaient ainsi leur course, se perdaient et se mourraient dans l'immensité de cet Inconnu épuré perçu au-delà de cette porte, ma porte.

Je ne savais trop depuis combien de temps j'étais ici. La notion du temps m'avait abandonnée depuis trop longtemps déjà pour que je ne me souvienne d'elle. Pourtant, jamais je ne chercha à la retrouver. Je n'avais vraiment que faire de sa présence. Étais-je ici depuis toujours ? Si compté que "toujours" puisse être un repaire temporel... Je me contentais de vivre chaque jours comme il m'en était dicté, cela me suffisait. Nous étions tous comme ça, et nous nous satisfaisions tous ainsi : dans un abject sentiment de banalité, une atroce routine paisible.

Je ne sais où je me trouve. Dans un lieu pour personnes originales, je crois. Ici, nous sommes tous originaux. Je suis originale, tu es original. Du moins, Ils n'ont que ce mot à la bouche lorsqu'Ils me parlent, lorsqu'Ils te parlent. Ces gens sont aussi blancs et immaculés que mes quatre murs aveuglants. Seul leurs yeux s'autorisent à afficher une couleur : un rouge, très vif et captivant, très brillant, très sanglant. Ici, quand il n'y a pas du blanc, il y a du rouge.

Hier, j'ai aperçue par une petite fenêtre de ma porte, une jeune fille. Elle se faisait emmener. Emmener, au delà de ce long couloir blanc qui mène à mon emplacement, ainsi qu'à celui des autres, de tous les autres. Ses cheveux restants, filasses et semblables à des petits fétus de paille abîmés, avaient pris une teinte verdâtre. Sa peau était comme écaillée, craquelée, pour peu l'on aurait dit un reptile aux complexions encore vaguement humanoïdes. Un large masque blanc avait été placé sur sa bouche de sorte à faire taire ses gémissements rauques et sa respiration gutturale. A moins que ce ne soit pour empêcher l'air pestiféré que contenait ses poumons de se déverser dans le couloir chaque fois qu'elle toussait bruyamment. Elle toussait beaucoup. Elle se déplaçait en titubant, le regard vide et inexpressif, comme si elle fut morte de l'intérieur. Les personnes en blanc l'ont emmenée au fond du couloir et on ne l'a plus jamais revue. Ce sont des choses qui arrivent.

Moi aussi, je suis allée au fond du couloir blanc, aujourd'hui. Et ce qu'il y avait ? Je crois, je ne sais plus trop, je suppose, je présume... A tout hasard, du blanc, du blanc, un peu de rouge, mon rouge, du blanc, blanc, blanc, blanc... Puis j'ai été détachée de ma chaise ensanglantée, j'ai été ramenée ici. C'est ainsi, trois fois par semaine. A ce qui se dit le Leur bouche.

Je vois ces grandes lettres rouges sur ton vêtement blanc. Je vois ces grandes lettres rouges sur mon vêtement blanc. Oui. Regarde : tu est le 67 et moi le 66. Regarde à nouveau : Ils sont soixante-quatre désormais, et le 65 n'est pas revenu aussi. Comment tout cela se terminera-t-il ? N'est-ce pas une question que je me suis posée au moins soixante-six fois, peut-être six-cent-soixante ? Tout est relatif.

Demain.

Demain, je te verrai passer, car Ils t'emmèneront aussi au bout du couloir.

Demain, tu saura comme moi ce qu'il s'y trouve.

Peut-être nos visions différeront-elles ? C'est possible. Dans le couloir blanc, tout est relatif.

FIN

Dans le train Paris-Agens, le 16/08/2017

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