Chapitre 27 - Le dossier médical

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Ce matin-là, Shany décida de se rendre tôt à l'hôpital, impatiente de savoir comment les choses s'étaient passées entre Clara et Monica. Elle fut accueillie par sa nièce, qui semblait particulièrement fière d'elle.

— « Je ne pensais pas que ce serait si facile, fit Shany.

— Monica m’a quand même dit qu’elle voulait te parler en tête-à-tête à ce propos.

— Oui, je pense qu’elle va vouloir me donner des conseils.

— Je ne sais pas. Elle ne m’a rien dit. »

Shany décida de ne pas s'attarder sur ce point et demanda à Clara si elle ne voulait pas aller se promener.

— « Tu veux te balader dans les couloirs ? demanda Clara en riant.

— Bah oui, faute de mieux.

— Allez, viens ! Je vais t’emmener dans un endroit spécial, dit Clara avec malice.

Elle sortit de la chambre et vira sur la gauche.

« C’est une impasse par là, fit Shany. J'ai essayé d'y aller hier. J'aurais pensé qu'ils auraient installé un autre sas de ce côté, au cas où le premier ne fonctionnerait plus.

— Oui mais… Tu n’as pas bien observé. Regarde-là !

— Ça, c'est une issue de secours, Mademoiselle, et on n'est pas censé l'emprunter à moins d'un danger imminent. »

Une lumière éblouissante en émanait, semblable à la lumière du jour. Shany entra comme sa nièce l’y invitait. Ce n'était pas vraiment une pièce, mais plutôt un espace avec une grande verrière au plafond, laissant voir le ciel. Tout l'espace était aménagé comme un jardin japonais zen.

« Eh bien… Si je m’attendais à ça…

— Ouais, hein… C’est pas mal ? Ça ne vaut pas l’extérieur pour de vrai mais bon… Je trouve qu’ils ont bien assuré pour le coup. Ils ont vraiment pensé à tout dans cet hôpital. »

Shany hocha la tête.

« Ils ont même mis des petits bancs. J’entends rien là mais je suis pratiquement sûre qu’ils ont dû installer une sono. Pour passer des sons de la nature ou des trucs comme ça.

— Je ne sais pas. Il y a l’espèce de petite fontaine là-bas qui fait un bruit d’eau et ça relaxe bien. Ou ça peut te donner envie de pisser… au choix ! »

Clara éclata de rire.

« Au fait, fit Shany en devenant de nouveau sérieuse. Monica ne devrait pas passer dans ta chambre ce matin ?

— Sûrement que si. Il est quelle heure ?

— Pas loin de huit heures.

— Dans une demi-heure alors ! En attendant, on peut se faire une séance de méditation !

— De méditation, à ton âge… Ce n’est pas un peu bizarre ? » fit Shany.

Clara arqua ses sourcils comme pour dire : « Qu’est-ce qui te choque ? ». Alors Shany s’abstint d’en rajouter une couche et suivit gentiment sa nièce.

*

Lorsqu’elles revinrent dans la chambre, Shany ne put s’empêcher de penser qu’elle avait peine à reconnaître sa nièce. Non pas qu’elle avait changé du tout au tout : en moins de six mois, il lui semblait que cette dernière avait changé de mentalité. Plus posée, plus encline à prendre les choses en main. Moins bébé, pour le dire de manière un peu moins élégante. Shany aurait bien eu envie de le lui dire mais elle n’osa pas. Elle ne voulait pas prendre le risque d’être mal comprise.

Shany en était à ces réflexions quand Monica fit son apparition.

« Hello… Tiens qui voilà ? Ce ne serait pas Shan ? Moi qui pensais ne pouvoir te croiser qu’en fin de journée, mais je me trompais. Tu es tombée du lit ? Tu as quelque chose à te faire pardonner ? »

Clara partit à rire et Shany protesta. Il était de notoriété publique qu’elle n’était pas du matin mais depuis toute petite, elle ne voulait pas le reconnaître.

« Pas du tout ! C’est juste que je voulais passer un maximum de temps avec ma nièce.

— D’accord, d’accord… » fit l’infirmière en passant la main sur le front de Shany comme si elle était une enfant.

