Chapitre 41 - Déjeuner avec Gloria

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Jennifer ne s’attendait pas à ressortir de cette première séance avec toutes les réponses mais elle n’aurait su dire si cette consultation lui avait procuré le moindre bienfait ou non. Alors qu'elle sortait du cabinet du thérapeute, son téléphone sonna. C’était Gloria.

« Hello, ma chérie. Comment tu vas ? T’es encore sur New-York ou t’es déjà partie je ne sais où ?

— Salut ! Ça va et je suis encore à New-York. Pourquoi ?

— Bah, je me disais que ce serait bien qu’on puisse dîner ensemble.

— Quand ça ?

— Pourquoi pas, là, maintenant ? »

Jennifer regarda sa montre même si elle savait qu’elle avait largement le temps de descendre au musée.

« Pourquoi pas ? C’est pour quelque chose de précis ?

— Non, juste pour papoter et reparler de l'expo.

— Partante pour le papotage ! Je te rejoins à l’entrée du musée vers midi, ça te va ?

— Pas de souci. Ça te dit de manger français ?

— Pourquoi pas.

— Vendu alors… Tu dois connaître… Je fais une réservation à la Grenouille.

— En effet, Patrick m’a peut-être déjà traîné là-bas une ou deux fois.

— Et bah, il serait très heureux de savoir que tu n’en as pas gardé un souvenir impérissable, fit Gloria en ignorant superbement la dernière réflexion de Jennifer.

— Je crois que s’il devait choisir, ce ne serait pas ça qu’il voudrait me faire changer pour le rendre plus heureux.

— Ça, j'en suis sûre. Bon, je dois te laisser. Bises et à tout à l’heure ! » fit Gloria en raccrochant.

Sans rien avoir dit, Gloria venait de requinquer un peu Jennifer, perdue qu’elle était dans ses interrogations. Elle sourit toute seule et partit donc en direction du MoMa.

*

En arrivant devant La Grenouille, Jennifer se demanda comment elle avait pu oublier le décorum de ce restaurant. Elle le trouvait clinquant, extrêmement chargé. Les lumières artificielles pourtant subtilement intégrées au fond plafond lui donnaient mal à la tête. Patrick adorait les lieux branchés. Cela l’avait surprise à l’époque. Elle s’y était accoutumée mais elle aimait ce petit côté contradictoire de son mari. Quelque part, c’était une manière de relativiser ses propres incohérences de comportement. Cela étant dit, Patrick ne fréquentait pas ce genre de lieux totalement gratuitement, il en profitait souvent pour faire l'article sur la qualité de ses produits pour se constituer une plus large clientèle. Il avait toujours des cartes de visite dans la poche intérieure de son veston. Étant tout le contraire, ce côté homme d’affaires séduisait Jennifer. Habitant New York, cela allait avec l’état d’esprit. Quand le chef de rang vint vers elle, elle aperçut Gloria qui étonnement était déjà attablée sur ce qui semblait être un daiquiri.

« Mon amie est là-bas, je la rejoins, merci.

— Très bien, Madame.

— Hey, salut, toi ! fit Gloria qui portait une robe fuchsia et boucles d’oreille assorties.

— Hé ben, que me vaut cette ponctualité ?

— Oh, j’avais un rendez-vous professionnel juste avant.

— Avec cette robe ? Tu ne me l’as fait pas, hein ! Comment s’appelle-t-elle ?

— Bon, laisse tomber. Elle n’en vaut pas la peine. Et son nom est ridicule, Clitorine, tu imagines ? La pauvre !

— En effet !

— Alors raconte, ce tableau ?

— De but en blanc ? Tu es pressée à ce que je vois !

— Tu connais ma curiosité et mon bavardage légendaires. Je ne vais pas te lâcher…

— On commande avant, non ? »

Gloria rit de bon cœur. C’est vrai qu’elle aimait tout savoir sur chacun de ses amis ou de ses collègues. Non pas qu’elle s'immisçait dans l’intimité des gens de manière malsaine, mais elle appréciait de partager les petits secrets. Elle pensait que cela apportait la complicité nécessaire à toute relation qu’elle fut commerciale, sociale. Même professionnellement, elle ne pouvait s’empêcher de mettre en avant son côté fraternel. Cela lui jouait des tours, bien sûr. Les hommes en profitaient pour lui demander ses faveurs, les femmes pour soutirer de l’avancement. Ceci dit, Gloria n’était pas née de la dernière pluie. Dans son gant de velours, sa main était parfois d’acier.

« Je commande toujours la même chose, le canard servi sur son lit de foie gras et les petits fours cookies. »

A l’évocation de ses plats prononcés avec difficulté par son amie, Jennifer sourit.

« Tu es trop mignonne quand tu parles français !

— Rigole bien. Les langues, c’est ta spécialité plus que la mienne. Bon, alors tu as choisi ? Je veux tout savoir.

— Je choisis le homard avec son beurre blanc. »

Là, Jennifer ne peut s’empêcher de prononcer ces mots à la façon de Gloria en détachant bien les syllabes et en tentant de marquer le ‘r’.

« Bon, quand tu auras fini de te moquer, tu me préviens, j’appelle le garçon pendant ce temps. »

Jennifer appréciait de mettre Gloria en boîte surtout quand elle faisait semblant de prendre un air courroucé, elle, qui aimait plus que tout jouer les divas.

