Chapitre 5. ♤

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  • Mademoiselle Bâle ?

La brune, qui patientait jusqu’à lors dans cette salle d'attente, se redresse et remet correctement en place ses cheveux en coinçant quelques mèches rebelles derrière ses oreilles. Elle se retrouve face à un médecin, apparemment un chirurgien, répondant à tous les critères stéréotypes du parfait chirurgien. Il porte une blouse blanche aussi claire que le carrelage recouvrant tout le service cancérologique tout en ayant en dessous de cette même blouse, une tenue de bloc stérilisée de couleur bleu faisant comprendre à Hope que quelque chose d’important vient de se passer et que désormais c’est à son tour de trembler. Sans pouvoir l’expliquer, Hope pressant, depuis ce matin, que quelque chose de grave va chambouler sa vie et va malheureusement la détruire et remettre ses projets en question, une nouvelle fois. Son stéthoscope autour du cou, son stylo quatre couleurs dans la poche où il vient de ranger son calepin et voilà le médecin enfin prêt à rencontrer sa nouvelle patiente.

  • Voulez-vous bien me suivre, s'il vous plaît ?

Lui demande le chirurgien en jetant un regard las au dossier médical de la jeune femme se trouvant entre ses mains. Il est attristé de constater qu'encore une fois, il est le messager d'une énième mauvaise nouvelle alors qu'il qui vient d’affronter une famille démunie. Une fois encore, il a dû annoncer le décès d'un père à une famille qui n'a cessé de pleurer, de trembler et d'hurler. Cette scène à quasiment laissé indifférent le médecin en revanche sa tenue tâché de sang le dérangeait davantage. Cette infâme odeur de mort, cette sensation désagréable de sang qui gicle et qui se colle à la peau dénudée le dégoûte. Cette terrible sensation que le sang lui colle à la peau comme s’il s’agrippait à lui telle une âme désespérée. C’est répugnant ! Rien que d’y penser, toutes ces sensations lui provoquent des frissons virulents.

Quoi qu’il en soit, la jeune femme acquiesce et le suit dans les couloirs de l’hôpital, dans un lourd silence, comme un fantôme errant mélancoliquement. Seul le bruit de la ventouse de la béquille d’Hope résonne dans tout le couloir désormais désert. Voilà plus de quatre heures que Hope attendait patiemment sa prise en charge par quelqu’un mais elle n’a cessé durant ces quatre heures de voir les employés de l’hôpital faire des aller et retours sans même lui prêter la moindre attention. Elle a même cru être devenu invisible à un moment. Qu’ont-ils tant à faire que de s’occuper d’elle ? Personne n’est venu à sa rencontre, pas même un interne ! Et c’est alors, au moment où elle allait se lever pour s’en aller, que ce chirurgien est arrivé. Son dossier médical entre les mains, les sourcils froncés, il lui a enfin donné l’ordre qu’elle attendait depuis quatre heures. Puis son interlocuteur, d’une voix grave, comme si le poids du monde pesait sur ses épaules, il a demandé à Hope de la suivre, sans un regard. Quand Hope a entendu cette voix, elle a tremblé de tout son être reconnaissant cette même voix que le médecin avait pris quand il était venu lui annoncer que sa vie était foutue. Décidément, cette voix hante toujours autant Hope et ne présage rien de bon.

Ils entrent finalement dans la salle de consultation où résident un simple bureau en bois vernis avec quelques meubles comme des chaises, ou des tableaux lumineux accrochés aux murs. Toute la pièce est neutre sans aucun objet personnel. Il n'y a pas de photo, ni de couleurs autres que celles de l’hôpital, pas de bibelots décoratifs pour donner un peu vie à l’endroit qui glace le sang de Hope. Tous les médecins que Hope a côtoyé - et Dieu seulement sait combien elle en a consulté - avaient au moins quelques dessins d’enfants les remerciant de les soigner. Mais Hope essaie de passer outre car après tout ce sont sans doute des meubles répondant aux normes et aux obligations concernant l’hygiène, imposés dans les hôpitaux. Une table d’occultation se trouve dans la pièce adjacente à celle où le médecin peut discuter avec son patient. Cet espace réduit et lugubre fait frémir Hope et finalement elle en vient à regretter de ne plus être dans la salle d’attente qui était tout compte fait plutôt accueillante.

  • Asseyez-vous, s’il vous plaît.

