Chapitre 18 - Exfiltration

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L’aube allait poindre quand Jennifer entendit des bruits qui dénotaient de l’environnement normal. Elle se redressa et secoua Aye qui avait fini par s’endormir à côté d’elle.

« Serait-ce votre équipe d’extraction ?

— J’en doute. Elle aurait été vraiment rapide. De plus, nous avions convenu avec Yao de nous appeler dans trois heures pour qu’on puisse se localiser de manière plus précise. Je ne vois pas comment avec les indications que je lui ai données hier, Yao aurait fait pour miraculeusement tomber sur la maison dans laquelle nous avons trouvé refuge.

— Ok, cela veut dire qu’on devrait rapidement et discrètement sortir d’ici. »

Aye se leva et Jennifer lui emboîta le pas. Elle avait les jambes un peu lourdes. Elle se dit que la sensation disparaîtrait au bout de quelques kilomètres. Aye scruta les environs, à la recherche du moindre indice suspect : un jeu d'ombres, un mouvement inattendu.

« Aye, tu es sûr que nous allons dans la bonne direction ? souffla Jennifer. Nous devons bien suivre la route que nous avons prise hier, non ? Ou la longer.

— Je confirme. Regarde sur ta gauche, tu verras que le chemin d’hier est à environ soixante, soixante-dix mètres, tu reconnais le chemin ? »

Jennifer acquiesça. Compte-tenu de tout ce qui s’était passé ces dernières heures elle avait confiance.

« Crois-tu que ce soit une bonne idée d’essayer de passer mon appel maintenant ?

— Non, je ne crois pas. C’est trop tôt et surtout, nous sommes encore loin de l’antenne du réseau mobile. Je ne pense pas que nous soyons dans la zone de couverture. »

Jennifer aurait espéré une autre réponse mais s’en contenta. Elle ne pouvait pas modifier la réalité physique et en était parfaitement consciente. Elle était impatiente d’avoir des nouvelles de Yao. Elle savait qu’elle pouvait lui faire confiance mais compte tenu des circonstances, elle avait mille raisons de penser à un scénario négatif. Si la mission échouait, l’option était de passer en Thaïlande à pied en traversant par la forêt. Cela représentait de nombreuses heures de marche, avec peu de vivres et n’était guère réjouissant.

Jennifer pressa le pas. Aye la rattrapa et lui fit signe de ralentir un peu.

« Tu vas t’épuiser à ce rythme. Je comprends bien que tu sois pressée mais ça ne sera pas top si tu ne peux plus mettre un pied devant l’autre. »

Il compléta en lui rappelant de s’hydrater régulièrement. Le temps avait changé depuis leur départ de Wan Ho-hwè : la chaleur s’était accentuée et l’air s’était asséché. Ils étaient plongés dans une région où la végétation était abondante. Il semblait que l’humidité devait toujours persister peu importe les aléas météorologiques.

Aye avait beau lui avoir dit qu’il s’agissait d’un terrain connu Jennifer ne reconnaissait pas du tout les lieux. Au bout de trois quarts d’heure, elle fit un signe de tête à Aye pour demander à nouveau si elle pouvait passer son appel téléphonique et fut soulagée quand il acquiesça. Elle s’empressa de l’allumer. Elle regarda sa montre. C’était peut-être un peu tôt mais elle ne pouvait plus tenir. Elle composa le numéro de Yao et se concentra sur la tonalité. Instinctivement elle se mit à croiser les doigts.

« Allo ? Jenny ? » fit Yao.

Il y avait beaucoup de bruits en arrière-plan. Yao en voulant les couvrir de sa voix faisait saturer le haut-parleur.

« Bah oui, c’est moi. Qui veux-tu que ce soit ?

— Maintenant, je suis sûr que c’est toi. Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu as un souci ?

— Non, tout va bien mais je voulais savoir où tu en étais.

— Impatiente de me revoir à ce point ? Tu me flattes, ma grande. Bref… Nous sommes plutôt dans les temps. On doit être encore à cinq ou six kilomètres. On a dû faire quelques détours pour arriver à passer la frontière discrétos. Ils sont fébriles dans le coin.

— Vous en avez pour combien de temps ?

