Sur la porte de la chambre 213 de l'hôpital Gold Coast Private Hospital, un nom s'affiche sur la pancarte blanche « Hope Bâle ». Elle a presque vingt ans et vient d'apprendre que ses rêves sont à oublier car elle se retrouve dans l'incapacité de pouvoir remarcher un jour et encore moins de surfer. Elle était l'espoir de son club de surf, elle rêvait de cette carrière jour et nuit. Elle avait des sponsors. Elle était à deux doigts de réaliser ses rêves et de réussir sa carrière avec l'homme qu'elle aimait. Elle s'était saignée et sacrifiée tant de fois pour réussir que ce n'est pas de la tristesse qui pris possession de tout son être mais une incroyable colère se transformant très vite en haine envers le monde entier. L'injustice avait un goût amer qui lui restait sur la langue. Premièrement, son déni lui fit perdre pied, la rendant silencieuse, préférant se taire que perdre le contrôle. Cette colère lui restait en travers de la gorge.

Le blond s'appelle Jonathan Lewis, comme c'est indiqué sur son bracelet, et a presque vingt-trois ans. Il s'est sorti de cet accident avec seulement quelques égratignures, quelques côtes cassées et un poignet en vrac. Une sorte de miraculé. Sans être fautif de l'accident, il ne peut s'empêcher de culpabiliser en pensant à sa petite amie clouée au lit. Ses rêves viennent de voler en éclat à cause de ce chauffard qui n'avait pas pris de pose sur la route et qui s'était endormi au volant. Il le hait. Cet homme a ruiné la vie de Hope en un claquement de doigt. Tous ses rêves, tous ses projets sont partis en fumés alors qu'ils avaient mis tellement de temps à tout préparer dans les moindres détails. Elle avait travaillé si dur pour se faire remarquer par les grands de ce monde. L'injustice mettait dans une colère noire Jonathan.

Hope vient d'apprendre la triste nouvelle. Sa mère a éclaté en sanglot avant de s'en aller précipitamment de la chambre. Savoir que sa fille a survécu à un accident dans lequel elle a failli mourir est déjà un choc, mais c'est un choc encore plus important quand on apprend qu’elle est blessée à vie, portant des marques indélébiles sur son corps. Cette vision de sa fille lui est insoutenable pour cette mère de famille qui redoute déjà les jours à venir. Si Hope avait seulement besoin de rééducation, elle sait que sa fille se serait saignée à la tâche mais là... Là toute trace d'espoir est inutile. Jamais sa deuxième jambe ne lui servira à quelque chose.

Le père de Hope a hurlé et juré de tuer le camionneur pour avoir détruit la vie de sa fille puis il a essayé de consoler cependant, étrangement, n'a rien exprimé depuis l'annonce. Elle regarde seulement dehors, d'un air mélancolique, par la fenêtre de sa chambre où l'on peut voir l'océan. Cet océan où elle ne pourra plus aller car la douleur serait trop vive pour elle. Ce ne sont pas que sa vie, ses rêves, ses projets qui sont brisés mais ceux de ses proches, des sponsors, des fans, des membres du club qui ont cru en elle. Ceux de son coach, ceux de milliers de gens qui croyaient en elle pour les JO.

Raphaël, le frère jumeau de Hope, regarde silencieusement sa sœur et se dit que s’il pouvait échanger sa place avec elle, il le ferait dans la minute qui suit sans aucune once d'hésitation. Malheureusement, c'est impossible. Aucun retour en arrière n'est possible mais il veut tout de même continuer d'espérer. Il craint la descente en enfer qui s'annonce à grand pas. Le silence glacial et pesant de sa sœur ne présage rien de bon. Il craint le moment où elle va péter un câble, perdant totalement le contrôle d'elle-même, où le déni n'aura plus sa place et où le désespoir pourrira l'âme de sa sœur. Mais rien n'est réellement joué et il se dit que quoi qu'il arrive, il sera toujours là auprès de Hope.

Jonathan tient encore la main de Hope. Le regard de la jeune fille est livide, dénué d'émotion. Sa peau habituellement si chaude est désormais glacée. L’image d’un cadavre s’immisce quelques secondes dans les pensées de Jonathan et il réalise qu'une partie d’Hope s’est envolée, éteinte.

