Désincarnation

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Flavia s’avançait vers la voiture, une Maserati Ghibli bleu nuit, lorsque la portière s’ouvrit, livrant le passage au Consigliare. La jeune fille ne put s’empêcher d’admirer sa silhouette athlétique mise en valeur par un complet veston gris anthracite d’excellente facture. La couleur foncée du costume lui durcissait les traits, mais ils n’en étaient que plus séduisants, soulignant la ligne carrée du menton et la forme effilée de ses yeux vert pâle. Ses bijoux d’or apportaient une touche éclatante à cette mise discrète et élégante. Il n’arborait pas cette fois son habituel air détaché, et semblait préoccupé.

Il fronça les sourcils en dévisageant Flavia, la découvrant telle qu’il ne l’avait jamais vue auparavant, vêtue d’une robe qui laissait entrevoir sa jolie chute de reins, et maquillée avec goût. Le trait de liner agrandissait encore ses yeux de biche et le rouge lui faisait une bouche pulpeuse terriblement engageante. Ainsi fardé, son visage évoquait celui d’une délicate poupée de porcelaine, alliant la grâce juvénile au piquant de sa féminité révélée.

Mais pour qui s’était-elle donc tant mise en frais ? La stupéfaction lui ôta les mots de la bouche, et le retint de lui faire la morale comme il l’avait prévu.

Il s’écarta donc simplement pour la laisser s’installer à l’arrière et prit place à ses côtés en silence, mais en la couvant toujours d’un regard intense. De son côté, elle fixait ses mains, pour éviter d’être troublée par l’homme.

Le trajet lui parut interminable, sous le feu du désir dont elle savait être l’objet, et qui, peu à peu, enserrait sa poitrine. Ha, comme elle aurait aimé se blottir contre sa poitrine, et sentir ses doigts s’entremêler dans ses cheveux !

Mais la voiture s’arrêta enfin, et le chauffeur ouvrit la portière. Le garage lui parut s’étendre à l’infini, elle avait peur d’être engloutie dans cette immensité si elle sortait. La main du Consigliare saisit doucement la sienne pour l’emmener à l’extérieur, puis au travers du dédale de corridors qui quadrillaient le quartier général de la Fiammata. Flavia se concentrait sur le toucher chaud de la paume qui se pressait contre la sienne pour ne pas penser à ce qui l’attendait de manière imminente, et ainsi garder entière sa détermination.

Avant de pousser la porte, il la tira en arrière et la plaquant contre le mur, il l’embrassa brutalement.

Le baiser s’éternisa, alors que ses mains couraient le long de la nuque de la jeune fille, de son dos, lui prenant les hanches. Chaque parcelle de peau effleurée manifestait son excitation en se redressant sous le contact.

— Ne rentre pas, reste avec moi et appartiens-moi…souffla Alteri dans son cou. Flavia réprima l’envie lancinante de partir avec lui sur-le-champ et le repoussa avec peine.

Alteri essuya ses lèvres recouvertes d’une pointe de rouge et recula, la transperçant de ses prunelles flamboyantes. Soupirant discrètement, il prit quelque chose dans sa poche et se postant derrière Flavia, il lui attacha sur les yeux un bandeau de velours noir, lui rappelant les sensations familières de ses premières rencontres avec Malaspina.

Puis, il l’entraîna par la taille dans la salle sur laquelle débouchait le couloir. Flavia ne put deviner ce qui se passait car le silence s’était fait dès son entrée.

Le Boss trônait comme à son habitude, Maddalena et une jolie blonde à ses genoux, et ses deux gardes du corps à ses côtés. Il faisait face au Capo societa, le grand chef du Santo Maggiore, une société d’élite qui chapeautait toute la mafia calabraise, lequel était également entouré de deux de ses hommes.

Le Capo societa, un colosse d’une cinquantaine d’années aux cheveux coupés ras et au visage taillé à la serpe, cessa de fumer le cigare en contemplant la nouvelle venue.

— Voilà ma petite chienne qui va faire en sorte que vous emportiez des souvenirs agréables à Reggio de Calabre, la présenta le Boss.

