Peur

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Elle se réveilla. Les draps autour de son corps étaient sec, chauds. Leur odeur agressa ses narines. C'était un parfum beaucoup plus chimique que celui de la forêt où elle s'était endormie. Beaucoup plus humain. Elle s'était redressé d'un coup sur le lit où elle reposait. La chambre autour d'elle était sombre et sobre. La forme d'une armoire et d'un bureau se dessinait dans la pénombre. La forme de ses chaussures se dessinaient dans l'obscurité. Elle prit peur. Elle avait une impression de déjà vu.

Elle avait vécu une expérience similaire. C'était certains. Elle s'était réveillée dans une chambre inconnue, entourée d'un noir opaque et oppressant. Plus elle y pensait et plus des sensations lui revenaient, sourdes, étouffées, mais présentes. La peur qui lui broyait les entrailles, un sentiment de creux dans la poitrine, la tristesse.

Elle se rallongea sur le lit où elle se trouvait, fermant douloureusement les yeux pour essayer d'arracher à sa mémoire défaillante plus que ces maigres bribes d'informations. Soudain un prénom surgit comme un éclair dans sa mémoire : Anne.

Elle s'était redressée brusquement, avant de saisir sa tête entre ses mais. Son crane la lançait terriblement. Les yeux fermés, elle n'avait plus, au milieu de la douleur, que ce prénom obsédant en tête. Etait-ce son prénom ? Elle n'arrivait pas à s'en souvenir. Le prénom lui semblait trop récent et si peu ancré en elle qu'elle ne parvenait pas à s'en convaincre. Elle s'accrocha à ces quelques lettres comme à une bouée de sauvetage au milieu des flots désorganisés de sa mémoire. Elle sentait qu'elle touchait du doigt un souvenir qui se dérobait constamment à son contact.

Épuisée d'essayer de se souvenir, la jeune fille reposa son corps sur le matelas, passant le dos de sa main sur son front brûlant. Elle sentait dans ses yeux briller des larmes. Elle avait du prendre froid quand elle était dans le canyon. Elle se sentait fiévreuse.

La porte de la chambre s'entrouvrit, mais elle n'eut pas la force de se redresser pour regarder l'homme qui venait d'y entrer. Elle se sentit soudain apeurée. Elle était là, sans défense, dans une maison qu'elle ne connaissait pas. Et quelqu'un venait d'entrer dans la pièce. Elle eut envie d'hurler mais n'y parvint pas. Un nouveau flash assaillit son esprit. Elle était attaché à une table en aluminium. Elle avait froid. Ses poignets et ses chevilles étaient serrés par de désagréable mains en fer. Ses yeux sont éblouis par des lumières trop blanches. Soudain, des doigts gantés surgissent de la lumière, s'approchent d'elle. Ils sont bleus, il franchissent petit à petit le peu de vide qui les sépare d'elle. Ils vont l'attraper, lui faire du mal, elle le sait, elle le sent. Elle a peur, elle veut s'enfuir. Elle hurle, elle se débat ; elle veut partir, loin d'ici mais elle ne peut pas. Un visage de femme apparaît soudain dans son champs de vision. Une femme ténébreuse aux traits tordus par la douleur. Soudain, une voix surgit au milieu du chaos :

- Arrête ! Arrête bon sang, lâche moi !

Elle revient lentement à la réalité. Elle se tient toujours dans la chambre. Le matelas est moelleux. L'obscurité l'entoure de toute part, rassurante après cette horrible lumière qui lui avait brulé la rétine. Ses ongles sont plantés dans des bras aux mains dénuées de gants bleus. Elle remonte peu à peu son regard jusqu'à croisé le regard empli de question du propriétaire de ces bras. Il s'agit d'un homme d'une trentaine d'année. Son visage est fin, anguleux, à son cou se balance une paire d'écouteurs.

Elle le repoussa en hurlant. Il était moins terrifiant que la femme de sa vision. Mais lui était bien réel. Des phrases lui revenaient en tête, des extraits d'émission radios. Des mots se répétèrent : "viol", "agression", "séquestration", "kidnapping". Toujours accolé à un autre "homme". Il va lui faire du mal. Sinon, pourquoi l'aurait-il amené chez lui, plutôt qu'à l'hôpital ? Elle se lève du lit, arrachant des câbles sur son passage. Elle s'enfuit vers la porte de la chambre. Dire qu'il y avait encore quelques minutes, elle se sentait incapable de bouger ne serait-ce qu'un orteil. Maintenant la peur la maintenait totalement éveillée. Elle fut éblouie par la lumière du couloir et frissonna un peu plus de peur en se remémorant l'étrange cauchemar éveillé qu'elle venait de vivre. Elle s'élança à travers l'appartement, presque à l'aveuglette. Elle se trouva rapidement face à la porte d'entrée dont elle secoua vigoureusement la poignée ; fermée. Elle était prise au piège. Elle retourna, l'homme se tenait derrière elle, essoufflé.

