Chapitre 11. ♤

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Raphaël, mon frère,

Ce n'est pas sans une certaine émotion que je t'écris cette lettre. Je voudrais la commencer en te disant milles choses, notamment ceci : j’aimerais te rassurer en te promettant que je serai toujours là, mais ça serait te mentir les yeux dans les yeux. Plus le temps passe, plus je me sens incapable de te trahir. Nous avons grandi, nous ne pouvons plus agir comme des enfants et faire comme si tout ça n'existait pas. J’aimerais te jurer que je t’accompagnerai dans chacun de tes pas, que ce soit le jour de ton mariage ou même lorsque je serai à tes côtés pour voir tes enfants, mais là encore ça sonnerait tellement faux… J’aimerais rester près de toi pour l’éternité et être immortelle, pour que toi et moi, nous puissions avoir le temps de réaliser tous nos rêves d’enfants comme celui de construire une machine faisant de la nourriture à volonté, mais le génie nous manque crucialement, frérot.

Un jour, je prendrai mes affaires, mes rêves et nos souvenirs puis je déploierai mes ailes sur le sommet le plus haut d’Australie et je m'envolerai. Enfin libre.

Libre comme personne ne l'a jamais encore été. Plus libre que toi.

Cependant, j'ai peur de te laisser derrière moi. Pourtant, je ne veux pas que tu m'accompagnes dans ma quête. J'espère que tu trouveras la force de pardonner nos parents.

C’est dans ces moments-là que je regrette d’avoir monopolisé l'attention de papa et maman quand nous étions jeunes, dans ces moments-là que je regrette tous les non-dits et toutes mes erreurs. Je redoute la fin des bons moments qui se font si rare depuis quelques années. Je regrette même l’euphorie que je ressens à l’idée de vous quitter. J'ai parfois l'impatience que tout cela cesse pour ne plus jamais avoir à souffrir. Tu as le droit de me détester pour cela, frérot.

Je t’écris cette lettre avec toute la peine du monde sur les épaules, les larmes ruisselantes le long de mes joues, venant finalement se réfugier dans ma nuque. Ne m'en veux pas si tu as l'impression que je ne prends pas au sérieux toute cette histoire. C'est seulement que je préfère relativiser en me disant que quand mon heure viendra, je me sentirai plus légère, emplis de joie, loin de toi et de ta douleur que j’espère éphémère.

Je me retrouve souvent impuissante face à cette nouvelle douleur qui me tiraille de l’intérieur comme un violent poison que mon corps essaie d’extraire. Les mots ne me viennent pas pour t’exprimer cette saisissante douleur, mais j’espère que ces larmes te les évoquent sans que je n’aie besoin de te dire haut et fort ce à quoi je pense. Je me doute vaguement de la douleur et du manque que tu ressentiras lorsque tu apprendras que je suis partie loin de toi.

Est-ce qu’en lisant cette lettre tu es toi aussi plongé dans un profond silence ou te noies-tu dans tes pensées ? Comprends-tu la torture que j'ai vécu toutes ces années ?

Tu penses à cent à l'heure, mais l'information ne monte pas dans ton cerveau, tout va trop vite. Nous ne pouvons rien dire ni rien faire, nous pouvons seulement rester assis et se sentir doucement sombrer. Je sais que tu as compris que quelque chose n’allait pas au dernier repas de famille. Tu as remarqué que je ne parlais pas, que je ne riais plus à tes blagues. Mon sourire et ma joie ont de nouveau disparu et c’est à ce moment précis que je comprends que j’ai été heureuse dernièrement.

J’aimerais me réveiller, reprendre conscience, qu’on me dise que ce n’était qu’une blague pour me donner une leçon de vie, mais les cameramen ne sortiront pas de leurs cachettes, n’étant tout simplement pas présent.

J’ai beau me dire que le temps me donnera la force de parler, mais plus le temps passe et plus je deviens muette et prends peur. Voilà pourquoi je t'écris cette lettre, mon frère, parce que je sais qu'il n'y a qu'à toi que je pourrais ainsi me confesser.

J’ai 25 ans, mais j'ai soudainement perdu le reste de ma vie lors de l’annonce du cancérologue.

J’ai un putain de cancer.

Je panique un peu, sans te mentir.

Cela fait un moment que je le sais. Seulement, je n’ai pas eu la force de te l’avouer de vive voix. Peut-être qu’un jour en faisant mes cartons, tu trouveras cette lettre. J’espère sincèrement qu’elle répondra à toutes tes questions. Je ne pense pas un jour avoir eu la force suffisante pour t’annoncer de but en blanc que je vais mourir, te murmurer que je suis terrifiée et t'avouer la dur réalité qu’un jour je vais brutalement te quitter sans qu'on ne puisse rien y faire. On sait tous que l’on naît pour au final mourir, c’est la suite logique, mais on ne peut pas s’empêcher de redouter ce moment-là. C’est bêtement humain, tu ne trouves pas ?

Si j’en avais la foi je te parlerais d’Epicure qui a dit - à juste titre dans une de ses lettres, celle à Ménécée, - que nous ne devons pas avoir peur de la mort car lorsque l’on est mort, il est déjà trop tard pour ressentir quoi que ce soit. J’aime penser qu’il a raison.

Quoi qu'il en soit, il y a tout juste trois semaines, ma vie allait bien, elle suivait son cours avec ses hauts et ses bas. J’ai même eu le bête espoir que tout s'arrangerait, que je pourrai entrevoir un avenir lointain avec Nolan, mais encore une fois je suis victime de ma propre vie. N’est-ce pas triste ?