Brenno, guide-la vers notre hôte, et déshabille-la, enjoignit-il en se tournant vers son bras droit.

Flavia se sentit guidée vers un point situé face à elle. Puis des mains douces dont elle apprécia le contact écartèrent délicatement la robe de ses épaules et la firent glisser au sol. Ces mêmes mains détachèrent adroitement son soutien-gorge et la débarrassèrent de sa culotte, alors qu’une respiration lourde caressait sa nuque. Enfin, elle fut invitée à s’asseoir, toujours avec les mêmes égards.

Mais la sensation de tiédeur qu’imprimait le souffle du Consigliare fut vite remplacée par l’air frais qui l’enveloppait ainsi que par la froidure du cuir contre sa peau, ce qui lui donna la chair de poule.

— Pourquoi ses yeux sont-ils masqués ? demanda une voix grave et éraillée qu’elle ne connaissait pas.

— C’est elle qui l’a demandé, et je le lui ai accordé, déclara le Boss. Je suis bien sûr qu’elle va vous satisfaire. Vous pouvez en faire ce que bon vous semble, mais je souhaiterais que vous n’utilisiez pas sa bouche, c’est la seule limite. Voici des préservatifs pour ne pas salir ma petite chienne, vous pouvez les déposer là une fois usagés.

Le Boss s’avança vers Flavia et lui caressa le menton.

— Ma petite chienne va être bien gentille et donner du plaisir à notre invité. Et pour mesurer cette quantité de plaisir, je t’informe, puisque tu ne vois rien, que j’ai placé à côté de la réserve de préservatifs un petit saladier que remplira notre ami avec le produit de la jouissance que tu lui auras donné, j’espère. Travaille bien pour qu’il soit plein ce soir, sinon je te punirai.

Flavia déglutit à ce tableau répugnant, qui était pire que n’importe quelle punition.

Puis, le Boss s’adressa à nouveau au calabrais :

— Je vous la donne toute pure, ne me la rendez pas abîmée.

À ces mots, une main rugueuse lui saisit le cou pour la mettre à quatre pattes et commença à s’affairer entre ses cuisses, s’introduisant sans ménagement dans son intimité.

La trouvant sèche, elle commença un mouvement de va-et-vient désagréable à cause de la callosité des doigts qui la préparaient avec rudesse.

— Ta chienne, elle ne paraît pas en valoir le coup, déjà, j’aime les formes, moi, et là, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, persifla-t-il sur un ton dédaigneux.

— Attends un peu avant de juger, répondit le Boss d’un ton calme et pourtant lourd de menaces. De plus, je suis sûr qu’elle se doute de ce qui se passera si elle fait mal son devoir.

Pourtant, Flavia se moquait bien de ce qui pourrait advenir si elle ne s’acquittait pas de ce que le Boss avait exigé. S’il était une chose qu’elle ne craignait pas, c’était la mort, elle la désirait même parfois.

Mais le contact brutal du calabrais lui rappela celui de Malaspina, qui l’avait tant malmenée pour parvenir à la jouissance. Ce souvenir enflamma son bas-ventre, et elle revit enfin le plus bel homme qu’elle ait jamais contemplé, le splendide Capocrimine, avec ses traits fins aux lèvres pleines, son regard bleu profond qui jetait des flammes, son corps svelte aux muscles finement sculptés, sa peau dorée et satinée sur laquelle tranchait ses cheveux de jais, son torse parcouru de volutes gravées à l’encre.

En une fraction de seconde, elle se retrouva avec lui, se soumettant complaisamment à ses désirs féroces et cambra ses reins pour s’offrir à la pénétration.

L’homme poussa un râle de satisfaction en sentant le liquide commencer à suinter de l’orifice et en voyant le postérieur offert de la jeune fille.

Flavia entendit le bruit d’une braguette qui s’ouvrait et un instant plus tard, un membre s’introduisait en elle alors que des mains empoignaient vigoureusement ses hanches.

Le Boss surveillait la scène d’un œil attentif, il manifesta silencieusement son contentement de la voir se soumettre en ouvrant lui-même sa braguette et forçant Maddalena à lui faire une fellation.

