Confessions du désir - jusqu’à l’abandon - 1

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Acte I - Massif de la Grande Chartreuse ; Saint Pierre – l’église de la paroisse.

Le prêtre Justin ; Marie, beurette d’origine palestinienne, en confession.

- Vous êtes ravissante, Marie… Pardonnez la faiblesse de l’homme que je suis avant d’être le père spirituel que je devrais être. Votre beauté est saisissante… de la splendeur des houris de Palestine ! Mais je m’égard, je vous présente mes excuses ; sachez tout de même que je suis seul à même de vous faire découvrir ce que nul ne saurait vous faire connaitre : la spiritualité de l’amour.

- Mon père, j’ai peut-être ma propre définition de la spiritualité de l’amour… Si je vous la définissais avec précision, je vous dirais : je veux que les hommes m’aiment comme une sainte, mais qu’ils me prennent comme une pute.

- Excellent Marie, c’est dans la nature des choses. Vous n’avez rien inventé en disant cela… La complexité de l’être humain est sans limites. C’est une dualité permanente qui met en œuvre l’esprit et la chair ; l’esprit… souvent contre la chair. Pour ne pas dire toujours. Ainsi, ma fille, mon esprit de père spirituel est en ce moment même contre ma chair faible d’homme, et c’est naturel. Je me dois d’assumer ce combat.

Depuis Êve et la pomme croquée, ‘la femme est l’avenir de l’homme’ mais elle n’en est peut-être pas son péché pour autant… N’est-ce-pas ? Après tout, Dieu est Dieu, mais rien ne nous dit que Dieu n’est pas une femme ? Parce que les religions créées par des hommes, pour des hommes, nous disent le contraire, c’est tout. La vôtre comme la mienne, Marie. Vous voulez qu’ils vous aiment comme une sainte, vous priez qu’ils vous prennent comme une pute. Excellent ! Marie-Madeleine devait penser la même chose face au Christ. C’est normal. L’homonymie n’est peut-être pas innocente… Inversez votre proposition et dites : je veux qu’ils m’aiment comme une pute, je prie pour qu’ils me baisent comme une sainte… ça n’a pas de sens ! Preuve que vous êtes dans le vrai. Preuve que votre Créateur l’a voulu ainsi. Les démons sont dans l’esprit, ils ne sont pas dans le corps, Marie… Dans l’esprit, jamais dans le corps. Le péché n’existe pas, Marie. C’est nous, qui avec notre imagination maladive ne cessons de le créer, et d’inventer des lois pour le conforter. C’est notre imagination qu’il faut guérir. Nous sommes responsables du monde dans lequel nous vivons puisque c’est nous qui le créons ; notre manque « d’imagination éclairée » nous enferme dans les limites où notre cœur et notre intelligence se sont arrêtés…

- Mon père, mon expérience sexuelle est toute neuve, mais je peux vous dire qu’elle est marquée. Je viens en fait, après trois mariages successifs, je viens de découvrir les hommes, je veux dire le sexe des hommes. Avant, je réduisais cela à rien. Aujourd’hui, je suis prête à tout pour les exciter.

- Exciter est le mot, Marie… Mais n’oubliez pas Marie-Madeleine dont tout semblerait à croire qu’elle était la maîtresse du Christ… Marie-Madeleine qui était une prostituée, et sur laquelle peut-être, si l’on en croit Léonard de Vinci, le Christ a voulu fonder son église. N’était-elle pas l’excitante du Christ ? La vérité est là… Celle que l’église, la nôtre, a toujours voulu cacher. Parce que, encore une fois, les religions sont écrites par les hommes, pour des hommes.

- Alors je continue mon père, parce que mon mal de vivre vient simplement de ce manque de compréhension de la société à mon égard. Manque de compréhension de l’autre et des autres, quel qu’ils soient ; je n’arrive pas à avoir d’amis… y compris vous ! J’insiste sur l’immensité de ma foi, mon père. Mais je ne comprends pas qu’elle ne nous autorise pas à choisir, à prendre du plaisir à certains et de l’amitié à d’autres. A prendre à certains l’amitié d’un verre partagé, et commettre le péché de chair à d’autres ?