Déclare de nouveau le docteur Benckley en présentant d’un geste de la main une des chaises se trouvant devant le bureau. Alors que Hope s’assoit sur la chaise que l’homme grisonnant lui a montrée, elle le voit aller dans la salle adjacente. Puis elle entend de l’eau couler se doutant que le docteur Benckley se lave les mains. Le docteur a l’air agité depuis tout à l’heure et cela augmente l'angoisse d'Hope. En effet, le docteur Benckley se sent terriblement sale. Il a sans cesse l’impression de devenir fou et que le sang, de son patient venant de décéder, lui colle à la peau. C'est toujours comme ça après chaque opération mais cet élan de folie augmente davantage lors des décès. Mais ce que le docteur Benckley déteste d'autant plus, c'est quand le sang laisse encore quelques traces rougeâtres sur sa peau malgré les frictions qu’il ne cesse d'exercer sur cette dernière. Il se retient de grogner quand il remarque qu’il perd complètement le contrôle de lui-même. Alors il abandonne finalement en se souvenant de la présence de la brune dans la pièce d’à côté et décide donc de la rejoindre. Il va fermer la porte du cabinet de consultation pour plus d’intimité.

  • Encore désolé pour le retard mademoiselle Bâle. J’étais en train d’opérer quand on m’a prévenu de votre venue précipitée.

Hope hoche calmement la tête justifiant mieux l’attente qui a été si longue, mais elle ne peut pas s’empêcher de froncer les sourcils ne comprenant toujours pas ce qu’elle fait ici. Du moins, elle espère ne pas bien comprendre. Ce matin, l’hôpital l’a appelé pour lui dire de venir d’urgence au service cancérologie pour rencontrer le docteur Benckley. A ce moment, Hope a agi mécaniquement sans réfléchir à ce qu’elle faisait et elle est venue.

  • Bien. Alors, nous avons reçu vos examens dans la matinée. Une infirmière m'a également dit que le docteur Nolan est votre compagnon, voulez-vous que je lui demande se déplacer pour qu'il nous rejoigne ? Nous pouvons l'attendre, ne vous inquiétez pas, rien ne presse.
  • Non merci, c'est très gentil de votre part mais je préférerais être seule pour entendre le diagnostic.

Le quadragénaire hausse les épaules et sort d’une grande pochette Kraft bleu pastel comportant les échographies, radiographies et les prises de sang de la jeune femme. En accrochant les résultats, le docteur Benckley songe au fait qu'il aurait préféré que sa patiente vienne accompagner par un de ses proches, surtout si c'était le docteur Nolan, comme on le conseille souvent pour faire face au choc de la mauvaise nouvelle qui est fréquemment affreuse à entendre surtout quand on appel dans l’urgence le patient. Et pourtant la brunette se trouve seule face à lui, l’air frêle mais cachant une force secrète bien enfoui.

Mais la vraie raison pour laquelle Hope n’a averti personne de son état actuel, et qu’elle est venue seule à ce rendez-vous, c’est parce qu’elle sait qu’elle va avoir besoin d’être seule pour prendre conscience de la bombe que va lui jeter au visage le médecin se trouvant assis dans son fauteuil en cuir. Elle ne sait pas si elle va être capable de tenir sans éclater en sanglot dès que l’homme devant elle va ouvrir la bouche. Elle ne sait pas si ses jambes vont supporter ce nouveau poids qui va s’échouer lourdement sur ses épaules.

Elle se sent si faible... Elle a l’impression que ses tremblements deviennent vite incontrôlables, ce qui la terrifie. Le déclic, ce qui l’a enfin fait comprendre qu’il fallait qu’elle passe des examens, ce fut après un énième malaise où elle s’est réveillée en plein milieu de son salon, son front saignant après s’être pris le coin de la table en tombant. Elle est restée comme ça, allongée au beau milieu de son salon, au pied de son canapé en reprenant ses esprits toujours incapables de se relever seule sans avoir envie de vomir.

