Chapitre 58 - La vérité sur Battaglini

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Le lendemain, Jennifer et Laurent se présentèrent au comptoir de l’hôtel à l’heure convenue. Calabra était déjà présent non seulement pour les accueiller mais aussi régler un problème d’ordre électrique. L’homme semblait être un hyperactif, un caractère qui s’opposait en tout point à celui de Laurent dont la tentation de l’oisiveté avait alimenté quelques publications journalistiques croustillantes. Après une poignée de mains aussi ferme que la veille, il les invita à le suivre dans une salle située au sous-sol. Dans l’ascenseur, il précisa :

« Ma secrétaire est prévenue. Nous ne serons pas dérangés les deux prochaines heures. »

Il les mena dans une pièce aux lumières tamisées. Un renfoncement abritait une machine à café italienne. Une grande table en acajou occupait la quasi-totalité de l'espace sur laquelle avaient été disposés des dossiers identifiés par des étiquettes.

« Je vous en prie, prenez place. Je peux vous offrir un café ?

— Volontiers, répondit l’écrivain.

— Je voulais introduire cette session de travail tout d’abord en m’excusant. Mon discours d’hier a certainement dû vous dérouter. Ma famille tient à ce que votre intervention préserve l’intégrité de Battaglini ainsi que le crédit que nous portent les habitués de notre enseigne. Business is business, comme on dit.

— Nous comprenons. » répondit-il du tac au tac.

Il voulait éviter les palabres interminables et espérait que Mr Calabra leur permette d’avancer.

« Très bien, nous pouvons commencer. Comme vous le constater, nous avons constitué ces dossiers, ma femme et moi, ce matin à la première heure. Habituellement, ces éléments sont à l’abri dans un coffre-fort. Enfin, ici, vous n’avez que des reproductions. Nous vous permettons d’en prendre connaissance aujourd’hui car nous pensons que la place de l'œuvre de Sergio Battaglini pourrait être valorisée. Il est injustement passé à la trappe alors que cet artiste a tenté de peindre avec des outils peu habituels et des manières de faire peu usitées à l’époque. Dans ces années-là, les écoles de peinture n'autorisaient que peu de prouesses, même pour les plus talentueux. Bref, je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps. »

Il était resté debout, dans une position hiératique. Il se déplaçait le long de la table et posait une main au fur et à mesure qu’il évoquait le contenu des dossiers.

« Nous avons placé ces éléments à dessein, dans l’ordre qu’il convient pour les lire et comprendre les pièces du puzzle manquants, comme vous dites, Mr Joly. Ce dossier-là comporte des lettres échangées entre le peintre et son mécène. »

Jennifer le coupa :

« En fait, nous avons déjà consulté les échanges épistolaires conservés par la Maison Rossi entre Battaglini et Giovanni. Donc ce que vous dites, c'est que nous n’en aurions lu qu’une partie ?

— C’est cela même. Ces écrits ont jalousement été gardés dans la famille.

— Hé bien, visiblement, d’après vos dires, j’ai l’impression que nous ne regretterons pas notre déplacement. » intervint la reporter.

Calabra acquiesca et poursuivit :

« Le deuxième dossier contient le titre de propriété de la maison dans laquelle Battaglini a peint. Ce troisième, les documents liés à la naissance du peintre. »

Mr Calabra marqua une pause, s’éclaircit la voix avant de continuer :

« Attendez-vous à reconsidérer vos connaissances, parcellaires à ce jour. En bonus, ce quatrième dossier contient l’arbre généalogique de la famille.

— Très bien. Jennifer, mettons-nous à l'œuvre. Mr Calabra, remerciez votre secrétaire pour nous. »

L’organisation de la journaliste et de l'écrivain était maintenant bien rodée. Ils n’avaient plus besoin d’en convenir au préalable. Jennifer lisait, traduisait les lettres. Laurent, quant à lui, sélectionnait les informations qu’il estimait nécessaires de coucher sur le papier.