« Bon, je commande les mets et le vin. Ça, c'est ma partie, et, pour le coup, je connais les cépages qui viennent de France, dit-elle en tirant la langue comme pour marquer un point.

— C’est vrai que tu ne peux qu’être meilleure que moi. Même en ayant voyagé à travers la France et l’Italie durant toute mon enfance avec ma mère, je ne maîtrise pas le sujet.

— Tu me fais languir…

— Ah bon, tu crois ? Alors le tableau. Lors de l’inauguration, tu as dû constater que Patrick et moi sommes partis précipitamment.

— J’étais déçue. J’étais certaine que tu apprécierais les œuvres et les installations.

— J'ai aimé ce que j’ai vu. Et puis, je suis tombée sur ce tableau de ce Battaglini. Et, va savoir pourquoi, j’ai été saisie physiquement.

— Pardon, que veux-tu dire par “saisie” ?

— La mise en scène du tableau avait un côté familier. Je l’ai bien détaillé. Quand tout à coup, la lumière spectrale, l’odeur du tableau m’ont envoûté. Je me suis sentie comme une partie constituante du tableau. Comme si j’étais la petite fille qui jouait avec les papillons. Il était vivant en moi comme si c'était un souvenir. »

Jennifer voyait son amie faire une moue dubitative, elle fronçait de plus en plus les sourcils au fur et à mesure qu'elle s’emballait en évoquant son vécu.

« Mouais, et après ?

— Mon cœur battait la chamade ! Je me suis sentie mal, Patrick s’en est rendu compte et est venu à ma rescousse. Il a eu peur.

— Patrick est un angoissé chronique.

— C’est vrai, j’ai cru que j’allais chanceler sur mes jambes en coton. Et puis, tu vas peut-être trouver ridicule ce que je vais te dire. Promets-moi de ne pas rire.

— Après ta fourberie sur mon français, tu plaisantes, je pense !

— D’accord, d’accord. Tu te vengeras plus tard. Écoute plutôt : en Birmanie, je me suis rendue avec mon fixeur dans un village reculé pour interviewer des rebelles. Je te passe les détails, ça va te barber. A cette occasion, une vieille dame qui voit dans l’avenir m’a dit des choses troublantes.

— Que tu arrêteras ton métier pour te consacrer corps et âme et ranger des voitures ?

— C’est ça !

— Mais non ! Pour toi ce serait plutôt corps et hommes, non ?

— Très drôle !

— Elle m’a dit que j’allais partir sur le chemin de mes origines. Tu sais que ma famille a des souches européennes ? »

Gloria opina du chef tandis que le majordome posait les plats devant chaque convive.

« Et tu lui donne foi ? interrogea Gloria d’un air incrédule.

— Je ne sais pas. Comment en être certaine ? En tout cas, elle m’a parlé d’une odeur qui me mettrait sur la piste.

— La piste, la piste, tableau… Battagliani, répéta en boucle la pétulante blonde. »

Gloria réfléchissait. Jennifer se demanda ce à quoi pensait son amie. Quand Gloria se mettait à réfléchir intensément, il valait mieux ne pas la couper. Sinon, elle pouvait devenir très désagréable.

« Huuum, c’est ça. Je crois que je peux t’aider.

— Hein, comment ça ?

— Ce tableau peint par Battaglini. Un certain Loren quelque chose a écrit un livre le concernant. Une biographie romancée, ou quelque chose d’approchant. Il possède certainement des informations qui pourraient t’être précieuses !

— Loren, huum, je vais chercher. Merci beaucoup Gloria. Voilà le fil a tiré ! Il me donnera peut-être des indices, qui sait ?

— Allez, mange, ça va être froid ! C’est toi qui devrais manger le foie gras. Tu es encore plus maigre qu’avant les fêtes.

— Oui, maman ! et elle se précipita goulument sur son assiette pendant que Gloria, intarissable quant aux potins, lui narrait les frasques du gotha de la ville. »

*

Une fois rentrée chez elle en début de soirée, elle se précipita pour allumer son ordinateur professionnel. Elle était excitée à l’idée de trouver une personne susceptible de lui fournir des données sur le tableau. Pour répondre notamment à cette question : pour quelle raison était-il si odorant vu l’année à laquelle il avait été peint ? Elle tapa les mots clés Loren et Battaglini. Le moteur de recherche proposa une première page mentionnant le nom de Laurent Joly et le titre de son ouvrage : Fragrances en toile de fond.

Jennifer ne put réprimer un fou rire. Son amie avait prononcé Laurent à l’américaine. Laurent devenait Loren, et sonnait comme un prénom féminin. J’étais loin du compte à rechercher un écrivain. Il est français, tiens donc ! Elle fit encore quelques recherches, lit le résumé du livre. Elle fut étonnée de constater que Google renseignait bien plus quant à la vie de sybarite menée par ce Joly que sur son bouquin.

La soirée avait traîné en longueur. Jennifer baillait à s’en décrocher la mâchoire. Elle n’eut pas le courage de commander l’ouvrage sur Internet.

— Bon, chaque jour suffit sa peine, je verrai demain comment je peux contacter Laurent-le-joli-coeur porte bien son nom, on dirait…

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