Monica posa le plateau du petit-déjeuner sur la table du lit. Elle retourna à son chariot et se baissa pour attraper quelque chose. Le regard de Shany s’éclaira lorsqu’elle aperçut la pochette en carton obèse, remplie de papiers.

« C’est ce que je pense ?

— Précisément, ma grande.

— Tu as fait vite.

— Je suis quelqu’un d’efficace, tu sais ? »

Elle tendit la liasse de papiers à Shany mais au moment où cette dernière tenta de l’attraper, Monica tira de nouveau la pochette à elle.

« J’ai deux mots à te dire avant de te donner tout ça. Tu veux bien me suivre à l’extérieur ?

— Pourquoi je n’ai pas le droit de savoir ? fit Clara

— Parce que… C’est quelque chose que je préfère évoquer entre ta tante et moi. »

Clara fit la moue pour signifier sa désapprobation. Monica fit un signe de tête à l’intention de Shany et les deux sortirent dans le couloir.

« Bon maintenant, peux-tu me dire ce que tu comptes faire exactement avec les données de ta nièce ? »

Shany fut surprise par la question. Comment Monica pouvait-elle se douter de quelque chose ? Pour éviter de se faire piéger, Shany retourna la question.

« Qu’est-ce que t’as dit Clara ? Parce qu’on dirait que je suis en train de faire un truc de mal.

— Elle m’a dit que c’était pour ton mémoire. C’est uniquement pour cela ?

— Pour quelle autre raison veux-tu que je fasse cela ? fit innocemment Shany. Ce n'est pas comme si j’essayais de découvrir la pathologie d’une personne hors de famille de manière illicite.

— Non, bien sûr. Quel est sujet de ton mémoire ?

— J’ai mis au point un bilan des approches actuelles pour rapprocher les principes actifs et les pathologies. Actuellement, je ne vais pas dire que c’est au petit bonheur la chance mais ça pourrait s’en approcher. J’ai travaillé sur une méthodologie moins aléatoire qui se base sur les propriétés des principes actifs d’autres variables facilement analysables. Muni de ceci, on peut “prédire” si un principe aura un effet. Ça ne dit pas si ce sera pour un bien ou un mal, juste si ça vaut le coup d’être tenté ou pas.

— Et tu veux tester ça avec la pathologie de ta nièce… A quel moment, les données du patient entrent-elles en ligne de compte ? »

Shany se mordit la lèvre. Elle s’était laissé emporter par son véritable sujet de mémoire et avait complètement zappé la partie qu’il fallait qu’elle invente pour que ce soit crédible face à Monica.

« Pour tout te dire pour cette partie-là, je ne suis pas certaine de pouvoir te donner les éléments.

— Bah pourquoi ? Ça va finir dans ton mémoire, non ?

— Oui et non.

— Je ne te suis pas. »

Le cerveau de Shany fonctionnait à plein régime pour trouver une échappatoire. Et soudain, elle sut.

« Tu sais quand j’ai fait des pieds et des mains pour finir mon doctorat en France ? J’ai dû trouver un complément de financement, le prêt, la bourse qui s’est trouvée rabotée… Il se trouve que mes travaux et mes approches sur la recherche de traitement ont intéressé certaines entreprises… Américaines et françaises…

— Et t’as signé quelque chose avec l’une d’entre elles… Raah il ne faut jamais faire ça… J’espère que tu ne t’en mordras pas les doigts. Evelyn… Tu te rappelles d’elle ? »

Shany était fière d’elle. Elle venait insidieusement de détourner la conversation sur un sujet polémique dans le cœur de Monica. Elle s'interrompit au bout d’une dizaine de minutes quand elle se rendit qu’elle avait débordé sur son temp était en retard.

« Bon, voilà la pochette… Mais surtout ce que je voulais te dire… Après, promis, je file… Ne présente que les données traitées, pas les brutes. La source, tu peux indiquer l'hôpital. Si quelqu’un cherche, il cherchera un moment car il est difficile de retrouver les données brutes.

— Ne t'inquiète pas, je trouverai un moyen. Et encore merci. »

Monica reprit son chariot et fila dans la chambre suivante en s’excusant platement du retard.

