CHAPITRE 3 : L’EXPLOITATION DE L’ILE

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La vérité m'a frappé de plein fouet. Il fallait me rendre à l’évidence : j'étais coincé sur cette île à jamais ! C'est ici que je mourrai seul, oublié de tous, puisque toute évasion semblait inéluctablement vouée à l’échec. C’était impossible. Il fallait que j’en prenne mon parti. Je décidai alors de faire l'inventaire de ce que j'avais à portée de main, de ce qui avait échappé au naufrage.

Bien heureusement j'avais déjà retrouvé ce précieux carnet et l’agenda dont je prenais la décision de développer un peu plus l'utilisation que j'en faisais. Chaque jour, je noterai le bilan de la journée passée en essayant d'entraîner ma mémoire. Cela me forcerait à me rappeler la chronologie des activités de la journée. Ne pas perdre ce rapport au temps me semblait désormais nécessaire, indispensable.

Outre l'agenda je découvris quelques pépites que les matelots, avec leur terrible sirène, n'avaient pas jeté à la mer. Quelle joie ce fut de retrouver des livres d'enfant. Ils me rappelaient ma lointaine jeunesse et j'en étais presque en larmes en les feuilletant. C’était comme une fontaine de nostalgie qui paradoxalement me rendait vivant à moi-même. Grâce à eux je réconciliais mon passé, mon présent, et cet avenir qui semblait tout tracé.

Puis, je tombais sur un crayon à papier et une gomme. Il y avait longtemps que je n'avais pas dessiné. Comment étaient-ils arrivés là ? Je n’en savais rien, mais je me sentais prêt à recommencer. Cela me permettrait, j'en étais sûr, de tuer le temps…

Il faut à tout prix que j'arrive à me rabibocher avec cet ultime ennemi qui nous broie tous, et qui me rend la vie si douloureuse.
Enfin, explorant l'île un peu plus, je découvrais, abandonné, un magazine au nom étrange : le sudoku. Je ne savais pas ce que c'était au début, mais heureusement la revue présentait les règles de ce jeu qui me séduisit immédiatement. Si ma mémoire est défaillante, handicapante au point ne plus pouvoir savourer un livre, ou de me lancer à corps perdu dans les mots croisés, ce jeu me sembla, après quelques parties, être une activité extraordinaire de la pensée ! Il faisait uniquement appel à la logique. C'est là que je vis que mon cerveau fonctionnait encore, alors que je commençais à en douter. Comme les vagues de l'île avaient été providentielles ! Les flots dérivants avaient mis cet ouvrage entre mes mains.
Apparemment, j'avais tout ce qu'il me fallait pour structurer une vie d'isolement insulaire. Je préparai donc un plan d'attaque, une stratégie contre l'ennui :
Je pris la décision de planifier ma journée. Le matin, je me mettrai au dessin en commençant par reproduire les illustrations de mes livres d'enfants, l'après-midi serait occupé à entraîner mon esprit grâce au sudoku. Mais j'avais peur que cela ne suffise pas. Alors, je me suis approché des autochtones. Silencieux, à moitié endormis, ils laissaient la télévision continuellement allumée. Je ne supporterais pas, comme eux, de la regarder en permanence.

Après plus d'une semaine d'observation, j'avais repéré deux ou trois émissions qui pourraient combler ce vide terrible. Je remarquai que les programmes qui passaient tôt le matin et en début de soirée seraient susceptible de me convenir. L’idéal aurait été bien sûr de regarder la télé tard le soir, mais la tribu en blanc nous empêchait de profiter de nos soirées : à 21 heures, tout le monde devait être au lit. Les drogues qu'elles nous imposaient étaient là pour garantir qu’il n’y ait aucune protestation, et que nous sombrions brutalement dans le sommeil.

Un dernier projet permettrait de finir de remplir mes journées : une promenade quotidienne. Au début, les sauvageonnes me refusèrent ce droit.

Mais là aussi, je mis au point un plan : j’observai les allées et venues des femmes de la tribu, ainsi que celui du grand chef. Je finis par trouver un créneau pour m'adresser au Grand Manitou. Je pénétrai donc dans son bureau et commençai à argumenter : certes j'avais tenté de m'enfuir de ces maudits rivages mais aujourd'hui j'avais compris. Je mourrais ici, il n’y avait pas d’échappatoire. Après une longue discussion, je fus bien obligé de reconnaître une certaine sagesse chez cet homme. Il m'autorisa à sortir dans l'enceinte de l'île, mais il me fit promettre de ne jamais quitter la plage. J'ai accepté ses conditions. Il avait réellement le charisme d'un leader. Je comprends maintenant pourquoi il a été élu chef de la tribu de l'île.

Les journées sont désormais organisées, rationalisées. J'ai trouvé une routine qui apaise mon esprit :

Le matin de 7h à 9h télévision.

De 9h à 10h je flâne sur mon île.

De 10h à 11h je dessine.

Après le repas j'ai décidé de m'accorder une heure de sieste digestive.

De 14h à 15h nouvelle promenade dans l'île.


De 15h à 16h Sudoku.

De 16h à 17h je remplis ce carnet de notes et agrémente mon agenda de quelques réflexions.

De 17h à 20h télévision.

Il est simple pour moi d'imposer ma volonté en ce qui concerne les émissions de télévision. Les autochtones la regardent sans la regarder. Ce vide dans leur regard est même terrifiant, mais c'est tout à mon avantage.

Cela fait plusieurs semaines voire plusieurs mois que cette routine me convient. C'est comme si je m'organisais une journée de travail qui se répétait sans cesse, mis à part le dimanche où je fais une pause totale. Je reste un peu plus au lit et me perds dans mes pensées en fixant le plafond. C'est cette routine qui me permet de rester dans le rythme de la civilisation, du monde des humains.
J'espère que cela va durer…

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