Quand elle lisait, Jennifer plissait les sourcils. Ses lèvres articulaient les mots lus en italien au rythme de ce qu'elle arrivait à déchiffer mais bientôt, elle s'arrêta et releva la tête visiblement décontenancée.

« Jennifer, vous pouvez traduire ? »

Elle était sidérée.

« Oui, bien entendu mais tenez-vous prêt :

Riomaggiore, 18 novembre 1845.

Giovanni, Mon amour,

Cela fait un bon mois que j’ai emménagé dans ma nouvelle maison et maintenant, je peux le dire : je suis si heureuse ici, dans cette ville. L’air de la mer me sied à merveille. Je vais souvent marcher le long de la côte. Les embruns me portent et décuplent mon énergie. Lorsque je rentre à l’atelier, je n’ai de cesse de peindre jusque tard dans la nuit, même si je dois terminer à la bougie. Je ne vois pas le temps passé. Si ce n’est qu’il me tarde de te voir à nouveau. Éloignée de mon époux, je me consacre pleinement à mon art. Ma technique de dessin est bonne, je pense. Comme tu le sais, j’ai été fort bien formée par Eduardo Galini. Tu n’imagines même pas, avec le nombre de copies de tableaux qu’il nous demandait d’effectuer dans le but de former notre œil, notre goût et notre technique ! De mes balades, je rapporte des fleurs aux parfums extraordinaires pour en faire des bouquets. Ils sont si odorants. Me croiras-tu, j'essaye de faire des décoctions pour les intégrer dans mes compositions. Quelle folie ! Qui peut me freiner, ici, rien ne m’arrête. Dans cette région, je suis une inconnue. Que je peigne ou que j’aie une autre activité, personne ne songerait à me juger. Même si en tant que femme, je reste discrète. Mon atelier est installé au sous-sol. Pour les habitants, bien mariée et nantie, je suis une oisive qui n’a rien d’autre à faire que de traîner son ennui.

Ô Giovanni, il me tarde de te voir à nouveau. Cette ville est toute petite. Les habitants se connaissent tous de génération en génération. Nous rencontrer ici ne serait qu’incongruité. L’état d’esprit y est assez conservateur. Une femme se doit de tenir son foyer, éviter toute extravagance ou s’essayer à des occupations considérées masculines.

Fiorenza, ton amour. »

Soufflé par ce qu’il venait d’entendre, Laurent, tout en fixant Mr Calabra, réussi à articuler en détachant les mots :

— Heu, attendez, si je comprends bien, Batttaglini est une femme ?

— Affirmatif, confirma leur hôte.

— Si je m'attendais à ça ! Pourquoi n’en avez-vous jamais rien dit ?

— Pour quoi faire ? L’important finalement est que le talent de Battaglini soit connu et reconnu.

— Dites, ça fait sacrément une différence, renchérit l’écrivain. Vous ne trouvez pas que quelque part, c’est jouer le jeu du patriarcat ?

— Je ne vois pas la situation sous cet angle. Ma famille et moi savions qu’un jour ou l’autre la vérité adviendrait. Plus longtemps le mystère serait entretenu, plus la levée du secret génèrerait un effet de surprise dans le petit monde de l'art. Et c'est vous qui le lui révélerez... Le nom de Battaglini prendra encore plus d'ampleur grâce à vous.

— J’ai l’impression que vous vous servez de nous.

— Je ne pense pas, non. Nous n’avons rien provoqué. C’est vous qui êtes venus à nous. Nous savions que vous aviez écrit un premier tome. A aucun moment, nous ne vous avons contacté. Nous ne cherchons pas la publicité à tout prix. Notre nom, notre maison, notre réputation sont nos biens les plus précieux. Nous sommes discrets. Pour autant, nous n’avons rien à cacher.

— Oui, pardonnez-moi. Je comprends mieux votre position. Mais si nous ne nous étions pas manifestés ?

