Chapitre 23 - L'idée du jour de l'an

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Ce sont des fourmillements douloureux dans le bras qui réveillèrent Shany sur les coups de sept heures. Elle redressa la tête et entrouvrit les yeux. Clara s’était blottie tout contre elle en la coinçant entre elle et le mur. Sa tête reposait sur le creux de son coude et positionnée de telle manière qu’elle lui coupait littéralement la circulation du sang. Elle dut manœuvrer avec son autre bras pour se dégager le plus délicatement possible de sa nièce sans la réveiller.

Elle balaya la chambre des yeux et constata que Patrick n’était plus là. En jetant un œil au vestiaire, elle eut la confirmation qu’il était rentré. Elle ne comprenait pas trop pourquoi, surtout qu’aujourd’hui était férié. Laisser Clara seule, le jour de l’an, était incompréhensible. Heureusement elle était assez intelligente pour ne pas s'arrêter à cela.

Shany caressa doucement la tête de Clara. Elle passa à la salle de bain et se dévêtit pour prendre une douche. Quand elle en sortit, elle vit que Clara était réveillée.

« Désolée, j’ai fait du bruit ?

— Non. Et puis ça change en vrai. Si je ferme les yeux, je pourrais même imaginer que… C’est mon petit ami pourquoi pas ?

— N’importe quoi… T’es trop jeune pour ça ! » fit Shany en fermant les yeux.

Elle laissa un silence qui en disait long sur ce qu'elle en pensait.

« Brrr, j’ose même pas imaginer, fit-elle.

— Tu ne serais pas un peu jalouse ?

— Jalouse ?

— Ou un peu trop possessive, si tu préfères…

— Joker ? fit Shany en souriant tout en serrant sa nièce contre elle

— Bon, on fait quoi ? On a quelques heures devant nous. Je partirai avant midi, j’ai promis à Jodie que je serai là.

— Jodie ? Ton ancienne colocataire.

— Oui.

— Elle est toujours dans ton ancien appartement ?

— C’est cela, Sherlock.

— Elle ne t’avait pas remplacée. Ce n’est pas ce que tu m’avais dit ?

— Euh si…

— Où dors-tu alors ? Avec Jodie ?

— Euh nan ? Il se trouve que sa nouvelle colocataire est repartie dans sa famille à Denver pour les fêtes. Du coup, je squatte sa chambre.

— Tu dors dans ta chambre que la nouvelle coloc de Jodie squatte en vrai.

— Tu peux le dire comme cela si tu veux. Ce n’est pas faux. » fit Shany en riant.

« Bon, j’ai envie… Que tu me racontes comment c’est Paris… T’en parles pas trop. Paris normalement devrait te mettre des paillettes dans les yeux tous les jours, nan ? »

Shany se mit à rire.

« Si seulement c’était vrai mais bon… Je vais éviter de trop te démystifier les choses ! »

*

Lorsqu’elle revint de l'hôpital, Jodie était rentrée. Elle était dans la cuisine en train d'éplucher des pommes de terre. En plus d’être surprise de trouver Jodie réveillée à cette heure-là, le matin du jour de l’an, Shany ne put se retenir d’exprimer un certain étonnement.

« Tu cuisines maintenant ?

— Eh oui, la scène t’en bouche un coin, hein ? Comme quoi, tout peut arriver ! »

Elle laissa Jodie à ses plats en lui promettant de venir manger quand le dîner serait prêt et s'éclipsa dans sa chambre. Elle allait défaire ses bagages. Jodie avait fait du rangement et lui avait réservé une place dans l’armoire, chose qu'elle n'avait jamais faite durant leur période de colocation. Shany ne put s'empêcher de penser qu'il s'agissait d'une stratégie de sa part pour la faire revenir.

Perdue dans cette réflexion, Shany s'apprêtait à empiler ses chemisiers lorsqu’elle entendit un bruit sourd, comme un objet tombé sur la moquette. Elle se pencha pour le ramasser : c’était le remède récupéré sur le marché de Noël. Qu'allait-elle en faire ? Shany se laissa tomber dans la chaise à roulettes et posa la fiole sur le bureau.