J’ai l’impression d’avoir vécu déjà tellement de chose…

J’ai eu de nombreux amis, une famille unie et aimante, un frère jumeau qui compte plus que tout pour moi, j'ai même pu rencontrer celui qui a comblé tous mes vides même s'il les a agrandis par la suite, mais ça c'est une autre histoire. J’ai été célèbre, j’ai rapporté pleins de compétitions, j’ai un travail qui me plait. La liste est encore longue pourtant je ne suis pas totalement heureuse, il me manque toujours ce quelque chose d'introuvable.

J'ai beau chercher, je ne comprends pas. J'ai déjà tout eu, plus que certaines personnes. J'ai même eu la chance de connaître le grand amour, celui que tu ne rencontres qu’une fois dans ta vie, celui que tu regrettes lorsqu’il te quitte, celui que tu pleures et que tu cherches ailleurs, en vain. Oui, je l’ai connu et j’espère que tu le connaîtras à ton tour, Rapha. Aimer et être aimé en retour, avec sincérité et pour la personne que tu es, c'est la plus douloureuse, joyeuse, difficile, excitante, terrifiante et merveilleuse des quêtes qui puissent exister.

Tu sais, c’est totalement par hasard que j’ai appris que j’avais le cancer, comme la plupart des gens je pense. J’avais parlé de mes propres de vomissement à mon médecin généraliste, elle a d’abord cru que j’étais enceinte, mais les tests de grossesse l’ont démontré. Puis on m’a fait faire des tests sanguins et des radios. C’est à ce moment-là qu’ils ont compris que j’avais quelque chose de bien plus grave.

Si tu savais comme j’aurais préféré qu’on m’annonce que j’étais enceinte de triplé…

Je me suis rendue à ce que je pensais être une visite médicale de routine, sans me méfier, mais c’est quand on m’a indiqué le service cancérologie et qu’on m’a appelé en urgence ce matin-là que j’ai compris que ce n’était pas bon signe. J’ai pris mon courage à deux mains, et je m’y suis rendue seule, affrontant le regard bien trop rempli de pitié du médecin présent face à moi. Je l’ai tellement méprisé à cet instant-là, si tu savais… Le pire, c’est que je n’ai été alarmé par aucun de ces symptômes spécifiques au cancer du poumon. C’est bête, j’aurais eu plus de chance de survivre si j’avais pris le temps d’écouter deux secondes mon corps. La confrontation face à mon miroir le soir même a été assez violente, je ne m’y attendais pas le moins du monde.

Si j’avais su...

J’ai un cancer des poumons au stade 3. Cela signifie que mon cancer a commencé à se propager dans les tissus environnants à mes poumons et qu'il y a des cellules cancéreuses dans mes ganglions lymphatiques et dans leurs alentours. Je suis plus proche du stade 4 que du stade 2, je ne dois pas te le cacher, Rapha. J’ai plus de chance de mourir que de survivre malgré les progrès de la médecine. Je le sais parce que je sens que mes symptômes s’empirent tous les jours un peu plus. Je sens que mon corps supporte de moins en moins ce que je lui fais subir. J’ai trop longtemps cru que mon corps était quelque chose de biodégradable et que je pouvais en changer à ma guise. Malheureusement, ces nombreux problèmes de santé m’ont ramené de force face à la difficile réalité. Je sens que mes muscles sont de plus en plus faibles, j’ai souvent des crampes, des parties de mon corps qui ne me répondent plus pendant un certain temps... En clair, c’est la merde.

Un cancer, ce n’est jamais une bonne nouvelle, mais un cancer de stade 1 n’est généralement pas aussi grave que ce que l’on pense, il est facilement traitable. En revanche, un cancer de stade 4 n’est cependant pas très bon... Les médecins utilisent des « courbes de survie » – des statistiques pour les personnes atteintes d'un cancer, au même stade de progression que le mien, par exemple – pour fournir un pronostic. Dans mon cas, la plupart des courbes de survie publiées suggèrent que moins de 10% des personnes sont encore vivantes cinq ans après le diagnostic.

C'est pour ça que j'ai dû prendre une décision dont je veux te faire part.

J’ai refusé d’être soigné.

J’en ai marre de me battre contre la mort, j’en ai marre d’être le jouet de la vie, d’être baladé de galère en galère. Je crois que quelqu’un, quelque part, m’envoie un message assez explicite : lâche l’affaire. Et pour une fois je vais écouter ce qu'on me dit et ne plus penser à ce que veulent les autres, mais à ce que, moi, je veux.

Je sais que c’est totalement cliché, mais la vie peut vraiment changer du jour au lendemain. J’ai également bien du mal à imaginer ce à quoi pourra ressembler l’avenir si je parviens à survivre, car ma vision de la vie est déjà si profondément bouleversée, que je ne pense pas pouvoir revenir à mon ancien monde. Survivre et devenir un déchet, ça me terrifie.

J’ai l’impression d’avoir tellement de messages à livrer aux gens que j’aime, mais surtout à toi mon frère, mon meilleur ami, mon confident, mon jumeau. Tu es le seul à avoir une lettre pour la seule et unique raison que je sais que tu seras le seul à me pleurer même dans dix ans.

J’aimerais que tu arrêtes deux secondes de supposer que tu as la vie devant toi, pleine et entière, pour faire tout ce que tu rêves de faire. Je sais que cela peut te sembler ridiculement cliché et, bien sûr, tu te dis que jamais que cela t’arrivera, mais la preuve est que si, tout est possible tant que ton cœur bat. La vie peut t’être retirée à tout moment car tout est éphémère.

Je te sais apeuré à l’idée de me dire éternellement adieu, mais tant que tu vivras, tant que tu m’aimeras, jamais tu ne seras seul, jamais ne mourrais réellement. Continue de m'aimer comme tu l'as toujours fait, s'il te plaît.

Car moi, même loin de toi, je t'aimerai,

Hope.

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