De longues minutes s’écoulèrent pendant que ce qui s’apparentait davantage à un accouplement bestial se déroulait sous les yeux électrisés du Boss, qui explosa bruyamment dans la bouche de la belle rousse.

Mais Flavia avait déjà vécu des étreintes aussi agressives, et être ainsi rudoyée augmenta son excitation, étant toute à sa passion pour Malaspina. Dans ses bras, elle avait vibré plus intensément qu’à aucun autre moment. Le calabrais perçut quelque chose de ce qui se passait dans l’esprit de Flavia à son attitude qui se faisait demandeuse.

Comme elle se faisait délicieusement ardente sous sa poigne, il se répandit en elle sur l’exquise image de cette reddition.

Il la lâcha bientôt, mais c’était pour se débarrasser du préservatif rempli et en enfiler un autre, car elle avait allumé en lui un feu inextinguible. Il la retourna face à lui et fit courir ses doigts sur la peau humide de la jeune fille, légèrement d’abord, puis il pinça les tétons, les tirant comme pour la punir d’avoir une poitrine si menue, arrachant un gémissement à Flavia. Elle s’arqua sous la vague de douleur, qui lui laissa malgré tout une grisante sensation de brûlure. Il réitéra l’opération sur le bourgeon sensible, provoquant la même réaction.

— Je comprends pourquoi tu l’as choisie, fit le calabrais, c’est une petite vicieuse, elle aime la douleur.

— Fais-toi plaisir, mon ami, mais ne la marque pas durablement, j’en ai encore l’utilité, recommanda le Boss, dont Maddalena tentait de réveiller l’érection.

Le membre se fraya à nouveau un passage dans les entrailles de Flavia, la martelant sans aménité, alors que le calabrais maltraitait toujours ses seins et son clitoris. Il s’arrêta un instant, en haletant et présenta son pouce à lécher à Flavia qui l’enroba docilement de sa langue. Dans son esprit, c’était le capo au regard outremer qui lui imposait tous ces actes et plus que s’y soumettre, elle les appelait de tout son corps.

—Tu es bien trop étroite, petite chienne, malgré tout ce que je te mets, ricana l’homme qui la possédait, mais je vais t’élargir pour être plus à l’aise.

Et le pouce s’introduisit en Flavia en même temps que la verge, allant et venant de concert avec elle. Flavia grimaça sous l’écartèlement de ses chairs, mais elle avait déjà connu une semblable sensation quand Leandro et Malaspina l’avaient prise simultanément. À cette pensée, elle haussa son bassin pour rejoindre celui du calabrais.

Ce dernier apprécia visiblement cette manœuvre et présenta trois doigts devant les lèvres de Flavia.

— Lèche, petite chienne, ordonna-t-il, bientôt obéi par Flavia qui suça avec délectation les longs doigts du capo napolitain.

Quand ces doigts furent bien lubrifiés par la salive de la jeune fille, ils s’enfoncèrent lentement dans l’orifice autour du sexe de l’homme. Flavia se mordit la lèvre pour ne pas hurler, se sentant horriblement distendue par la pénétration, qui reprit de plus belle.

Réflexivement, elle s’accrocha à la main qui la torturait, alors que les larmes s’écoulaient librement sur ses joues.

— Oh, petite sgualdrina, ça te plait ? éructa l’homme, éjaculant dans la seconde.

Haletant, il s’abattit sur elle, pesant de tout son poids, recherchant son souffle dans le cou de la jeune fille. Celle-ci s’asphyxia dans les vapeurs d’alcool et de tabac qu’exhalait le Capo societa et eut un haut-le-corps, qu’il ressentit. Il s’écarta alors d’elle.

Contre toute attente, une main rêche lui effleura la joue, ce geste ressemblait à une récompense, se dit-elle, la tête embuée de douleur et de plaisir. Puis, elle entendit le bruit d’un morceau de plastique qu’on déchirait.

Un bras vigoureux lui releva le buste.

— Tu es endurante, fillette. Viens un peu sur moi maintenant, à toi de travailler, lui enjoignit le calabrais.