- C’est tout le message de Dieu, Marie. Dieu n’a jamais été contre le péché de chair, ni contre le péché d’amitié. Dieu protège et aime ceux qui font l’amour. N’y a-t-il pas plus beau message que celui qui consiste à prononcer la phrase « faire l’amour » ? Seule la religion s’y est opposée, car la religion avait des pensées de conquête, elle a voulu établir une morale pour maitriser les hommes. Dieu vous a créée avec une chatte, l’homme avec une queue, ne pensez-vous pas qu’il avait une idée derrière la tête en faisant cela ? La chatte doit recevoir la queue, la queue doit pénétrer la chatte. Qu’y a-t-il de mal à cela ? Rien ! Seulement des règles édictées par ceux qui nous gouvernent, et qui veulent nous manipuler ; pouvoirs et religions, un même combat depuis toujours.

La condition d’amitié est la même. Mais on ne peut reprocher à l’homme qui voit la pomme de vouloir croquer la pomme, ou d’essayer de le faire. C’est dans sa nature d’homme. A lui de faire la part des choses et, parfois, de se contenter de l’amitié qui lui est offerte.

- Mais la condition d’amour, mon père, la condition d’amour, comment en être certaine…

- La condition d’amour, Marie, c’est-à-dire vouloir qu’il vous aime et en être certaine… J’aurais tendance à vous dire ceci : s’il vous aime, c’est dans sa manière de fabriquer l’amour qu’il vous le montrera, donc aussi de le faire ! S’il ne le considère pas comme une fête permanente, alors vous pouvez avoir la certitude qu’il ne vous aime pas. La certitude ?… Vos certitudes… vos certitudes, Marie ! Croyez-vous que moi-même j’en ai ? Je ne fabrique pas l’amour avec Dieu ; je ne fais pas l’amour avec Elle, ou avec Lui… Et pourtant j’ai du désir, fût-il spirituel. Car il s’agit bien d’une relation d’amour total entre Lui et moi. Je suis empreint de doute parce que je n’ai pas le ressenti du corps. Le ressenti de votre corps est la preuve de votre esprit ; bien fabriquer l’amour, le faire, c’est déjà aimer. Il n’y a pas de ruse là !

- Mais mon père, est-ce un péché que d’aimer l’autre ? Ou les autres en ce qui me concerne ? Seriez-vous capable de m’aimer, sans fabriquer l’amour avec moi ?

- Bien sûr, Marie. Bien sûr aussi que j’aimerais vous faire l’amour… Mais fabriquer de l’amour ensemble… Avec vous ! Pourquoi porter cette culpabilité ? Voyez-vous, l’ordre des choses fait que le sacrifice qui m’est demandé est de ne pas le faire. Je vis sans soucis, à l’ombre de Dieu tout puissant, qui me protège, me garde. Alors imaginez qu’en retour je fabrique de l’amour avec d’autres, cela n’aurait aucun sens. Tous les gens qui ont peur du doute viendraient vers nous, les religieux. Pourquoi ? Parce qu’ils seraient rassurés ? Si ce sacrifice ne nous était pas demandé, alors tout le monde serait religieux.

Cessez donc de vous tourmenter, par excès de culpabilité, Marie ! Vous ne feriez pas une bonne Sœur parce que vous aimez fabriquer l’amour, le faire, le vivre, pour vous ôter le doute qui lui est lié. Les Sœurs choisissent de le vivre, sans jamais le fabriquer. Les Sœurs choisissent de croire, sans jamais douter. Les Sœurs acceptent de ne jamais voir cette petite flamme dans les yeux de l’autre, qui au moment de la jouissance est la preuve irréfutable d’un désir d’amour. Les Sœurs n’ont aucune assurance de l’amour de quelqu’un, elles croient en cet amour. Croyez-vous Marie, que cela ne soit pas un choix ?

- Et vous mon père, en tant que curé ?... Je ne parle que d’amour de mon prochain, qu’il soit-il, qu’il soit elle… je ne parle ni de mes précédents maris, ni de tous les autres, ils ont déjà disparu à mes yeux, mon père.