— Hé bien, dans ce cas, ce serait à nos descendants d'assumer, voilà tout. Ces secrets sont l’affaire de la famille. Au départ, tout ce monde a préféré enterrer tous ces événements. Battaglini devenait connu, les prix des toiles flambaient. Massimo de Luca ne souhaitait sous aucun prétexte que la paternité de ses enfants soit révélée. Voyez-vous chacun avait une bonne raison de se taire. Rappelons-nous que Fiorenza s'est faite passer pour un homme. Il fallait éviter le scandale, même après sa mort. L’église aurait certainement condamné cette affaire sur le plan moral. La société de l’époque se trouvait très influencée par les propos des religieux. De plus, Massimo aurait dû justifier pour quelle raison, son épouse avait effectué ce choix. Il ne pouvait pas dire ouvertement que sa famille avait bridé à ce point la créativité de sa femme.

« Bon, pardonnez-moi, coupa Jennifer qui s’était tenue à l’écart de la joute entre son complice et Mr Calabra. On lit la suite, Laurent ?

— Vous n’êtes peut-être pas au bout de vos surprises.

— Huuuuum. Bon, stoppons le suspens, voyons l’extrait de naissance.

— Mr Calabra, c’est écrit par un employé public dans un caractère spécifique que j’ai beaucoup de mal à lire. Pourriez-vous déchiffrer le document ?

— Je vous le résume ? A priori, Alfonso et Clementa Calabra ne sont pas les parents biologiques de Fiorenza. Et pour cause, il est inscrit Esposito sur l'acte. Ils sont cependant cités comme l'ayant adopté à l'âge d'un an. Avez-vous plus de détails ?

— Hé bien, comment dire. Il y a un secret autour de cette filiation. »

Mr Calabra but une gorgée d’eau. Il posa la bouteille sur la table, la tint comme si elle pouvait livrer à elle-seule la suite de ce qu’il s'apprêtait à dévoiler.

— Fiorenza Esposito est née la nuit du 18 novembre 1824 dans la chambre d’une auberge tenue par mon aïeul, louée à un couple arrivé la veille au soir. Le lendemain matin, Clementa, sa femme, s'est rendu compte que le couple avait disparu en laissant l’enfant. Imaginez leur désarroi. Ils ne savaient que faire du bébé. Fallait-il prévenir les autorités ou tenter de retrouver les parents ? Ils y ont réfléchi un moment. Les premiers jours, Clementa a prodigué les soins essentiels et le couple a assuré les besoins vitaux de l’enfant. Sur l’insistance de sa femme, Alfonso a accepté de ne rien dire. Au bout de trois mois, il se demandait encore quelle était la solution la plus juste pour l’enfant. Au bout de six mois, il se rendit à l’évidence, son épouse s’attachait à l’enfant. Alors ils ont inventé une histoire pour expliquer l’apparition de Fiorenza. Comme les dates coïncidaient, il déclara qu’à la mort tragique de son cousin Giorgeo et de sa femme lors d’un cambriolage, Fiorenza leur avait été confiée. Il ne leur restait plus qu’à officialiser l’adoption.

— Comment savez-vous tout cela, renchérit la jeune femme ?

— Fiorenza écrivait beaucoup et a consigné ce que lui avait raconté ses parents concernant ses origines...

— Où sont ces écrits ? Dans ce dossier ?

— Pas ici mais dans notre coffre-fort. Vous m’en voyez désolé. Pour l’instant, je ne me sens pas le courage de montrer ces notes à des personnes étrangères à la famille.

— Pourquoi ? »

Jennifer se rendit compte au moment où elle posait cette question que l'œil gauche de l’hôtelier tressautait, marquant un stress.

« Ne me répondez que si vous le sentez. » précisa-t-elle.

Elle mit toute l’empathie dont elle pouvait faire preuve, même si elle savait qu’exprimer la compassion n’était pas forcément son fort. Sa fille le lui reprochait régulièrement. Elle chassa d’un geste de la main le souvenir de Clara. Ce n’était pas le moment.