*

Shany retourna dans la chambre où Clara l’interrogea du regard dans un premier temps et voyant qu’elle ne disait rien, posa la question tout haut :

« Alors, elle te voulait quoi ?

— Non, rien du tout, juste des conseils sur comment utiliser tout cela.

— Ah.

— T’as l’air déçu ? Tu aurais préféré qu’elle me cherche des poux ? fit Shany en plaisantant.

— Pas du tout… Mais je ne vois pas le pourquoi du tête-à-tête.

— Je ne sais pas. Peut-être avait-elle une idée en tête au départ. Finalement, elle m’a dit autre chose. Je ne le saurais jamais.

— Les adultes sont chelous, des fois. » fit Clara en prenant un air blasé.

Shany ne releva pas et s’installa sur une chaise pour commencer à feuilleter le dossier.

« Tu ne vas pas écrire ton mémoire là sur le champ ? demanda Clara un peu inquiète.

— Non. Laisse-moi juste jeter un œil sur les papiers, cinq minutes pour vérifier que j’ai bien tout ce qu’il me faut.

— Ok. »

Shany parcourut le dossier. Tout y était : résultats des prises de sang, rapports des passages aux urgences, suivi des constantes, radiographies, etc. Toute la vie médicale de Clara. C’était impressionnant que l’hôpital ait conservé une telle somme d’informations pour une patiente.

« Alors ? t’as appris quelque chose ? demanda Clara au bout de cinq minutes.

— Non, pas encore, fit Shany en la regardant et en plissant les yeux. T’as vu la taille du dossier, il va me falloir quelques heures pour tout classer et ordonner afin que j’y vois clair. Je suis peut-être douée mais je ne suis pour autant pas dotée de super-pouvoirs.

— Mmm. Et moi, je trouve cela décevant. » répliqua Clara qui ne pouvant garder l’air sérieux et dédaigneux qu’elle tentait de conserver sur son visage se mit à glousser de rire.

Shany lui tira la langue. Elle retourna à sa lecture. Ce qui était important d’abord, c’étaient les examens récents et de ce qu’elle pouvait en voir, ils n’avaient rien de particulier. Ce n’était pas très étonnant. Hormis les symptômes pulmonaires lors des crises, il n’y avait pas grand-chose de remarquable. En revanche, il était facile de constater l’avalanche de complications sur les radios juste après les crises. Pour constater qu’il y avait une amélioration, cela ne pouvait se faire que sur le temps long. Cela n’arrangeait pas Shany. Elle avait besoin d’une méthode pour détecter si la concoction avait un effet ou pas sur une durée très courte. Par chance, si on pouvait le dire ainsi, il semblait y avoir des phases et un effet de cycle.

« Euh. C’est fini, tu ne vas plus m’adresser la parole maintenant que tu as le dossier ? fit Clara d’un ton impatient et un peu agacé.

— Non, choupinette. Mais juste, je viens de remarquer un truc… Je veux juste vérifier et le noter pour éviter de le zapper. Encore dix minutes et promis, c’est fini. »

Shany prit son stylo et nota sous forme de série, le nombre de jours qui séparait les crises. Elle entra cette suite dans l’application de maths qu’elle avait sur son téléphone et demanda de tracer la courbe, la dérivée et la dérivée seconde.

« Bingo ! » ne put-elle s’empêcher de laisser d’échapper.

Clara tourna ses yeux ronds sur sa tante.

« T’as trouvé quoi ? Quelque chose qui pourrait….

— Nan, nan… s’empressa de dire Shany. J’ai juste trouvé quelque chose qui permet de voir que la fréquence de l’ampleur de tes problèmes de santé est cyclique…

— Cyclique ? Par rapport à quoi ?

— Ça, je n’en sais rien, mais je compte bien répondre à cette question… Surtout si cela peut nous mettre sur une piste.

— Tu peux me montrer, s’empressa de demander Clara.

— Ça ne va pas te causer mais voilà, répondit Shany. Le truc, c’est que je t’imprimerai ça, juxtaposé à un calendrier, des fois que tu puisses me dire si tu vois une corrélation avec autre chose.