Voilà quelque temps que Hope fait des malaises à répétition, qu’elle a de violent vomissement au cours de la journée et qu’elle a de plus en plus de mal à respirer, se réveillent fréquemment lors de ses nuits pour reprendre son souffle. Sa cage thoracique lui donne l'impression d'être tellement compressée que rien que le fait de respirer le fait grimacer de douleur. Après de longues discussions avec son petit-ami médecin, Hope s’est enfin décidée à prendre rendez-vous avec des spécialistes pour savoir ce qui lui arrive. Dans le meilleur des cas, c'est une mauvaise bronchite - même si elle se doute bien qu'on ne lui a pas demandé de venir au service cancérologique pour lui annoncer une grosse bronchite -, mais Hope balaie l'idée qu'elle puisse un cancer. D’une certaine manière, elle est dans le déni et censure ses pensées. Elle préfère relativiser et rester optimiste comme lui a appris Nolan au cours de ces dernières années. Elle se dit qu'après tout ce qu'elle a vécu, on n'a pas le droit de lui faire ce coup-bas.

Hope sort de ses pensées lorsqu’elle voit le docteur Benckley sortir de l’enveloppe les radios et les fixer sur le tableau lumineux. Directement, le regard du docteur s’assombrit et il commence à pointer du doigt les petits points gris qui se trouvent dans les poumons de Hope puis à les relier par des lignes imaginaires. Le quadragénaire remet correctement ses lunettes, qui étaient posées sur son nez jusqu’à lors, et fronce les sourcils en regardant de nouveau les radios avant de se tourner vers les résultats des examens sanguins de la jeune femme. Hope comprend instantanément que quelque chose ne va pas. Pas besoin d’avoir fait des études de médecine ou d’être un génie pour savoir que ces petits points ressemblant à des éclats de verre ne devraient pas être là !

Le médecin examine attentivement tous les résultats des examens se trouvant sous ses yeux avant de soupirer en enlevant ses lunettes. Il s’avachit lourdement dans son fauteuil en frottant son visage d’un air fatigué avant de lever son regard vers la jeune femme face à lui, qui le toise d'un air méfiant par peur de bien comprendre la situation.

  • Je ne vais pas vous cacher que les résultats ne sont pas bons.

Il se tourne de nouveau vers les radios en montrant, à l’aide d’un stylo, qu’il vient habillement de sortir de la poche de sa blouse pour montrer les petits éclats.

  • Vous voyez ces tâches sur les radios ?

Hope acquiesce sans trop savoir concrètement où le docteur Benckley veut en venir. C’est alors que dans un élan, il se lève subitement pour être de nouveau à la hauteur de la radio, tout en essayant de ne pas faire paraître son inquiétude, en pointant du doigt les diverses tâches, une à une.

  • Tous ces éclats sont des cellules cancéreuses et vos examens sanguins prouvent que votre corps est en guerre contre ce cancer mais il ne va pas y parvenir seul. Il a besoin de vous, mademoiselle Bâle. Vous avez besoin d’un traitement conséquent, certes, mais qui va vous permettre de tuer ces cellules cancéreuses. Avec plus de test, nous pourrons clairement estimer le temps du traitement et de la guérison. Mais je suis confiant, le cancer du poumon que vous avez, les carcinomes neuroendocrines à grandes cellules, n'est pas le plus agressif et rare des cancers auxquels j'ai eu à faire face. Vous me comprenez, mademoiselle Bâle ?

Soudainement, c’est comme un arrêt sur image. Hope ne bouge plus et continue de fixer le médecin ce qui le met très vite mal à l’aise. La jeune femme, même en sentant le regard du médecin sur elle, ne peut pas s’empêcher de vouloir rester impassible pour ne pas montrer que cette nouvelle la secoue plus que ce à quoi elle s’attendait. Le docteur Benckley déteste son métier dans ces moments-là. Il déteste annoncer ce genre de nouvelles provoquant des séismes chez les patients. Lui, il préfère, sans hésitation, les éclats de rire et les soupirs de soulagements que les sanglots silencieux ou les regards livide comme celui de la patiente se trouvant face à lui à cet instant. Il préfère voir la joie irradier chaque parcelle de l’être humain que de voir le visage de ses patients et de leurs proches se déformer sous une douleur inexplicable et sourde. Mais pour vivre ces moments de soulagement, ces moments de joie, il faut malheureusement passer par ce genre de mauvais moment. Le silence est pire que tout et celui de cette jeune femme l’est tout particulièrement. Elle détache son regard de celui du docteur pour le détourner vers les échographies encore accrochées sur le tableau lumineux.

  • J’ai un cancer… C’est ce que vous essayez de me dire ? Je vais mourir, c’est ça ?

Hope est tout simplement tétanisée à l’idée de devoir de nouveau tout recommencer et retourner à la case départ ne sachant pas si elle en est capable et si son corps va le supporter.