— Je ne sais pas trop… Une grosse demi-heure si la route reste praticable. On verra s’il nous faut débroussailler la végétation nous-mêmes. La prochaine fois, tâche de trouver une destination de vacances qui craigne moins !

— J’y penserai…

— Je te laisse. Je dois surveiller nos arrières. On a réussi à passer entre les mailles du filet mais la zone est quadrillée.

— Ok, à toute. »

Jennifer raccrocha. Elle souffla. Yao n’était plus très loin.

« Bonne nouvelle ? » demanda Aye d’un ton qui laissait transparaître que la question n’était que pure forme puisque la satisfaction devait se lire sur son visage.

« Une demi-heure, trois quarts d’heure. » fit-elle pour toute réponse.

*

Les minutes suivantes parurent une éternité. Jennifer commençait à être épuisée. Si elle avait dormi quelques heures la nuit dernière, elle sentait tout de même une certaine lourdeur dans sa tête, comme si ces pensées étaient dans du coton complètement emmêlées.

« Quelqu’un s’approche. » fit Aye au bout d’une trentaine de minutes, en mettant un doigt sur sa bouche.

Il lui fit signe de se cacher derrière un enchevêtrement de végétation pendant que lui, s’avançait sur une vingtaine de mètres. Jennifer essaya de regarder dans la direction où il allait pour tenter de voir ce qu’il avait vu ou entendu, en vain. Aye avait vraiment des sens bien plus affûtés qu’elle. Au bout de deux autres minutes, elle finit par distinguer du mouvement à une centaine de mètres. Elle tendit l’oreille pour saisir une parole ou un son qui lui permettrait d’identifier ce qui s’avançait vers eux. Aye était parti en éclaireur mais était-ce pertinent vu qu’il ne connaissait pas Yao ? Elle ne lui avait même pas donné de description alors qu’il était très facile de le reconnaître dans la région. Yao était de mère thaïlandaise et de père ivoirien. Côté couleur de peau, il avait hérité de son père. Alors sauf à ce que l’armée birmane fasse appel à des mercenaires, il ne faisait pas très couleur locale. Jennifer fut tentée de sortir de sa cachette pour se lancer derrière Aye quand elle sentit d’un seul coup vibrer quelque chose dans son sac : le téléphone.

« Allô ?

— Jenny ?

— Bah oui, qui veux-tu que ce soit ?

— Toujours aussi charmante. Bref. On ne doit pas être très loin du point de rendez-vous. Vous y êtes ?

— Oui, on y est. On se cachait car il y avait du mouvement un peu plus loin, on ne voit pas qui c’est.

— Nous, on ne voit personne…

— Tu ne veux pas jeter un bout de bois ou un truc comme ça dans les branches d’un arbre. Si je le vois, je saurais alors que c’est toi.

— T’as oublié d’être bête, toi. Attends une seconde. »

Jennifer vit une branche d’arbre s’envoler puis s’écraser sur le tronc d’un arbre à une soixantaine de mètres à droite d’Aye.

« Bon, à moins qu’on soit sur écoute, c’est bien toi… J’avertis Aye... on arrive. »

Jennifer se redressa et vit tout de suite Aye l’air catastrophé. Elle lui fit signe immédiatement de se rassurer et mima l’appel téléphonique pour qu’il comprenne. Elle lui fit signe de se rapprocher en allant tout droit vers l’endroit d’où la branche avait été lancée. Arrivés à une vingtaine de mètres, Yao et deux autres hommes surgirent des brousailles.

Aye eut un mouvement de recul. Il fallait dire que la stature de Yao en imposait. Il dépassait le birman d’une bonne tête et sa largeur d’épaules faisait ressembler Aye à une crevette. Pourtant Aye malgré le côté sec de sa silhouette, était plutôt musculeux mais en comparaison du corps bodybuildé de Yao, il ne faisait pas le poids.

« Salut Princesse, faudra que tu m’expliques un jour comment tu fais pour te retrouver toujours dans des endroits et des situations délicates… Mais bon, content de voir que la moitié du chemin vers ma paie est faite.

— Charmant.