- Parlez-moi d’amour tout court. Imaginez un monde où tout le monde s’aimerait. L’amour du prochain, c’est s’aimer les uns les autres. Ça veut dire quoi l’amour du prochain ?… Comprenez, comprenez cela Marie, vous n’avez peut-être pas de mal à fabriquer de l’amour avec quelqu’un que vous n’aimez pas, mais croyez l’homme que je suis, il n’y a rien de plus ennuyeux que fabriquer l’amour avec une femme que l’homme n’aime point. L’amour apporte sa preuve avec le corps… Si j’étais pape, Marie, je dirais au monde : « Faites chanter votre corps pour libérer votre esprit de la prison dans laquelle il vous enferme ». L’amour du prochain est beaucoup plus complexe… S’il existait, Marie, nous serions tous au paradis… Vous tenez la pomme dans la main, comme Eve, et vous parlez à l’autre, quel qu’il soit. Que veut l’autre ? Croquer la pomme… Pour cela, il peut vous conter bien des mondes… Mais lorsqu’il l’aura croquée ? … Que feras-t-il ? Rien, il ne fera rien de plus pour vous.

- Mon très cher père, comprenez-moi bien, je suis ouverte à tout pour l’autre. Pour vous, est-ce un péché que d’avoir envie de vous… vous faire l’amour, mon père ? … Y a-t-il un péché dans cet accès de franchise ?

- Sartre écrivait l’enfer c’est les autres… N’est-ce pas une forme de réponse à votre question ? Vous ne pouvez lutter contre le grand mystère de l’humanité. Votre générosité d’ouverture n’est pas payée en retour. C’est tout. Elle est payée de soi-disant amis qui vous trahissent. Mais croyez-vous que la générosité du Christ prophète ait été payée en retour ? Cloué sur une croix après l’enfer ! Trahi et renié trois fois par ses apôtres… Ce n’est pas un péché d’être ouverte à l’autre, c’est un danger. Un terrible danger, Marie. Un épouvantable danger.

- Mon père, dois-je être punie pour aimer le sexe ? … Hier soir, par exemple, j’ai flirté avec un inconnu dans sa voiture sur un parking. Je quittais mon amant qui venait de me faire l’amour, mais je n’ai pu m’empêcher. Il me plaisait, c’est tout.

- Quelle correction puis-je te donner, ma fille ? Puisque tu ne fais que ce qu’Ève à fait en faisant croquer la pomme à Adam et en créant le rêve d’humanité. Tu n’es pas en état de péché puisque tu es en état de grâce ! Que veux-tu payer ? Et en vertu de quoi ? Et surtout pourquoi ? La seule chose que te demandera Dieu sera : « Qu’as-tu fais de ta vie, raconte-moi, qu’as-tu fais de ta vie ? » Si tu lui réponds : « J’ai fait l’amour, j’ai fabriqué de l’amour, avec des gens que j’aimais », que veux-tu qu’il te réponde ? On ira tous au paradis.

- Mais trouvez-vous normale cette envie perpétuelle ?

- Elle cache un mal être que tu as eu dans ta vie. Un mal être qui te poursuit et te poursuivra toujours. Ce mal être est fondé sur ton doute.

- Mais comment pouvez-vous parler de tout cela, vous ne pouvez pas connaitre ce plaisir de la caresse, sur la peau rougie et craintive, l’envie cruelle de hurler : « Prends-moi, maintenant ! ». Vous ne pouvez connaitre le plaisir de séduire. C’est avec un verre à pied que j’ai commencé à jouer, ou plutôt à sculpter. Mon père, imaginez… Regarder un homme droit dans les yeux, en jouant avec un verre, rien n’est plus délicieux… Passer son doigt délicatement sur le galbe en le mouillant légèrement pour qu’il puisse glisser, puis avec seulement deux doigts, remonter le long de la hampe, et redescendre… pour remonter… C’est divin, mon père ! L’important, c’est de ne jamais quitter l’homme des yeux ; ce truc-là marche à tous les coups. C’est une folie d’être une femme, mon père… Une folie.