  • Comment vais-je faire ?

Chuchote-t-elle en baissant la tête, d’un air dépité.

  • Comment vais-je devoir l’annoncer à mes proches ? A mes amis ?

Continue-t-elle de chuchoter dans un murmure presque sourd, retenant ses larmes et ses cris, ne parvenant pas encore à totalement réaliser ce qu’il est en train de lui arriver.

Le médecin se précipite vers elle alors que la jeune femme est prise de tremblement incontrôlé. Il s’accroupit face à elle en prenant son visage en coupe pour la regarder droit dans les yeux et vérifier qu'elle ne fait pas un malaise.

  • Mademoiselle Bâle, ne vous inquiétez pas, vous pouvez guérir. Le fait que vous soyez jeunes et que vous n'ayez jamais fumés jouent en votre faveur !

S'exclame-t-il en agitant sous les yeux d'Hope les feuilles de renseignements qu'elle a dû remplir en attendant d'être prise en charge.

  • Avec un bon traitement, vous pourrez guérir. Si vous suivez correctement le traitement que je vais vous prescrire, dans cinq ans ce cancer ne sera qu'un lointain souvenir.

Hope le regarde mais elle ne l’entend plus, elle ne le croit pas. Elle se mord sa lèvre inférieure, refusant de la lâcher de peur de perdre totalement le contrôle d’elle-même. Hope a appris à lire dans le regard des autres et à comprendre le langage du corps et tout chez le docteur Benckley le trahi. Rien n’est sûr, comme toujours. De plus, Hope est jeune et en pleine forme si on ne regarde pas ces maudits examens médicaux. C'est cela le réel problème dans toute cette histoire ! Comment est-ce possible ? Qu’a-t-elle fait au ciel pour qu’il s’acharne autant sur elle ?

  • Vous allez devoir prendre un traitement, commencer notamment une chimiothérapie et une…

Mais Hope coupe le docteur dans ses explications dans un mouvement lent où elle lui demande silencieusement de se taire quelques instants. Elle se redresse tout doucement et se dirige vers la petite pièce annexe à celle où ils se trouvaient depuis le début. Elle s’appuie sur les bords du lavabo en inspirant bien profondément, toujours la tête basse et le silence pesant créant une atmosphère plus que désagréable dans la pièce.

  • Non.

Soupire finalement Hope en redressant vivement sa tête dans un mouvement souple où tous ses cheveux se sont soulevés dans les airs l’espace de quelques instants. Le docteur Benckley lit soudainement une subite assurance dans les pupilles dilatées d’Hope Bâle ce qui créer en lui une violente inquiétude. L’espace de quelques instants, il ne lit plus en elle de fatigue, de tristesse ou de désespoir. L’espace de quelques instants, Hope Bâle redevient maîtresse de son corps et de son esprit. Elle essaie de contrôler le torrent d’idées et d’images noires qui la submergent. Ce subit changement d’humeur n’augure rien de bon selon l’expérience du docteur Benckley qui comprend vite ce qu’a en tête sa patiente.

  • Merci de votre aide mais je suis obligée de refuser. Désolée...

C’est alors que Hope se dirige de nouveau vers la chaise sur laquelle elle était assise il y a encore quelques minutes. Le moment où elle paraissait remplie d’insouciance paraît désormais très loin. Elle prend son manteau qu’elle met d’un geste rapide sur ses épaules avant de saisir son sac à main et de se retourner vers le docteur qui est toujours bouche-bée après l’affirmation de la brunette. Hope lui sourit tendrement avant de lui tourner le dos. Puis, comme si le médecin revenait enfin à la réalité, il se retrouve dans un bureau vide mais qui sent encore l’odeur fruité de la jeune femme. Il contracte la mâchoire. Le docteur Benckley, en tant qu'être humain et médecin, ne peut pas accepter un tel refus aussi facilement. Il ne va pas pouvoir vivre avec la mort de quelqu'un sur la conscience ou même seulement avec l'idée qu'il n'ait pas fait correctement son travail. Il doit tenter le tout pour le tout, une dernière fois. Et si elle refuse, encore, alors il arrêtera de s'obstiner et laissera sa patiente signer les papiers disant qu'elle refuse les soins.