« C’est-à-dire qu'en sus du récit de sa naissance, elle y dénonce, y répertorie nombres de moments qui lui paraissent troubles dans ses dernières années. Elle était si tourmentée, les faits relèvent parfois d’une impression de persécution. Comment savoir si ce qui est relaté est fantasmé ou réel ? Toujours est-il que la suspicion a débouché sur une mort tout aussi déconcertante. »

Jennifer se rendit à l'évidence, ces documents, ni elle, ni Laurent n’en verraient la couleur. Si elle refaisait surface, ce serait auprès d'historiens aguerris. Elle changea donc de sujet :

« Avez-vous des éléments sur son enfance et son adolescence ?

— Oui. La petite a grandi entre les tables et les victuailles de l’auberge. Assez précocement, son don du dessin, son goût pour la couleur se sont révélés. A dix ans, elle n’était pas très grande et on la prenait souvent pour un garçon. Dans les rues du village, elle dessinait à la craie sur les murs des maisons. Alfonso et Clementa ont donc proposé à leur fille de prendre des cours de dessin. Ce qu’elle a adoré. Peu à peu, elle a demandé un équipement : chevalet, pinceaux, peintures.

— Elle était douée de manière précoce.

— Vous ne croyez pas si bien dire. Un certain Eduardo Galani s’est un jour présenté à la chaumière. Il était de passage dans la ville, les fresques murales de Fiorenza l’ont ébloui. Il a proposé de l’intégrer à son atelier pour la former à la peinture. C’était une occasion rêvée pour le couple d’offrir des cours à leur fille sans débourser un sou. Le hic était toutefois que le peintre exigeait que Fiorenza passe un mois sur trois à Gênes, une ville de grande importance à l'époque, ce qui changeait de la campagne. Elle était jeune et Gênes représente une certaine distance. Galini a dû user d’arguments pour parvenir à ses fins. Lesquels ? Je ne saurais vous le dire !

— En parlant du fait qu’elle a rejoint Galini, que savez-vous du fait qu’il en aurait profité pour lui demander de réaliser des copies, interrogea l’écrivain ?

— Je le confesse, je n’ai que peu d’informations sur le sujet. Mais je suppose qu’il a vendu les tableaux dont vous parlez afin de financer le gîte et le couvert de “ses protégés” à qui il enseignait.

— Laurent, nous n’avons pas terminé la lecture des lettres, rappela Jennifer.

— C’est vrai, continuons. » fit-il sur un ton studieux.

« Cette lettre date de 1845, voyons voir.

Riomaggiore, 6 décembre 1845

Giovanni, Mon amour,

Comme il était agréable de se voir le mois dernier. Tes baisers chauds ont réveillé ma peau. J’en frémis encore. Quelques jours après ton départ, mon époux a daigné venir visiter la maison. Il était davantage intéressé par les environs que par moi. J’imagine qu’il voulait apprécier s’il pouvait tirer avantage que sa femme y ait une maison afin de nouer des liens susceptibles d’asseoir ses aspirations politiques. Si tu savais, il n’a eu de cesse de me rabaisser. Il réduisait en pièces mon travail arguant que c’est une occupation de bonne femme. Il n’est que morgue et prétention. Il m’a bien rappelé que sa famille était contre le fait que je peigne, que je me fasse connaître.

Ici, tout le monde parle du soulèvement de Rimini contre le pape. Pour l’instant, nous n’avons que des bribes des événements, mais vu l’ampleur de la contestation, les gens craignent pour certains de leurs parents. Gino, le boulanger, a une sœur qui y habite.

De mon côté, je peins, je peins le jour, la nuit. J’esquisse, je prévois des études à la mine de plomb. Je réalise des croquis au fusain. Je parfais mes techniques au travers de manuels d’anatomie. Je peux parfaitement dessiner un doigt les yeux fermés. Je te vois sourire depuis ma chambre où je t’écris à la lueur d’une bougie. Je trouve cette ambiance si poétique ! Ceci m’aide à répondre aux demandes des gens qui souhaitent voir le portrait de leur famille ou d’eux-mêmes. Si j’en avais la capacité, j’écrirais même un roman sur le sujet. Certains commandent leur portrait, mais tu les verrais, ils sont si imbus de leur personne ! Leur discours est comique. Je me mords les joues pour ne pas pouffer.

