Chapitre 83 - La confrontation avec Patrick

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Comme à l’habitude, les retrouvailles avec Patrick furent très chastes mais Jennifer n’y attacha que peu d’importance lorsqu’elle découvrit le visage de son compagnon.

« Tu as l’air vraiment crevé.

— Tu trouves ça étonnant ?

— Non, fit-elle sèchement avant de lancer un regard périphérique. Il n’y aurait pas un endroit plus…

— Privé ?

— Oui.

— Il y a peut-être un coin, là-bas, à côté des machines à café. Les gens n’y vont pas car c’est loin de l’accueil . On n’est pas visible pour le personnel soignant s’ls viennent nous chercher.

— Allons-y.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il faut qu’on parle et que j’ai envie d’un peu d’intimité. »

Patrick hocha la tête tout en fronçant les sourcils. L’attitude de Jennifer n’était pas ordinaire. Il fit signe de le suivre. Jennifer se décala et il aperçut alors Shany.

« Oh, salut… Je ne t’avais pas vue. » fit Patrick à l’attention de sa belle-sœur.

Jennifer eut un mouvement de surprise car elle n’avait pas réalisé que Shany était à ses côtés. D’un geste de la tête, elle demanda à sa sœur de bien vouloir les laisser seuls quelques minutes. Bien que contrariée, celle-ci acquiesça et s’éloigna.

Arrivés au niveau des machines à café, Patrick s’essaya à entamer la conversation.

« De quoi veux-tu parler ? »

Jennifer fit signe à Patrick de se ranger dans le renfoncement. Elle voulait éviter le regard d’une personne extérieure.

« Je ne sais pas trop par quel bout commencer… humm, promets-moi d’écouter, sans m’interrompre. Après j’essaierai de répondre à toutes tes questions, toutes tes remarques.

— Ok. » fit Patrick d’un ton qui laissait transparaître une certaine inquiétude.

Jennifer prit une grande inspiration.

« Commençons déjà par le plus gênant et ce que je n’aurais pas dû te cacher. Tu te rappelles de mon dernier appel ?

— Bien sûr, je ne suis pas vieux au point de perdre la mémoire encore.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, pardon. Au moment où je t’ai appelé, je venais d’apprendre où était Clara.

— Je ne comprends pas. Tu savais pour Jodie ? Comment est-ce possible ? T’étais à Paris ! Comment ? Et…

— Et pourquoi j’ai préféré ne rien te dire ? J’y viens. Non, je n’avais et n’ai jamais eu l’intention de te faire souffrir pour le plaisir. En vérité, c’était une position tactique et aussi parce que je ne voulais pas avoir la discussion que nous sommes en train d’avoir, par téléphone, sans pouvoir se voir et te parler en direct »

Jennifer regardait Patrick droit dans les yeux. Elle voyait l’énervement commencer à le gagner. Elle ne le lâchait pas gardant le contact, ne baissant pas le regard. Tant qu’elle continuerait ainsi, elle savait qu’il tiendrait la pression.

« Cette omission a à voir avec la raison pour laquelle j’ai fait une escale à Paris avant de revenir sur New-York.

— Oui, d’ailleurs, je n’ai pas compris. La veille ou l’avant-veille tu m’avais parlé d’un problème de passeport mais tu étais du côté de Pise, je crois. Je n’ai pas percuté sur le coup mais c’était quoi cette embrouille ?

— Justement, j’y arrive. »

Jennifer prit soin de lui raconter les événements des dernières heures dans le détail. Patrick secoua la tête.

« Mais vous avez vraiment un problème dans cette famille ! s'écria-t-il. Tu ne pouvais me dire directement les choses ! Tu n'as pas confiance en moi en somme !

— Non, ce n'est ça, Patrick. Simplement tu sais bien qu’avec la maladie de Clara, soulever un espoir de solution ne se fait pas comme ça et qu’on n’a pas envie de s'y engager si on n’a pas la moindre idée sur le crédit à lui accorder. »

Patrick faisait une tête indescriptible. Il était sûrement à deux doigts de laisser éclater sa colère mais le fait d’avoir parlé d’un espoir de traitement l'en empêcha.

« Maintenant que je t’ai résumé la situation, j’estime que nous sommes adultes et que nous devrions être capables d’encaisser nos différends. Nous devons décider ensemble là où est l’intérêt de Clara. »

Les mots de Jennifer firent mouche. Elle-même fut surprise de s’entendre. Elle avait trouvé le ton et le juste discours à tenir. Elle n’en revenait pas. Les traits du visage de Patrick se détendirent montrant que ses phrases l’avaient apaisé.