— Je ne vois pas où ça peut nous emmener mais ok. Je te ferai ça.

— Moi non plus. Même si je ne suis pas fan des maths, j’ai appris à ne pas les négliger pour ajouter des indicateurs autres que des systèmes de seuil et observation d’évolution dans le temps au sens linéaire ou saisonnier. »

Clara hocha la tête.

« Moui… Tu dois savoir mais je n'ai rien compris. Je te donnerai mon point de vue quand j’aurais terminé mes études supérieures… Dans quelques années… ou quelques mois, on ne sait jamais, si je deviens une surdouée.

— En tout cas, c’est vraiment cool. » fit Shany qui, en regardant la courbe, validait dans sa tête qu’elle pouvait administrer la dose, le jour même et voir le résultat dès jeudi.

Si son observation était correcte, statistiquement, Clara devait avoir un épisode critique le lendemain ou le surlendemain. La variation du phénomène sur les six derniers mois était vraiment faible. Elle était quasi nulle si elle changeait le pas de temps sur trente-six heures au lieu de la journée qui avait été évidemment la première des unités qu’elle avait utilisée.

« En plus de me faire plaisir d’une manière indescriptible si quelqu’un trouvait un truc pour me soigner… Si jamais c’était toi qui trouvais et botterait les fesses de tous les docteurs à la manche que j’ai eus…. Ah ah ! Tu n’imagines même pas un instant combien de milliers de fois, cela me ferait un élément de délire total… Wouaaah. Prenez-ça dans la tête, Messieurs les grands diplômés imbus de vous-mêmes. Messieurs les condescendants… »

Shany ne le montra pas mais elle était un peu gênée de raviver la flamme de Clara sans rien pouvoir lui garantir. Évidemment que la chose était normale mais voilà, Shany avait toujours fait en sorte de ne promettre que des choses qu’elle pensait vraiment pouvoir tenir. Elle avait promis de trouver quelque chose pour soigner la maladie de Clara. Elle avait toujours insisté sur l’objet : la maladie et non nécessairement Clara. Même si elle espérait énormément faire les deux. Elle ne voulait pas que Clara se fasse des illusions.

« Je reviens, fit soudainement Shany

— Tu vas où ?

— Pas trop loin, répondit la jeune tante en désignant la porte de la salle de bain.

— Oh ! Ok. »

Tout en avançant en direction de la pièce en question, Shany s’approcha de la table de chevet de métal où Clara déposait tout ce qu’elle voulait à portée de main en restant dans son lit. Entre autres choses, il y avait un verre, une tasse et une bouteille d’eau. Shany ignorait si le contenu de la fiole était odorant, ni le goût que cela pouvait avoir. Pouvait-elle mélanger la concoction à une autre ? Si elle avait eu le choix, elle aurait préféré donner la potion pure à Clara mais il était important qu’elle ne remarque rien.

Shany ouvrit la porte de la salle de bain puis s’y enferma. Elle fouilla dans son sac et sortit la fiole. Elle s’assit sur la lunette des toilettes et entreprit d’ouvrir le flacon. Elle passa son nez au-dessus puis le referma. L’odeur était douce et discrète. Elle ressemblait à celle de l’amande. Était-ce le parfum naturel du produit ou bien une astuce de l’apothicaire italo-breton pour le rendre ingérable ? Shany l’ignorait mais elle était plutôt soulagée. Cependant, cela ne résolvait pas pour autant son problème. Pourquoi n’y avait-elle pas pensé avant ? Soudain elle eut une idée.

Elle ressortit de la salle de bain et se dirigea vers le couloir.

« Hey ! Où vas-tu ? Tu t’en vas ? demanda Clara

— M’en vais pas loin. Juste me chercher une boisson en bas. Tu veux quelque chose ? »

Clara fit mine de réfléchir quelques secondes et finit par dire :

« Bah non, la plupart des bazars qu’il y a dans les distributeurs, soit j’aime pas, soit ce n’est pas bon pour la santé. Je vais m’abstenir. Mais traîne pas, j’ai encore un millier de questions à te poser au sujet de Paris.

Shany hocha la tête en souriant et s'éclipsa.

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