Et puis, je cueille aussi des fleurs, des herbes que je broie dans le mortier en laiton que tu m’as offert l’an passé. Je tente des expériences. Parfois, mes mélanges ne sont bons qu’à jeter aux orties. Parfois, rarement, le résultat est intéressant mais une fois mélangée à la peinture l’odeur devient pestilentielle. Dans ce cas, il me faut retirer la couche de flore et je fais sécher la toile un long moment. Quelquefois elle est irrécupérable, je n’ai d’autre alternative que de la supprimer. Comme tu le vois, mes tâtonnements ne sont pas toujours heureux. Malgré tes cours, je n’ai pas l’acuité de ton odorat.

Fiorenza, ton amour

Le visage de l’écrivain s’éclaira :

— Je comprends pourquoi elle a créé un atelier en dehors de son logis. Son mari était imbuvable, si j’ose dire. Carriériste, avec des oursins dans les poches. Il devait être sérieux comme un pape alors que les lettres de Fiorenza montrent un certain sens de l’humour. Elle ne se prend pas au sérieux.

— Tu défends les femmes, maintenant ? le chahuta sa partenaire.

Jennifer sourit tout en continuant à consulter les missives. Elle aimait provoquer son acolyte qui s’emportait à tous les coups.

— Ce que tu es caustique sans raison parfois ! J’aime…

La journaliste le coupa :

— Ohhhh, une lettre de Giovanni, cette fois. Attends, l’écriture est très penchée à gauche. Elle n’est pas simple à décrypter.

Gênes, 15 décembre 1845

Ma douce, Mon amour,

Comme il m’est agréable d’arpenter les routes afin de faire connaître ton travail. Je viens juste de déposer mes bagages. Je me trouvais dans le royaume de Sardaigne. Le roi m’a mandé : il était curieux de contempler les tableaux. Il a été subjugué par les odeurs qui s’en dégagent. Le souverain m’a posé maintes questions au sujet de la technique. Il souhaite te rencontrer au plus vite. Devant telle instance, j’ai cru bon d’arguer que le peintre abhorre le contact public, la foule. C’est pourquoi, je sillonne les pays en ton nom. Il s’est empressé d’expliquer qu’il te recevrait avec égard, avec peu de personnes autour. Il est malaisé de décliner l’offre d’un monarque. Comment allons-nous y prendre ? Lui écrire que tu es malade, que tu ne peux te déplacer ?

Compte tenu de l'empressement du roi, je te fais parvenir cette lettre en urgence. Mon secrétaire est chargé de te la faire parvenir.

Giovanni

Riomaggiore, 17 avril 1846

Mon bel amour,

J’ai bien reçu ta lettre. J’y ai longuement réfléchi ? Puis-je rester à jamais cacher ? Je vais certainement t’étonner. Tu le sais, lorsque j’étais enfant, il arrivait que les passants me prennent pour un garçon. Je portais parfois des pantalons pour courir à travers la ville. Mes parents me passaient ce caprice. Je voyais que ma mère faisait une grimace en me voyant arriver à la maison après mes après-midis de course à travers les maisons, mais elle avait de l’indulgence. Ensuite, je n’ai eu d’autres choix que de porter des robes. Mardi, je me suis surprise à me déguiser en garçon. J’ai très peu de poitrine et mes hanches sont étroites. Mercredi, à l’aube, je suis sortie en catimini me balader comme j’aime à le faire. J’ai relevé ma chevelure et ai revêtu un couvre-chef en feutrine. Il était très tôt, quelques ouvriers se rendaient à leur travail. Ceci dit, personne ne s’est offusqué de mon accoutrement. Les personnes que je rencontrais semblaient indifférentes lorsqu’ils me voyaient. Je crois que je peux vraiment passer pour une jeune homme. Reste que ma voix peut me trahir. Je vais la travailler afin d’en modifier la tessiture. Cette idée peut paraître insensée. Il me semble que je ne peux toujours m’effacer. Je pourrai ainsi faire quelques apparitions choisies. Quoi qu’il en soit, si je ne me montre jamais, le public, les critiques finiront pas se montrer curieux. Le résultat n’en serait que pire.

