Confession - 2

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Acte II - Contreforts de la Chartreuse, colline de la Bastille ; parc de l’Hôpital de la Tronche – Grenoble. Le père abbé Anselmo ; le prêtre Justin.

- Asseyons-nous là, va ! Tu as maigri mon garçon, tu n’as plus rien dans tes manches.

- Oui… J’ai été assez secoué.

- C’est cette histoire qui t’a rendue malade ?

- Disons que j’ai beaucoup réfléchis…

- Un peu trop, sans doute, mon fils. On m’a dit que tu étais arrivé ici dans un état de délabrement complet.

- C’était la fièvre, mon père. J’avais la fièvre depuis huit jours ; je n’y ai pas prêté attention. Double broncho-pneumonie…

- Il parait que ton église est pleine de courants d’air… C’est là que tu aurais attrapé mal… Mais ne soit donc pas crispé comme ça dès qu’on parle d’église, Justin ! Toute la foi du monde n’a jamais bouché les courants d’air, tu le sais bien… Il se produit parfois de vrais miracles, solides, aveuglants. Mais au niveau des courants d’air ?, jamais entendu parler… Tu es vraiment un pur et dur, toi, sourcilleux avec les petites choses les plus insignifiantes de la religion. Méfies-toi du fanatisme, cela confine à l’orgueil !

- Je ne suis ni pur ni dur ! Et je n’ai pas pris la fièvre dans mon église. Je l’ai prise sur le carreau de la sacristie ! J’ai commis un sacrilège… Parce que vous ne le savez peut-être pas, mon père, mais l’Eglise a perdu la Sainte Vierge ! Il n’y a plus de Sainte Vierge, c’est moi qui l’ai dépucelée ! J’ai violé une jeune femme qui s’appelle Marie ! A ce moment-là, j’aurais mieux fait de rester dans les courants d’air de mon église, je me porterais mieux !

- Violé ? J’avais cru comprendre qu’il s’agissait tout au plus d’un… écart de régime, en quelque sorte… d’une révélation aussi…

- C’était tout cela. Mais c’est également un viol. J’ai abusé de la situation, par manque de contrôle, par faiblesse. Je m’en suis terriblement voulu.

- Raconte-moi !

- C’est difficile à expliquer… j’ai peur de ne pas savoir…

- Dis-le simplement, raconte-moi ; ma curiosité est légitime. Je t’aime bien, je te sens préoccupé… Je suis aussi ton directeur de conscience, et je dois être indiscret…

- Ce sera un viol aussi…

- Oh ! Alors si c’est l’idée que tu te fais du viol, nous sommes tranquilles. Tu auras encore culpabilisé pour des broutilles… Et puis moi… Moi ça ne me dérange pas de te violer un peu ! Dans ton appel, ou ta détresse, tu m’as presque reproché de ne pas l’avoir fait plus tôt…

- Non, non. Je n’ai rien reproché, à personne. Qu’à moi… Rien qu’à moi. J’avais besoin que vous me rassuriez, c’est tout…

- Et y suis-je parvenu ?

- Oui, momentanément…

- Mais après ?

- Après, elle est venue en confession… Voici… c’était une jeune femme, trois fois mariée…

- Vierge ?

- Oui ? Non… Justement, malgré elle, malgré ses différents maris… Une affaire qui m’a d’abord dépassé. J’étais à cent lieues de tout ça… Elle se trouvait bloquée, dans son corps mais surtout dans sa tête…

- Tu l’as débloquée ?

- J’ai, au début, essayé de lui parler, de raisonner avec elle, de chercher une solution à son mal être…

- Et elle t’a ri au nez, et elle s’est déshabillée…

- … Vous croyez, vous croyez qu’elle a simulé ? Vous croyez qu’elle m’a provoqué exprès ? Moi, je la pensais inconsciente, obsédée par son problème…

- Non, non, je ne prétends pas qu’elle ait été perverse. Mais je devine qu’elle n’avait rien à faire de tes bonnes paroles, ni de tes prières que tu n’as dû manquer de lui proposer. Elle avait besoin d’autre chose, et je suppose que tu le lui as donné. Je ne vois pas pourquoi tu t’en es voulu ainsi… Voyons, ce n’était pas le diable ! Est-ce qu’elle… elle a eu l’air de t’en vouloir ?

- Non. Elle semblait très… gênée, peut-être un peu coupable aussi. Elle m’a demandée l’absolution.

- Ah ! Tu vois… Elle venait consulter le curé, elle a été surprise de trouver l’homme, c’est tout. Surprise de le trouver, embarrassée de l’avoir défié…

- Mais si elle voulait rencontrer le curé, le curé seulement, pourquoi n’a-t-elle pas voulu de mes prières ? A quoi s’attendait-elle ?

- Mais, Justin, c’est elle qui était dans le vrai ! Sa foi merveilleuse…

- Mon père… vous la connaissez ?