— T’offusque pas, Princesse, je t’ai quand même fait le prix d’ami. Tu ne vois que trois mecs, là mais j’en ai trois autres sur le terrain qui sont partis occuper tes amis de l’armée birmane. Six bonhommes pour te tirer d'affaires en moins de vingt-quatre heures. Même pas sûr que l’armée de ton pays arrive à organiser ça en si peu de temps, et à prix d'amis en plus !

— Ça va, ça va, j’ai compris. Merci beaucoup d’être venu et d’avoir fait si vite. Je t’en devrai une. »

Yao fit mine de la reluquer de bas en haut.

« Pourquoi pas mais j’ai une Madame qui est jalouse, pas sûr que ça puisse le faire.

— Comme si t’étais marié et comme si ça pouvait te gêner… » fit Jennifer pour provoquer Yao.

Yao fit d’ailleurs une drôle de tête, il ne s’attendait pas à cette répartie, ne savait pas si c’était du lard ou du cochon. Il ne l’avait pas questionnée à propos de sa situation familiale mais se pourrait-il que ce ne soit plus l’idylle avec son anglais de mari ? Jennifer ne lui laissa pas le temps de gamberger, elle fit les présentations :

« Aye, je te présente Yao, mon ami mercenaire. Yao, je te présente Aye, mon guide local pour cette mission.

— Et voilà, Maluwi et Nattapat. Maluwi que je connais depuis des lustres quand j’étais en Côte d'Ivoire et ailleurs. Nattapat, qui n’est autre que mon presque beau-frère… Mais bon c’est pas très clair côté famille, donc on ne va pas s’étendre. »

Jennifer jeta un œil sur les deux jeunes hommes. Ils devaient tout au plus avoir la trentaine. Maluwi ressemblait à Yao en un peu moins massif et le métissage thaïlandais en moins. Son regard noir mettait mal à l’aise et fichait même la frousse. Jennifer se dit qu’il n’était peut-être pas prudent de rester seul avec lui avant de cerné un peu mieux le personnage. L’histoire des compagnons de fortune ou d’infortune de Yao était généralement chaotique car liée à des conflits armés qui participait à leur instabilité voire agressivité. Nattapat était un modèle réduit mais râblé. Ses traits étaient thaïlandais sans l’ombre d’un doute. Des trois hommes, c’était celui qui semblait le plus sur le qui-vive, scrutant en permanence les alentours. Il semblait le faire même en parlant avec les gens et cela donnait la sensation qu’il ne vous écoutait pas. Il parlait un anglais très haché. On sentait qu’il n’appréciait pas la langue et retournait très rapidement au thaï pour jurer.

« C’est quoi le programme maintenant ?

— On va se rapprocher au plus près de la frontière. De là, en principe, l’autre groupe qui nous a permis de servir de diversion a dû récupérer la voiture et s’est posté aussi près possible du point d’extraction.

— Pas d’hélicoptère ?

— Hey, on n’est pas dans un film, ma belle. On n’a pas le budget non plus. Huuum... La végétation est dense ici il y a peu de clairières pour une approche par les airs de façon safe.

— Non, c’est juste que je suis crevée. Imaginez qu’on marche dans cette jungle encore pendant des heures ne m’enthousiasme pas des masses.

— Bah dis-toi que d’ici une heure, tu pourras poser tes petites fesses dans une bagnole qui te ramènera là où tu veux. »

Jennifer hocha la tête. Elle regarda en direction de Aye qui n’avait pas dit mot depuis le début. Elle l’interrogea du regard pour savoir s’il voulait savoir quelque chose d’autre mais celui-ci secoua la tête négativement.

« Yao, pourras-tu jeter un œil rapide sur le bras de mon ami ? C’est moi qui ai fait la suture, je voudrais m’assurer que j’ai fait cela proprement. Tu es sûrement plus apte à juger que moi.

— Ouais…. Mais je ne suis pas toubib pour autant, tu sais… Faudra aller consulter un vrai médecin quand même une fois rentré, hein ? »

Yao s’approcha et Aye toujours en silence, présenta sa blessure.

« Bon boulot ! On dirait que tu as fait ça toute ta vie ! T’as toujours ton matériel de rafistolage sur toi ou c’était un coup de chance ?