« Jennifer, je ne doute pas que la santé de notre fille soit dans tes préoccupations. Mais comment envisager la suite ? On met de côté la greffe ? Tu as conscience que si nous décidons d’attendre, un autre patient bénéficiera de ces poumons ? As-tu pensé que si le remède que vous proposez avec votre plante miracle ne fonctionne pas, il faudra encore attendre des poumons compatibles avec Clara ? Je ne suis même pas sûr que le fait qu’on renonce à cette greffe ne compte pas comme une évaluation négative pour la suite. »

Jennifer ne sut pas tout de suite quoi répondre. Les craintes de Patrick n’étaient pas infondées. Cela dit, Jennifer se souvenait de ce que le docteur avait dit à propos de la greffe. Il n’avait aucune certitude sur le fait que cela puisse soigner Clara. Son raisonnement n’était fondé qu’à partir du moment où la greffe était l’unique option.

« Ecoute, faisons le point, fit Jennifer. On n’a aucune certitude, je te l’accorde. Mais tu m’accorderas que depuis mon voyage au Myanmar, que ce soit de mon côté ou de celui de Shany, il y a une sorte d’alignement de planètes pas ordinaire.

— Effectivement, mais…

— Je suis d’accord, on laisse de côté l’aspect astrologie. Nous avons tout de même des éléments factuels qui tendent à prouver. »

Jennifer revint sur les éléments que elle et Shany avaient collecté durant son voyage en Italie.

« Jennifer, ne me dis pas que tu me fais tout ce speech dans l’intention de me faire avaler des couleuvres. Un remède qui date du dix-septième siècle serait propre à soigner notre fille ? Et qui est ce type qui vend des remèdes de grand-mère ? On pourrait sauver notre fille d’une maladie grave et qui dure depuis des années avec une miette de plante ? Toi et ta sœur nagez en plein délire. C’est Shany qui t’a convaincue d’éviter la greffe ? Vous faites une secte à vous deux, quoi ! Vous vous prenez pour qui ? demanda Patrick.

— Je ne peux pas revenir sur le passé, elle l'a fait, il faut faire avec. En tout cas, je ne peux m’empêcher de louer sa démarche scientifique.

— Vous sauriez mieux que les médecins qui cherchent depuis des décennies un médicament qui pourrait venir à bout de cette maladie qu’est Panzuzu ?

— Il y a quand même des éléments tangibles avec la guérison de la fille de Battaglini qui est mon ancêtre. De plus, Shany a fait valider ses résultats à son directeur de thèse.

— Bon admettons, reprit Patrick, même si je n’approuve pas sa méthode et le fait qu’elle nous ait caché ses expériences, je connais le sérieux et la probité de Shany. Et elle ne jouera jamais la vie de Clara sur un coup de tête.

— Ça vaudrait le coup d’essayer, non ? »

Tout en réfléchissant, Patrick faisait les cents pas à travers la pièce. Il était en train de peser le pour et le contre des possibilités : la greffe est-elle préférable pour une solution certes délicate mais définitive ou bien une voie basée sur un médicament encore à fabriquer de manière reproductible peut-être à absorber à vie mais aux conséquences moins hasardeuses ? D’un autre côté, la greffe se basait sur l’hypothèse que la maladie de Clara se situait au niveau de ses poumons car c’était là où conduisaient les symptômes de la maladie. Mais comme lui avait dit Marlowe, le fait que cela aboutisse à un succès tenait purement d’un pari.

« Bon… bon… je pense que la méthode médicamenteuse vaut le coup. Il faut demander le plus rapidement possible à Shany de préparer le dossier, ses résultats une fois que le médicament a été administré pour le donner à l’équipe qui suit Clara. Organisée comme elle est, j’imagine qu’elle a déjà préparé tout ça.

— Bonne idée ! s’exclama Jennifer qui ressentait une flamme d’amour ravivée pour son mari.

— Nous devons préparer nos arguments. C’est qu’il va falloir convaincre les spécialistes qui s’occupent de notre fille nuit et jour. Ils ne vont pas accepter facilement qu’une bande d’amateurs puisse avoir trouver un remède. Marlowe n’est pas toujours très commode. Il est parfois sec.

— Ça, oui, j’y ai pensé aussi.

— Une fois que nous en serons à ce point, toi et moi irons voir Clara pour lui présenter notre proposition. Il faut qu’elle soit au courant. Garder ses poumons et prendre une médication ou bien se faire greffer avec le risque de rejet : c’est à elle de choisir. Si elle a quitté l’hôpital, c’est pour nous un signal, un message. Il faut replacer notre fille au centre de sa prise en charge de soins. Elle ne doit pas être un objet d’étude entre les mains des adultes. Est-ce que ça te va ainsi, Jennifer ou as-tu d’autres suggestions ?

— Parfait. »

Jennifer était subjuguée par l’attitude de son mari. Aussi souvent que sa mémoire pouvait revenir, Patrick n’avait jamais montré autant de détermination.

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