- … Oui… Merveilleuse enfant ! Et merveilleuse sa confiance en toi ! Elle savait d’instinct que les curés, les vrais, les serviteurs de Dieu, d’un Dieu d’amour, de chaleur, de clémence, ce ne sont pas des diseurs de prières… Enfin, c’est très joli, la prière, quand on n’a plus que ça, mais franchement, Justin, ce n’est pas le plus efficace, tout de même, reconnais-le. Il y a parfois mieux à faire. C’est trop facile de se réfugier dans des oraisons passives… Ecoute, ne sursaute pas comme ça, ta prière t’appartient. C’est ton lien intime avec Dieu, avec notre Sainte Mère, avec la religion ; c’est ta façon de leur parler, de te recueillir, de réfléchir… soit. Si quelqu’un te le demande, tu peux aussi prier pour lui, avec lui… C’est ton métier, on te paye pour ça ! C’est le principe des messes dites pour les uns ou les autres. Tu es d’accord ? Mais enfin Justin, si quelqu’un, dans la rue, t’accoste en te disant : « Pitié, j’ai faim », tu ne vas pas lui répondre : « Je prierai pour toi », alors que tu peux lui faire l’aumône, lui acheter un bout de pain, c’est évident, non ?

- Oh !! Le même argument qu’elle ! C’est le même, c’est comme ça qu’elle m’a eu !

- Mais elle ne t’a pas eu, Justin ! Quel drôle d’idée ! Elle t’a éclairé sur le besoin qu’elle avait de toi, c’est tout. Ne regrette rien ! Tu frôles la rancune et la susceptibilité mal placée… Ce n’est pas chrétien, cela !

- Excusez-moi, mon père. J’ai tourné toutes ces questions dans ma tête pendant plus d’un mois, à m’en faire éclater le crane. Et j’en suis arrivé à me dire tout de même que le genre de pain que je lui offrais là… était un peu spécial. Moi, je n’avais rien à voir dans cette histoire, je m’y suis fourvoyé… je veux bien être curé actif et charitable, mais enfin… J’y vois l’œuvre du malin. J’ai perdu ma pureté, ma sérénité… J’ai cédé à la tentation et je ne m’en remets pas. Je suis sorti de l’aventure brisé par de sordides découvertes, terni dans la gloire que je mettais à aimer et servir la Vierge, déçu de moi-même, qui croyais, une fois averti, pouvoir résister… Obsédé d’images inqualifiables… Et en plus, je ne sais même pas si mon saint ministère aura amélioré la situation de cette femme…

- Ah ! Je me réjouis tout de même de constater que le thérapeute que tu t’es montré, s’inquiète du profit de son traitement… J’aime mieux cela, figure-toi. Car, mon cher enfant, il y a beaucoup à dire, vraiment beaucoup, sur ton aventure et tes états d’âmes… Oui, j’emploi le mot à dessein, tes états d’âme ! Quel orgueil, quelle complaisance pour toi-même, dans tout ce que tu racontes ! Quels besoins de t’écouter, de t’analyser, de magnifier tes petits avatars, tes petites erreurs de parcours ! Que te croyais-tu, hein ? Tu voulais demeurer sans tache, immaculé, jusqu’à la mort ? Lilial ! Une Sainte Vierge au masculin… un enfant Jésus, un Christ en somme… Mais de Christ, mon fils, il n’y en a qu’un, et ça suffit bien, vois-tu. D’abord, il a été amplement à la hauteur. On peut compter sur lui… ne t’ai-je pas déjà dit cent fois qu’il avait tout payé d’avance ? D’un autre côté, je vais sans doute te paraitre audacieux, mais j’ai le sentiment qu’il en a trop fait… Oui, le fanatisme, c’est un peu de sa faute, malgré son apparente bonhomie, tu vois. Il a d’une certaine façon… comment dire… coincé les gens. Il était trop… pur et dur, lui aussi, voilà… Notamment sur le problème de la chasteté… Tu sais ce qu’on dit de notre morale judéo-chrétienne ? On dit toujours « la vieille morale judéo-chrétienne ». On sait bien pourquoi. La chasse à l’impudicité, la continence, tout ça, c’est un peu démodé. D’ailleurs, si tu relis bien le Nouveau Testament, les épîtres, tu y trouves en même temps des recommandations de chasteté, mais aussi, le constat infiniment méprisant, des faiblesses charnelles de l’homme et de la femme. Comme on ne pouvait pas nier le principe vital, n’est-ce pas, on a limité alors les dégâts : « Œuvre de chair ne désireras qu’en mariage seulement »… Oui, mais voilà, même au sein du mariage, il parait que ça ne se passe pas toujours bien… avant, on n’en parlait jamais. Jamais. On en souffrait, mais ces petites misères semblaient si dédaignables, si incongrues… On avait honte de son corps, de ses exigences… Mais nom de Dieu, nous de chair et d’os ! Mais nous, les curés, ne sommes-nous pas les médecins de l’âme ?... Il faut que nous soyons à l’écoute, avec indulgence. Et tu te doutes que les choses du sexe passent avant tout par l’âme… Bonne volonté et indulgence. Mon petit Justin, quand un chirurgien opère, il ne se plaint pas d’avoir du sang sur la blouse… Il sort rarement propre du bloc opératoire. Bon, considère que tu sortes du bloc. Tu as été un peu éclaboussé. Et alors ? En voilà une histoire parce que ta blouse, ta soutane, a laissé un peu de son éclat dans l’intervention… Quel orgueil à vouloir demeurer blanc…