Je viens d’apprendre que le cardinal Luigi Del Drago, pectore par le pape Grégoire XVI, vient de mourir. Par son entremise, mon mari a tenté de se rapprocher des édiles de Rome pour obtenir un poste de notable.

Je change de sujet. Mon amour, j’ai hâte que tu puisses me voir dans les atours masculins. Tu constateras, j’ai fière allure.

Fiorenza, ton amour

La lettre d’après n'apprit pas grand-chose de plus aux deux compagnons.

— Tiens, celle-ci est à nouveau de Giovanni.

Ma douce aimée,

Cela fait combien de temps que je pars à travers les royaumes pour faire part de ton travail ? Un an et demi, il semble. Je regrette de ne pas parvenir à davantage vendre tes toiles à leur juste valeur. J’ai l’impression que tu es en avance sur son temps. Les gens requièrent les peintres classiques. L’aspect olfactif intéresse, certes, mais pas au regard de la qualité de ta peinture. Oh, bien entendu que tu vends de manière avantageuse. Mais d’autres peintres dépassent outrageusement le tarif fixé pour tes travaux. Comme tu le remarquais, peut-être est-ce mieux ainsi. Sinon, ne devrais-tu te montrer encore et encore ? D’autant qu’à la faveur de ta grossesse, la discrétion était de mise.

*

Jennifer lisait et posait maintenant les lettres comme un automate. Comme si son rôle de traductrice lui était devenu naturel. Elle commença à traduire une autre missive comme si elle en était le prolongement des précédentes. Laurent prenait des notes à vive allure, il avait l’impression d’être un scribe. Il espérait réussir à se relire.

Riomaggiore, 06 avril 1853

Giovanni, Mon amour,

J’aime toujours autant cette ville, je continue à marcher pendant des heures. Cependant, ces derniers temps, j’ai ressenti une grande fatigue inexplicable. Plusieurs fois, j'ai dû m’asseoir car j’avais la nausée, je devais écourter mes balades, ma respiration se faisait courte, j’étais essoufflée. Quelque peu inquiète que cet état perdure, j’ai fini par rendre visite au médecin qui y a vu les symptômes d’un début de grossesse. Imagines-tu ma surprise ? Il m’a déconseillé tout effort de longue durée et soutenue.

A ce propos, te rappelles-tu de cet homme qui habitait dans les terres et a demandé si je pouvais peindre sa fille ? Tu t’étais précipité te cacher dans la cuisine pour qu’il ne te vois pas. J’ai rencontrée la petite fille il y a quelque temps. Sa peau était marquée de boutons parce qu’atteinte de la rubéole. Du coup, j’ai commencé le projet avec ma Clélia. Bien sûr, j’ai préparé des études, des esquisses. Je ne me lasse pas de reproduire les traits de ma Cléia, elle te ressemble tant ! J’ai peint quelques ébauches : la maison avec la petite fille qui joue avec les papillons, comme me le requiert le père. Il sera bien assez temps de terminer le tableau sous le portrait de la petite fille.

Fiorenza, ton amour

Jennifer reposa la lettre. Elle ne me manquait pas de piquant, pensa-t-elle.

« Hé bien, nous voilà au fait de l'identité réelle de Battaglini. On sait maintenant pourquoi Fiorenza a choisi de prendre l’apparence d’un homme, compléta Jennifer.

— Heureusement que nous sommes assis. Je suis sonné par toutes ces révélations. Au moins, ai-je de la matière pour mon prochain roman. » fit Laurent.

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