Dans d'autres circonstances, elle aurait pu trouver comique qu'il soit à bout de souffle simplement après l'avoir poursuivi à travers un minuscule appartement. Mais actuellement, elle avait envie de tout sauf de rire. Car même si cet homme aux cheveux bruns s'essoufflait rapidement, elle ne pouvait de toute manière pas s'enfuir : elle était bloquée. Soudain, alors qu'elle fermait les yeux, préférant ignorer jusqu'au bout ce qui allait fatalement arriver, une douleur fulgurante traversa sa poitrine. Elle agrippa à travers son haut blanc la forme cylindrique qui dépassait de son torse. Il lui semblait que l'on venait de lui planter un pieu dans le cœur.

Elle s'effondra sur place contre la porte, alors que l'homme se ruait sur elle.

Tant mieux, pensa-t-elle. Tant mieux si je meurs de douleur. Au moins, je n'aurais pas le temps de vivre ce que cet homme avait prévu de me faire.

Elle s'était sentie soulevée par les aisselles sans délicatesse. L'homme avait trainé son corps jusqu'à la chambre. Comme un cadavre qu'il voulait dissimuler. Etait-elle morte ? Pourtant elle sentait encore l'odeur de cigarette de l'appartement, les mains caleuses de l'homme sous ses bras. Elle entendait vaguement ses jurons en arrière plan. Elle sentit qu'elle touchait du doigt un nouveau souvenir. La mort... Elle était trop fatiguée pour y réfléchir. Elle devait dormir... Elle se sentit lentement sombrer dans des limbes qui lui semblait familière. Soudain, elle sentit comme un décharge électrique traverser son corps. Elle avait rouvert les yeux.

Autour d'elle l'homme s'affairait. Il avait relevé son haut blanc, mettant sa poitrine à nue. Il la préparait sans doute pour le viol avant qu'elle ne soit plus qu'un cadavre froid. Oui... C'était sans doutes ça. Qu'est-ce qu'elle devait faire ? Rien... Rien... Elle sentait à nouveau les ténèbres l'envahir. Elle mourrait. Bientôt, elle ne serait plus qu'un amoncellement de chair au milieu de la chambre.

Nouveau choc électrique. Elle reprit brutalement sa respiration ; elle découvrit avec surprise qu'elle avait retenu son souffle. L'homme était devant elle, ses yeux bruns la fixant avec inquiétude dans la pénombre. Dans sa main il tenait un câble. Un câble électrique qu'il plongeait directement dans son torse.

Ah oui, se souvint-elle. La chose dans ma poitrine. Est-ce qu'il sait ce que c'est ? Qu'essait-il de faire ? Il me veut en vie ? Pourquoi se donner tout ce mal... Pourquoi ne pas me laisser partir... Il y a plein d'autre fille à aller agresser, pourquoi moi ? Je suis faible... Je ne manquerais à personne... Personne dont je ne me souvienne en tout cas. Voilà pourquoi.

- Tout va bien ? Vous m'entendez mademoiselle ?

Le ton de l'homme la surpris. Son ton était étonnamment doux.

- Qu'est... Qu'est ce que vous me faites... avait -elle demandé, se demandant si elle avait envie qu'il réponde à cette question.

- J'essaie de réparer la prothèse qui vous maintient en vie... Mais je vous avoue que cela aurait été plus simple si vous ne vous étiez pas levée en arrachant toute mon installation.

Dans sa voix, elle perçu un reproche. Elle émit un rire nerveux, sans savoir pourquoi. Elle ne savait plus grand chose de toute façon.

- Ah oui... J'ai senti des câbles tout à l'heure...

- Oui. Je dois dire que ça m'emmerde bien mademoiselle, avait-il répondu en continuant à œuvrer.

- Pourquoi vous ne m'avez pas emmené à l'hôpital ? avait-elle demandé en le regardant, les paupières lourdes comme du plomb.

- Avec un truc pareil dans votre torse, j'aurais provoqué une panique générale. J'aurais sans doute aussi signé mon arrêt de mort et le votre. L'EDM aime la discrétion. Mais rassurez-vous : je connais bien les translacoeurs. Je devrais pouvoir à a minima le garder dans cet état.

- J'ai arrêté de suivre à partir de EMD...

Il s'était un instant stoppé dans son travail.

-EDM, vous vouliez dire EDM. L'Entre Deux Mondes ?

- Si vous le dîtes...

Il n'avait plu rien dit, perplexe. Il avait finit son travail. Puis il l'avait aidé à se rallonger dans le lit. Délicatement, l'homme avait relevé la couverture sur son corps. Les lumières des installations électriques luisaient dans le noir.

- Vous... Vous ne me faites rien ? osa-t-elle demander alors qu'il se dirigeait vers la porte.

- Qu'est-ce que vous voudriez que je vous fasse ? Croyez moi, vous avez déjà vécu l'enfer. Maintenant dormez : on parlera quand vous irez mieux.

Il ferma la porte avec délicatesse sur ces mots. Elle décida de l'écouter. Elle referma les yeux, une impression de paix dans son torse. Elle sentait dans son torse une délicieuse chaleur s'étendre.

Finalement... Il lui avait fait du bien.

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