Elle s'inquiète des jours à venir, des moments où elle se trouvera devant le fait accompli. Elle a peur des douloureux moments où elle va devoir accepter les modifications à apporter à sa vie. Elle craint cette subite prise de conscience qui la fera pleurer, hurler, lui donnera des envies suicidaires n'étant pas réellement sûre de pouvoir supporter la douleur et résister aux appels de ces sirènes si angélique. C'est bien ça le pire dans toute cette histoire. La vie de Hope a fait un arrêt sur image. Désormais plus rien n'a d'importance. Elle sait qu'elle ne pourra plus jamais rire comme avant. La vie n'est pas éternelle. Elle a perdu son insouciance. Elle se mord la lèvre. Tout est éphémère, rien n'est acquis. Elle réprime un sanglot qui lui brûle la gorge. Une boule se forme sous son ventre, tandis qu'elle est soudainement prise de vertiges.

Elle a envie de craquer, de pleurer, de se lever et de courir vers la mer pour se transformer en écume et ne faire plus qu'un avec l'océan. Elle a envie à cet instant de toiser du regard l'homme fautif de tous ses malheurs, de lui faire du mal, de lui retirer toutes les choses importantes à sa vie juste pour qu'il comprenne sa douleur. L'imaginer, il ne peut pas le faire. Sa compassion ce n'est pas ce qui va rendre l'usage de sa jambe à Hope. Se venger ne rime à rien et la peine et la colère de Hope ne changeraient pas. Hope désire tout abandonner. Elle est pourtant de nature optimiste, combative mais à cet instant précis elle veut seulement mourir ou se réveiller de ce mauvais cauchemar voire même qu'on vienne lui annoncer que ce n'est qu'une mascarade depuis le début. Mais Hope est trop intelligente, trop lucide pour savoir que tout ceci est bel et bien réel. Elle en arrive même à regretter de n'être pas morte dans cet accident où au moins elle n'aurait pas eu à souffrir sur le long terme car même si elle ne ressent plus rien concernant sa jambe, elle est pourtant bel et bien toujours là. Elle sait qu'elle va de temps à autre avoir des douleurs insupportables. Lui rappelant ce membre mort marquant son histoire. Un tournant de sa vie où elle a mal évalué le virage.

Une larme perle sur sa joue mais elle est vite balayée par Jonathan qui pleure en silence, les yeux bouffis et rougis par les larmes chaudes s'écoulant de ses iris vertes si envoutante. Hope sait que Jonathan culpabilise comme s’il était le fautif de tout cela mais c'est faux. C'est elle qui a lancé ce stupide défi. C'est elle qui s'est endormie. C'est elle qui n'a pas voulu rentrer tout de suite après le surf. C'est elle qui a voulu rentrer chez elle au lieu de dormir chez Jonathan. Elle est l'unique fautive et cette idée-là ne la quitte plus depuis son réveil.

Elle prend dans ses bras son petit ami qui ne cesse de lui dire au combien il est désolé, qu'il hait le camionneur et qu'il va le faire souffrir mais elle ne lui répond rien. Fermant doucement les yeux, humant l'odeur de son petit-ami, le nez contre son cou, la chaleur de son expiration frôlant la peau du blond qui frissonne à ce contact.

• Je t'aime Hope.

Déclare-t-il en l'embrassant fougueusement.

• Je t'aime aussi Jonathan.

Lui répond-t-elle avec un faible sourire.

Tous les deux ont bien conscience que les prochaines semaines vont être décisive pour l'avenir de leur couple mais ils ne veulent pas y songer maintenant. Non, il est encore trop tôt pour songer à la séparation, à la perte d'un pilier tel que lui. Il est son dernier lien avec le surf et consciemment ou pas, elle en a besoin. Tout comme lui a besoin d'elle. Mais Hope sait qu'elle sera incapable de le retenir et de lui en vouloir s’il souhaite s'en aller et avancer sans elle. Il a la vie devant lui, il est jeune et beau, il est talentueux et Hope n'est pas égoïste. Mais l'imaginer partir loin d'elle et sans elle, lui tord le cœur qui se fissure instantanément.