- C’est très beau, et certainement très vrai, Marie. Assume le Ciel, assume l’autre sans peine ni rigidité. Mais que ta générosité ne soit pas empreinte de naïveté, sinon, tu n’enlèveras rien à ta souffrance, au contraire, tu la feras perdurer à l’infini. Par folie tu es femme, tu l’es deux fois parce que tu es femme et arabe, victime des préjugés installés par l’humanité, et par les religions judaïques mais aussi chrétiennes dont je fais partie. Et cela, ma fille, tu ne dois jamais l’oublier. Jamais.

- Mais mon père, vous qui êtes homme, vous n’êtes donc jamais tenté ?

- Si, car la femme est le premier instinct guerrier de tout homme normalement constitué. Y compris moi, ma fille… Y compris moi, moi qui n’ai jamais fabriqué l’amour ni cédé à ses appels. Moi qui suis vierge, par pure protection pour être toujours et partout un guerrier du Christ. Moi, qui au temps des Croisades violais les femmes arabes en prétextant qu’elles n’aimaient que ça ! Je ne le renie pas. Je le paie, je le paie avec l’amour que je porte à Dieu. Avec l’amour que je te porte.

- Oh ! Bien sûr, vous êtes au-dessus de tout ça. Vous allez me proposer des prières… Mais c’est comme si je venais de dire à quelqu’un qui jeûne que moi, je meurs de faim…

- Marie, Marie, ma fille, taisez-vous ! Je vous donnerais à manger si vous mouriez de faim, même si je devais être toujours à jeun, je trouverais à vous rassasier… Je vais vous chérir, vous êtes ma brebis blessée et je suis votre berger, à genoux, vous voyez, pour soigner vos blessures…

La nuit à la sacristie fut plongée dans des affres torrides… Avec une puissance non contenue, il lui imposa des coups de bélier au fond du ventre, en murmurant :

- Tu aimes ça, alors profite, prends, profite de moi.

Je descendrai la pente

pas

après

pas

jusqu’à

atteindre

le fond

Il la posséda avec puissance, éjaculant plus de trente ans de chasteté…

- Mon Dieu, vous avez créé l’homme à votre image… C’est tout de même étrange. Et votre fils Jésus a incarné cette image. Vous lui avez fait une bouche, un estomac, puisqu’il mangeait avec ses disciples ; vous lui avez fait des mains et des pieds qui ont souffert et saigné sous les clous de la croix. Vous lui avez fait une tête, couronnée d’épine, un trou dans le flan et un cœur qui s’est arrêté de battre… Vous lui avez fait un sexe puisqu’il était circoncis… Alors pourquoi a-t-il toujours feint de n’être pas un homme ? Ses tentations furent incomplètes ? Il a eu faim au désert et peur à Gethsémani… Il a renoncé au miracle qui l’aurait rassasié, à la gloire, à la puissance, il a rejeté les offres de Satan… Et Marie-Madeleine ? A-t-il bandé ? A-t-il rencontré des femmes qui l’ont bouleversé, a-t-il senti au fond de son ventre l’insurrection de sa chair ? L’a-t-il domptée ? Où est l’exemple ? Mon Père, vous m’infligez des maux que votre fils n’a pas connus ! Vous m’avez donné un organe qui devait m’être inutile, et puisque je m’étais engagé à l’ignorer toujours, pourquoi avoir permis qu’il se révèle tout à coup et me torture ? Je suis tout seul face à mon combat, à mes questions, à mes tourments. La puritaine Eglise m’a laissé croire à l’infini petitesse des choses du sexe, et vous avez réveillé mon corps trop tard ! Je vous en veux, mon Dieu, et je répugne à vous demander votre aide dans une lutte où vous m’avez méchamment jeté tout seul, sans défense. Je ne crois pas aux entreprises de Belzébuth, ce serait vous offenser gravement que d’imaginer qu’il puisse agir sans votre consentement. C’est vous, c’est vous mon Dieu, le Tentateur Suprême, et ce n’est pas loyal d’offrir d’une main ce qu’on interdit de l’autre…

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