- La soutane, je ne la porterai plus.

- Et tu fais bien ! Oui, tu fais bien, tu es plus élégant sans ! Je te prédis un appauvrissement des bataillons du Christ, Justin, si on ne fait pas un peu de propagande ! Sors de la clôture pour rentrer dans l’ordre séculier. L’Eglise a besoin de garçons comme toi, une vrai réclame vivante. Tu es jeune, beau, intelligent, sensible, et en plus tu bandes !

- Oh ! Ça… on pourrait s’en passer.

- Comment « ça » ? Mais c’est le plus important, figure-toi. On ne fera pas envie aux chrétiens avec des figures d’anges asexués et chlorotiques. C’est fini tout ça ! Les curés abandonnent de plus en plus la robe. Il le faut. Ils doivent revendiquer leur virilité, c’est un principe de dynamisme. On est au vingt et unième siècle, qu’importe que les moinillons et les nonettes se branlent !

- Oh ! Mon père !

- Quoi, mon père ? Ton père, figure-toi, se faisait du souci… je te voyais si détaché, si loin des choses humaines… Encore un enfant, en quelque sorte. Tu as grandi, quoi ; je te le confie, je te trouvais presqu’un peu attardé… dans tous les sens du terme. Tu vois, tu me soulages ! Si tu avais été élevé autrement, tu serais ingénieur ou poète… Et tu ferais l’amour… Et tu trouverais cela normal.

- Mais, j’étais libre lorsque j’ai choisi de prononcer mes vœux, j’ai choisi. Pas uniquement déterminé par mon enfance. Je me suis engagé. Mon contrat stipulait la chasteté.

- D’abord, je soulignerai que tu t’es engagé sans savoir. On ne peut le comprendre qu’à postériori. Ensuite, je dirai que la chasteté n’est pas le point le plus important de notre sacerdoce.

- C’est vous-même qui en avez parlé tout à l’heure, d’un écart de régime. J’étais au régime, j’ai failli.

- Je retire cette expression idiote. On est au régime quand on est malade. Tu n’es pas malade. Ta foi ne doit pas te diminuer.

- Mais je pensais me grandir au contraire. Quand Marie est venue à moi, je m’attendais à la tentation…

- Et tu as accepté le défi ?

- Oui, avec ferveur même. Je lui ai dit : « Je prends ta douleur, je t’offre la mienne »

- Très bien, très bien. Sauf que, présomptueux comme tu es, tu pensais t’en sortir avec tous les honneurs. Tu vois, tu t’es trompé. Tires-en la leçon qui s’impose…

- Il faut s’éloigner de la tentation ?

- Non pas, non pas mon fils. N’oublie pas que Jésus, que tu sembles imiter, est allé de son plein gré au désert, pour être tenté. Même acabit pour toi, dans le fond. Un peu masochiste aussi…

- Alors quoi ? Quelle leçon ? Fuir la tentation c’est lâche. La provoquer c’est orgueilleux.

- D’abord, il y a suffisamment de tentations sur terre sans aller la provoquer, comme tu dis. Alors, ne pas les fuir, ne pas les provoquer, mais les subir simplement, avec l’idée qu’on peut succomber, et ne pas tomber malade pour autant. Sinon, c’est vaniteux.

- Je n’aime pas cette résignation, mon père. Ça me coupe tout courage. Je n’aime que l’idée de la victoire…

- Tu vois, tu es vaniteux. Et l’humilité, tu l’oublies ? Allons, allons… Tu me fais penser à ces gens, Justin, qui ne sortent pas dans le noir parce qu’ils ont peur d’avoir peur, à ces autres, qui avant une intervention, ont déjà mal de la douleur qu’ils imaginent. Toi, tu éprouves la tentation de la tentation, et tu souffres de l’idée qu’il te faut la provoquer pour et n’y pas succomber. C’est absurde !

- Mais vous, mon père… Pourquoi portez-vous la soutane ?

- Oh ! Moi, je suis plus petit que toi. Ça m’avantage un peu la silhouette… Repose-toi et prends soin de toi. Et… ne réfléchis pas trop. Tu as encore un peu de fièvre, j’ai peur d’une rechute.

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