Chapitre 19 - Au revoir ou adieu ?

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La frontière passée, Yao se détendit. Ils roulèrent une bonne heure et décidèrent alors de s’arrêter quelques minutes. Les hommes étaient éveillés depuis déjà une dizaine d’heures et il était préférable de faire une pause. Jennifer sortit pour s’isoler quelques minutes. Cependant ce fut de courte durée car, au bout de cinq minutes, Yao descendit du Hummer pour fumer une clope et s’approcha de Jennifer.

« Alors ? Soulagée ? Cela fait quoi de savoir que je t’ai sauvé les fesses ? J’ai assuré cette fois-ci, tu ne peux pas dire le contraire. »

Jennifer leva les yeux et soutint le regard de Yao. Elle était reconnaissante envers le thaïlando-ivoirien mais elle savait pertinemment qu’il ne parlait pas de cela.

« Je sais pourquoi tu me demandes cela mais pourquoi cherches-tu encore à obtenir mon approbation ? Je ne comprends pas. »

Yao haussa les épaules.

« D’ailleurs, poursuivit Jennifer, pourquoi tu me dis que tu as assuré cette fois. Je n’ai pas souvenir qu’il y ait une autre fois où tu n’aies pas assuré.

— Bah si, c’est pour ça que tu es partie la dernière fois.

— La dernière fois ? J’avais terminé mon reportage, il fallait que je rentre aux Etats-Unis.

— Mouais, tu peux te raconter l’histoire comme ça si tu veux. »

Le ton de Yao s’était d’un coup empli de lassitude et d’énervement. Jennifer ne sut pas quoi dire. D’évidence, il y avait quelque chose qu’elle avait oublié ou bien qu’elle n’avait pas remarqué à l’époque. Elle le savait : Yao avait flashé sur elle. Au départ, elle s'en était amusée, mais dans son souvenir, elle n’était jamais rentrée dans son jeu. Pourtant, la réplique de Yao suggérait le contraire ou bien, elle se fourvoyait complètement.

« Me raconter quoi ? Qu’est-ce que tu insinues ?

— J’insinue ? Tu ne disais pas la même chose quand tu me faisais du rentre-dedans !

— J’ai toujours été claire, non ? Je suis mariée !

— Tu as suffisamment évoqué ta famille pour que je sache que vos relations ne sont pas toujours au beau fixe. Tu as tout fait pour me séduire en me disant que j’étais tout ce que n’était pas ton mec ! rétorqua Yao entre ses dents tant il était en colère devant tant de mauvaise foi.

— Selon toi, ça signifiait que je te voulais tout à moi ?

— Je n’ai pas dit ça. Je pensais qu’on se verrait au fil de tes missions et reportages. J'imaginais qu’on partagerait du bon temps ensemble.

— Oh !

— Au lieu de quoi, t’as ignoré mes messages ou t’y as répondu mille ans plus tard et de façon très à la vas-y-que-je-te-pousse.

— Simple retour à la vie normale !

— Mais Jennifer, tu t'entends ? Tu ne me réponds pas ! Je te parle de sentiments, là ? Tu vas passer ton temps à laisser les gens que tu côtoies tourner autour du pot et toi tu fais comme si tu n’y étais pour rien ? »

Jennifer sentait le mal de tête la gagner. Elle n’avait pas du tout envie de discuter avec Yao qui restait simplement un partenaire professionnel. Au fur et à mesure que la douleur arrivait, une fissure s’ouvrait. Elle avait beau la repousser, les paroles de Yao pénétraient dans son cerveau comme des couteaux.

Pour Yao, c’en était trop, il était furieux contre Jennifer. Elle se tenait là, devant lui sans réponses à ses interrogations. Pourquoi ce silence qui ressemblait à de l’indifférence, alors qu'il venait de lui sauver la vie ? Il était furieux contre lui-même parce qu’il n’était pas parvenu à décrocher d’une femme qui l’avait laissé pour compte mais à qui il était en train de sommer de fournir des explications. Il avait le sentiment qu’elle-même était incapable d’y voir clair dans son comportement.

« Tu passes ton temps à fuir ta situation familiale, à m’ignorer. Qu’est-ce que ça te coûtait de me dire la vérité ? A quoi tu t’attendais ? D’attiser mon attraction pour toi pour que je vienne à ta rescousse dès que tu ne peux pas faire autrement ? Un claquement de doigts et hop, il apparaît, le Yao ! La grande magie ! »

Il attendit quelques instants une réaction de la part de la journaliste. Le scénario semblait ne pas changer, Jennifer resta muette. Se sentant impuissant, il détourna la tête, sa colère intacte.

Le corps de Jennifer devenait mou comme du chewing-gum. Sa migraine l’empêchait de réfléchir à plein régime mais elle sentait bien que les paroles de son compère gagnaient des airs de vérité. Elle ne pouvait que se rendre à l’évidence : elle feignait d’être la personne forte qu’elle voulait incarner mais il y avait de sérieux coups de canifs dans son contrat.

Jennifer se sentait lasse, vide. Elle aurait voulu s’allonger et ne plus penser à quoi que ce fut. Ne pouvant rien faire de tout cela, elle retourna vers le Hummer.