Durant sa carrière, le docteur Benckley a eu affaire à un tas de personne différente mais cela reste rare qu’un de ses patients lui répondent avec autant de lucidité et à la fois de folie. C’est alors qu’il se rend compte qu’elle est réellement partie, et peut-être même sans payer. Il se met donc à courir à travers les couloirs de l’hôpital, bousculant quelques personnes se trouvant dans le passage pour enfin la retrouver à la sortie de l’hôpital.

Il s’arrête de courir, pose ses mains sur ses genoux, à bout de souffle d’avoir couru aussi vite après elle. Il se redresse en se souvenant pourquoi il a couru comme un fou dans tout l’hôpital à recracher ses poumons. Il la remarque qui patiente tranquillement au passage piéton.

  • Mademoiselle Bâle, attendez !

La concernée se retourne et regarde sans comprendre ce que lui veut le docteur. Il s’approche d’elle dans une marche rapide et lui dit, toujours aussi essoufflé,

  • Mademoiselle Bâle, s’il vous plaît, réfléchissez-y encore un peu, s'il vous plaît ! Vous êtes jeune, vous avez la vie devant vous, et croyez-moi, elle vaut le coup d’être vécu malgré toutes les horreurs que l’on peut vivre. Vous souffrez affreusement car c’est tout nouveau pour vous mais patientez avant de me donner votre réelle décision.

D'un regard suppliant, Hope regarde le docteur Benckley.

  • Je ne veux pas m'habituer à être malade et c'est déjà tout réfléchi, docteur.
  • Vous êtes sous le choc, et c'est normal, mais laissez-moi vous parler de votre maladie et des possibles solutions pour vous soigner !

Mais Hope ne l’entend pas de cette oreille et soupire en passant sa main contre son front, essayant d’oublier sa migraine grandissante.

  • C’est tout réfléchi. J’ai vingt-cinq ans. Je ne bois et je ne fume pas. Je fais régulièrement du sport, j’ai une bonne alimentation. J’ai un travail qui me plaît, un formidable petit-ami, une famille et des amis et je sais d’avance que je ne peux pas leur infliger cela. C’est mon combat, pas le leur. Je sais très bien à quoi je renonce en décidant de déjà abandonner mais je sais également que je suis incapable de supporter un nouveau traitement aussi destructeur que ceux que l’on a pour vaincre les cancers. J'ai déjà vu, chez la mère d'un ami, les désastres que ces choses-là créeraient. Je ne peux pas leur faire ça. Si je fais des soins, je serais obligée de leur avouer que je suis malade. Pouvez-vous imaginer la douleur qu’ils vont ressentir ? Même moi je ne parviens pas à l'imaginer docteur.

Déclare-t-elle plus froidement que ce qu’elle aurait souhaité mais ce n’est pas pour autant que le docteur Benckley se dégonfle. Justement, selon lui, le fait que le conjoint de sa patiente soit médecin l’encourage encore plus à vouloir qu’elle accepte de se faire traiter. Lui, en tant qu’homme et que médecin, ne supporterait pas l’idée que l’on puisse guérir et sauver une personne aimée alors que celle-ci le refuse. L’impuissance est le pire des sentiments pouvant exister et cela il le côtoie tous les jours quand il visite ses différents patients de tout âge.

  • Je ne vous comprends pas Hope.
  • Je ne vous demande pas de me comprendre, juste d’accepter ma décision. Je ne peux pas leur nourri un espoir vide de sens. Je trouve ça cruel et égoïste, et croyez-moi docteur, je l’ai été assez par le passé pour avoir appris de mes erreurs. Et je le redis, c'est mon combat, ma vie, mes choix, ma maladie et à part moi ça ne concerne personne d’autre alors je juge que c’est à moi de décider ce que je veux faire du peu de temps qu’il me reste.
  • Vous allez devoir éviter de faire et manger certaines choses, vous le savez ça, pas vrai ?
  • Je m’en doute.

S’exclame-t-elle en plissant les yeux d’un air suspicieux face au docteur Benckley. Ce dernier soupire et lui propose d’aller s’asseoir sur un banc, ce qu’elle accepte après une longue réflexion.

  • Je vous en parlerais une prochaine fois, quand vous serez réellement prête à parler de votre maladie à cœur ouvert. Je dois vous parler des mois à venir que vous fassiez le traitement ou pas.
  • Tout à l’heure vous avez dit que mon état était critique mais j’ai besoin de savoir à quel point il l’est, même si pour vous ça peut paraître complètement illusoire.