Elle fixa la bouteille comme si elle cherchait à en analyser le contenu. Bien entendu, ce fut vain. Elle se remémora les mots du commerçant. Et s’il disait la vérité ? Il y avait plusieurs manières de voir le problème.

Première hypothèse, il s’agissait réellement d’un remède. Etant donné la volumétrie du produit, il ne fallait pas le gâcher. Il y avait à vue d'œil, une quinzaine de millilitres. Elle n’avait pas de mode d’emploi. Fallait-il boire le remède d’un seul coup ? C’était vraisemblable après tout, étant donné qu’il n’y avait pas d’indication. S’il y avait eu un dosage, une manière spéciale pour ingurgiter la substance, le marchand lui aurait dit quelque chose ou bien il y aurait eu une notice. Seconde hypothèse, il s’agissait d’un simple placebo. Là, peu importait la technique d’administration.

Shany continua de réfléchir. Elle avait l’intuition qu’il fallait absolument qu’elle vérifie l'efficacité de la potion. Après, il restait un problème à résoudre. Si administrer le remède à Clara semblait simple. En revanche, arriver à savoir si celui-ci avait un effet sur la maladie, était d’une difficulté d’un tout autre ordre. Elle n’était pas médecin et ne pouvait pas prescrire d’examen à Clara. La première chose était déjà de se replonger dans les données compilées sur la maladie pour déterminer un protocole de soin et identifier de manière certaine les variables à observer pour quantifier l’amélioration ou l'involution de l’état de sa nièce.

Elle sortit son ordinateur portable, s’installa sur son lit. Déterminer les examens nécessaires était la mission de la soirée. Shany commença à regarder ce qui pouvait se voir au travers d’une analyse de sang. Cela lui semblait être l’examen le plus courant et le plus simple à obtenir. Les premières données à examiner étaient probablement celles qui concernaient les leucocytes, communément appelés les globules blancs. Dans la littérature du syndrome de Panzuzu, le taux de lymphocytes en dessous de 1000/mm3, était un des paramètres signifiants. Si certains patients ne présentaient pas cette caractéristique, il semblait que c’était lié à la présence de certains gènes. Aucun lien de causalité n’avait pu être établi mais la corrélation était quasi parfaite. Dans un océan d’hypothèses et d’incertitudes, il ne fallait pas bouder son plaisir lorsqu’on tenait un élément aussi probant.

Shany se rejeta en arrière et regarda le plafond. Comment allait-elle faire pour obtenir cet examen ? Alors qu’elle se posait cette question, elle imagina que la chose était plus simple qu'il n'apparaissait. Clara était suivie, ses résultats scrutés à la loupe. Shany attrapa son téléphone, envoya un message à Patrick.

« Clara a-t-elle des analyses de sang régulières ? »

C’était une formulation un peu abrupte. Elle connaissait bien son beau-frère. Si elle lui expliquait pourquoi elle posait la question, sa première réaction serait d’en poser une autre pour comprendre la démarche. En posant la question sans fioriture, il répondrait d’abord. Ensuite, il poserait des questions. Et elle eut la confirmation de son raisonnement, trois minutes plus tard.

« Oui, toutes les semaines, jeudi, je crois. Pourquoi ?

— Comme ça, pour savoir. Merci. »

Sa réponse allait agacer Patrick, mais elle s’en fichait. Shany se rejeta en arrière pour contempler le plafond, un grand sourire aux lèvres. Elle aimait cette sensation de savoir exactement dans quelle direction aller. Exactement à l’opposé de l’impression qu’elle avait d’ordinaire où les événements s’imposaient à elle plus qu’elle ne gouvernait sa propre destinée. Elle en était même arrivée à la conclusion que ce qu’on appelait le libre arbitre n’était qu’un trompe-l'œil.

Elle ferma les yeux et sans s’en rendre compte, s’endormit. Jodie avait préparé le dîner et s’inquiéta de ne pas voir sa colocataire la rejoindre. Elle leva les yeux au ciel lorsqu’elle découvrit Shany en train de ronfler. Elle décida de ne pas la réveiller et posa sur le petit bureau qui jouxtait le lit un petit mot pour indiquer qu’un bon repas l’attendrait dans le réfrigérateur.

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