« Allez, prends ton argent et laisse-moi tranquille maintenant ! »

*

Il était deux heures de l’après-midi quand ils arrivèrent aux abords de Lampang. Aye après avoir consulté Jennifer proposa à Yao de chercher un hébergement pour la nuit. Tous étaient debout depuis de longues heures et il était temps de prendre un peu de repos. De plus, Jennifer et lui envisageaient de rentrer à Rangoon par leurs propres moyens. Il était inutile de faire faire un trajet inutile à toute l’équipe de Yao. Ils n’avaient pas encore réfléchi au moyen exact à employer pour retourner à leur point de départ mais ils se débrouilleraient bien.

L’hôtel longeait la grand-route et avait plusieurs chambres libres de suite. Ce n’était pas le grand luxe mais tout le monde était assez fatigué pour ne pas faire la fine bouche.

Jennifer fit chambre à part même si elle fut tentée vu la taille des chambres de proposer à Aye de la prendre à deux. Mais éreintée et ne voulant pas faire quoi que ce soit qui porte une ambiguïté, elle préféra s’abstenir. Une fois la porte bien fermée à clé, elle prit une douche pour se rafraîchir et nettoyer la crasse accumulée sur les derniers jours. Elle s’allongea et tenta de se remettre les idées en place. Au lieu de cela, elle s’endormit comme une pierre.

Son sommeil ne fut pas de longue durée car, même morte de fatigue, c’était son cerveau qui commandait et l’empêcha de récupérer complètement. Le vif échange avec Yao lui restait en travers de la gorge. Comment était-il possible qu’il y ait pu y avoir un quelconque malentendu ? Il était vrai qu’ils s’étaient vus souvent et avaient passé un certain nombre de soirées ensemble après la fois où Yao était intervenu pour la sortir du pétrin. Elle n’en avait pas un souvenir précis car certaines avaient été passablement arrosées. Était-il possible qu’il y ait eu un débordement et qu’elle en ait perdu la mémoire ?

Allongée sur le lit, fixant le plafond, Jennifer secoua la tête nerveusement. Elle rappelait un peu s’être plaint de Patrick à l’époque. Cela n’allait pas très fort en eux, à cause des séjours hospitaliers à répétition de Clara et les crises régulières de Shany alors en pleine adolescence ainsi que le magasin à gérer. Les parents de Patrick avaient même fini par emménager dans leur appartement pour aider leur fils. Le jour où Jennifer était rentrée de voyage et avait découvert cela, les relations se tendirent à un niveau rarement atteint. Alors, oui, lorsqu’elle était partie pour Bangkok, elle sentait que sa cellule familiale était au bord de l’implosion. Mais de là à tout fiche par terre, il y avait un monde qu’elle était pratiquement certaine de n’avoir jamais franchi.

Il fallait qu’elle s’explique avec Yao. Elle voulait savoir. Elle se décida à aller à la porte de son sauveur.

Elle inspira profondément Ses mains devenaient moites. Elle sentait une chaleur inhabituelle l’envahir. Elle actionna la poignée de la porte. Au bout du couloir, se trouvait la chambre de Yao. Le chemin lui parut long. Elle tentait de contrôler chaque respiration. Puis, elle cogna à la porte de Yao qui se précipita pour lui ouvrir.

« Je me doutais que c’était toi, fit-il d’une voix blanche.

— Je te dis au revoir, Yao.

— Au revoir ou adieu ?

— Au revoir, osa-t-elle d’une petite voix.

— OK, je me réveille à peine. Alors, je fais vite. Au revoir et bon vent ! »

Jennifer savait que son comparse était la veille en colère mais s’attendait à un peu plus de chaleur. Mais là, rien, ni la voix, ni le langage du corps n'exprimait la moindre sympathie.

Jennifer se sentait ridicule d’être là. Comment s'était-elle retrouvée à dire au revoir dans cet hôtel spartiate à cet homme très important pour elle, sans avoir su l’apaiser ? Yao était certes un mercenaire mais qui pouvait montrer un cœur tendre. Ça, elle était bien placée pour le savoir. Le reverrait-elle un jour. Who knows ? se dit-elle. Pour l'heure, il semblait que rien ne saurait calmer la rancœur que yao nourrissait envers la jeune femme.

« Bon ben salut ! »

Et il s’en retourna se coucher. Visiblement Yao n'attendait plus rien de cette relation. Jennifer, déconcertée par l’attitude de son compère, resta un instant, interdite, puis repartit vers sa chambre. Elle se passa de l’eau fraîche sur le visage pour recouvrer ses esprits, empoigna son bagage et descendit à l’accueil pour demander qu’un taxi lui soit commandé. En l’attendant, son cerveau tournait à plein régime. Elle pensait pour elle : Yao me fait payer mon apathie à son encontre. J’ai bien mérité ce dédain lorsque je suis passée le saluer avant de quitter le pays. Maintenant que j’y repense, j’avais besoin de la chaleur de Yao à ce moment-là. Parfois, j’en peux plus de Patrick qui est froid comme un glaçon, n’a pas d’opinion, est mou comme une huître. Yao… Je lui ai fait méchamment du pied pour le séduire. Tout ça pour me prouver que je peux plaire. Les choses sont allées trop vite, on n’arrivait plus à se contenir. Avais-je réellement envie de me retrouver dans son lit ? Je n’en sais rien aujourd’hui. Qu’est-ce que je suis nulle !

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