Demande-t-elle nerveusement en se triturant les doigts, beaucoup trop mal à l'aise avec cet homme.

  • Rien n'est illusoire lorsque ça concerne la survie de quelqu'un. Mais soit, vous êtes au stade trois A du cancer. Un stade compliqué car vous pouvez tout aussi bien guérir qu’être condamnée. Sans traitement, vos vomissements vont se teinter de plus en plus en rouge à cause de votre sang que vous allait cracher.

Le docteur Benckley scrute les moindres réactions faciales de la jeune Hope Bâle. Il n'y lit aucune surprise ou dégoût, comme c'est souvent le cas avec ses autres patients. Non, sur le visage quasiment renfermé, il n'y discerne que de la crispation et une nervosité grandissante. Le docteur Benckley soupire et passe une de ses mains sur son visage alors qui s'adosse soudainement contre le tronc d'arbre entouré de banc en métal.

  • Vous en avez déjà craché, Hope, n’est-ce pas ?
  • Oui... J’en ai craché hier soir pour la première fois…
  • Vos malaises vont être de plus en plus fréquents, vous allez avoir régulièrement des saignements car vos poumons ne pourront plus assez bien traiter votre sang. Vous allez avoir de violente douleur, comme des crampes d’estomac, et cela va être récurrent. Petit-à-petit vous allez perdre votre pilosité, perdre du poids à cause de la perte d'appétit. Votre corps va s’affaiblir au fur et à mesure du temps jusqu’au jour où vos muscles ne pourront plus vous tenir et vont vous lâcher définitivement et vous forcer à rester clouer au lit. Une étude au Canada prouve que la survie nette après cinq ans pour ce cancer du poumon est de 17%, ce qui signifie qu’en moyenne, 17 % des personnes ayant reçu un diagnostic de cancer du poumon survivront au moins cinq ans après avoir reçu leur diagnostic. De plus, avec un traitement pour un stade étendu du cancer du poumon à petites cellules, la survie médiane est de sept à onze mois, mais seulement avec traitement. Sans cela, sans aide, votre corps n'est pas assez fort pour combattre la maladie seul. Il a obligatoirement besoin de vous, Hope. Comment pouvez-vous abandonner avant même d'avoir essayé ? Réfléchissez-y ! Je suis médecin, je suis obligé de vous dire ce à quoi vous devez vous attendre, que je sois d'accord ou pas avec vos choix, c'est ainsi.
  • Parfait ! Finir comme un légume vivant quelle joie ! La fin rêvée !

Rit Hope avec ironie et une petite pointe de sarcasme étouffant un sanglot à la fin de sa phrase.

  • Justement Hope ! Vous avez vingt-cinq ans, un avenir prometteur alors soyez raisonnable et acceptez d’avoir de l’aide !
  • Non. Je suis déjà restée sagement assise à vos côtés pour vous écouter mais cela s’arrête là. J’ai vécu pendant quatre ans avec des traitements médicamenteux lourds, passant d’hôpital en hôpital, obligée d'être la plupart du temps allongée. J’ai subi les regards de mes proches, leurs reproches silencieux, la peine transperçant leur regard et j’en passe. Je n'en peux plus… Même si je le voulais, je ne pourrais pas faire de nouveau face à cela.
  • Mais voyons, ils s'inquiétaient par amour !
  • La question n'est pas là, Docteur. Plus sérieusement, Docteur Benckley, je suis très touchée par le dévouement dont vous faites preuve pour convaincre vos patients mais par pitié, laissez-moi prendre cette décision. Je préfère vivre les plus beaux mois de ma vie que de vivre une vie où je ne cesserai de m'inquiéter en songeant au fait que le cancer puisse revenir à n'importe quel moment.
  • Mais cela ne vous terrifie pas l'idée de faire une course contre le temps en compagnie de la Mort ? Ou même de ne pas savoir si le lendemain vous aurez encore assez de force pour vous relever ?

Le Docteur Benckley remarque qu'il a touché une corde sensible car la jeune Hope Bâle détourne soudainement le regard, les larmes aux yeux, et la crispation de ses mains prouvent bien qu'elle n'est pas du tout rassurée à l'idée de mourir.

  • Je... Je suis désolée…

Et c'est ainsi qu'elle s'est redressée et est partie en direction du parking sans un regard pour le Docteur Beckley désormais seul, assis sur ce banc devant l'hôpital.

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