— J’ai pris l’habitude d’en prendre un dans mon sac. Cela ne prend pas trop de place et c’est toujours pratique en cas de bobo. »

Yao approuva de la tête.

« Bon, on décolle, les enfants. Faut pas traîner. Je viens de recevoir un message. Les autres ont réussi à perdre la patrouille qui surveillait la frontière et qui les avait suivis. Ils ont fait demi-tour et vont mettre une quarantaine de minutes à retourner au point d’extraction. Ils vont peut-être pouvoir faire une incursion sur le territoire birman pour venir à notre rencontre. Il va falloir que ce soit en mode éclair. Allez, go, on file. »

Nattapat prit la tête, suivi de Jennifer et de Aye. Maluwi et Yao fermèrent la marche. Le jeune thaïlandais imposait un rythme assez soutenu, mais Jennifer eut moins de peine à le suivre que les heures précédentes. Le fait de savoir que la fin du calvaire se rapprochait en termes de distance ou de temps reboostait considérablement.

La troupe avançait silencieusement en marchant sur le chemin tracé par Nattapat. Jennifer était assez bluffée par le choix quasi millimétrique de sa trajectoire. Se mouvoir en évitant d'etre repéré par le bruit laissé par ses pas était essentiel à l’entraînement des mercenaires de la trempe de Yao. Ils passaient des heures et des heures à parcourir tout type de terrain, forêt, désert, rue bondée, etc. Tout cela pour justement intégrer des réflexes de déplacement et faire en sorte que la gamberge reste focalisée sur la vigilance et la réponse rapide face au danger et non sur le simple fait de mettre un pied devant l’autre, le terrain fut-il un boulevard ou un marécage.

Au bout d’une demi-heure, Yao vint à la hauteur de Nattapat et lui dit quelque chose en thaï. Il lui montra une direction légèrement différente de celle sur laquelle ils s’étaient lancés.

« On devrait arriver à rejoindre un sentier praticable pour la voiture. Les autres ont de l’avance, ils seront sûrement sur place avant nous. Alors, souris… un claquement de doigts et... pfff, terminé ! » fit Yao en passant au niveau de Jennifer.

Ils rejoignirent alors un sentier sur laquelle une voiture pouvait rouler. Un Hummer s’arrêta à leur niveau avec trois hommes à l’intérieur. Des thaïlandais costauds qui parlaient bruyamment à cause du bruit du véhicule. Ils semblaient surexcités et fiers d’eux. Yao acquieça leurs paroles et coupa court à la discussion pour que tout le monde grimpe dans la voiture et se dépêchent de faire demi-tour.

« Xûy xûy… » fit le conducteur, un peu déçu de ne pas avoir pu terminer l’histoire qu’il voulait raconter mais soucieux de suivre les ordres que Yao venait de donner.

De toute évidence, les trois hommes étaient moins expérimentés que ceux que Yao avait pris avec lui pour aller chercher Jennifer. Il avait dû se passer quelque chose de peu ordinaire, ils étaient impatients d’en partager le récit avec les autres. Ils étaient hilares.

« Tu comprends ce qu’ils disent ? demanda Jennifer à Aye.

— Pas très bien, c’est du thaï mélangé à une sorte de dialecte que je ne connais. J’ai du mal à comprendre tous les mots. En tout cas, la patrouille birmane les a fait bien rire, fit Aye. Etonnant, compte-tenu du contexte. »

Jennifer haussa les sourcils tout en faisant “oui” de la tête. Ces hommes étaient des mercenaires et les actualités comme le contexte des combats dans lesquels ils s’engageaient, ne présentaient qu’un intérêt secondaire. Leur humeur était en complet décalage avec celles des parties engagées dans le conflit auquel ils participaient. Dans quelques minutes, ils passeraient la frontière côté Thaïlandais. Quelle nouvelle sur ces dernières vingt-quatre heures : il fallait s’en réjouir. Jennifer jeta un regard au travers de la fenêtre à la fois avec un sentiment de soulagement mais aussi une petite boule au ventre qui lui rappelait que tout ne s’était pas déroulé comme elle l’avait envisagé. Une chose à laquelle elle était préparée qu’elle avait toujours du mal à avaler : une histoire de blessure à l’égo, rien de plus en somme.

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