Malaspina lui avait ordonné la même chose autrefois, cela la transporta instantanément à cet instant de son passé et elle s’exécuta avec empressement. Elle se saisit du membre mou à pleine main et le caressa avec une science toujours plus consommée, qui le rigidifia en quelques secondes.

Puis se postant à califourchon sur l’homme, elle s’appesantit sur son sexe dressé, prenant appui sur ses épaules en passant les bras autour de son large cou.

« Donne-toi du plaisir » lui avait ordonné un jour Malaspina, et c’est ce qu’elle fit en ce moment en débutant lentement une danse envoûtante, s’arrêtant parfois pour jouir de tout le volume du membre en elle. La délicatesse et la sensualité des gestes de la jeune fille hypnotisèrent l’homme, qui se laissait peu à peu emporter par son ardeur croissante. Flavia prit le visage de l’homme et le lova dans son cou, l’invitant à le baiser, ce qu’il commença à faire lentement, promenant sa bouche sur la ligne de l’épaule jusqu’à sa poitrine. Les mains du calabrais se crispèrent sur sa taille, alors qu’elle atteignait l’orgasme en s’effondrant sur la poitrine de l’homme. Celui-ci expirait péniblement en la rejoignant dans l’extase.

Il la renversa sur le canapé pour reprendre son souffle, la face perdue dans la chevelure soyeuse de Flavia.

C’est alors qu’elle perçut, à sa plus grande surprise, la voix de l’homme qui lui susurrait à l’oreille :

« Si tu te lasses de ces cazzi, tu peux venir me rejoindre à Reggio de Calabre, au Palacio du Lungomare Falcomatà. Je te jure que je ne te torturerai pas ».

Et il se releva et réajusta ses vêtements, laissant la jeune fille allongée à ses côtés.

— C’est bon, j’ai fini. Ne lui en tiens pas rigueur, c’est moi qui n’en peux plus. En tout cas, jolie surprise, c’était très agréable, conclut le calabrais avant de quitter la pièce, suivi de ses deux hommes, toisant le Boss de biais.

De son côté, Flavia était épuisée par sa dernière chevauchée et se laissa aller au sommeil. Oubliant totalement le contexte, elle s’endormit dans les bras de son amant, comme elle l’avait fait une fois à Areggio, sa ville natale.

Elle ne réalisa donc pas que la pièce s’était peu à peu vidée, que le Boss l’avait quittée après l’avoir contemplée un moment, étendue gracieusement dans sa nudité, la chair rosie par les étreintes qu’elle avait données et reçues.

Il ne subsistait plus qu’Alteri auprès d’elle, qui la recouvrit de sa veste, et dénoua le bandeau qui lui obturait la vue. Il hésitait à l’éveiller de peur qu’elle soit accablée brutalement par les évènements de la soirée, d’autant que le spectacle repoussant des préservatifs usagés ornait toujours la table basse. Il n’avait pas perdu une miette de tout ce qui s’était passé et avait défoulé sa frustration sur la voluptueuse blonde qui accompagnait le Boss. Puis il se dirigea vers le meuble d’ébène situé à sa droite et se servit un verre d’Amaro d’angélique, un alcool qu’il affectionnait particulièrement en digestif. Le goût amer du breuvage s’accordait parfaitement avec l’impression que lui avaient laissée les scènes détestables auxquelles il avait assisté.

Il était mortifié en son for intérieur de voir que Flavia avait réagi exactement comme avec lui-même, et que rien ne semblait la détourner de l’amour pour ses anciens amants. Il ne pouvait cependant se résoudre à lui en vouloir, car la vengeance qu’elle devait accomplir était un poids bien lourd à porter pour ses frêles épaules.

Il resta ainsi jusqu’à ce qu’elle émerge de sa somnolence. Un long moment s’écoula avant que les yeux de la jeune fille ne s’entrouvrent avec difficulté. Ils s’écarquillèrent, ne reconnaissant pas leur environnement habituel. Le souvenir de qui venait de se passer se rappela alors brutalement à sa mémoire et elle se recroquevilla sous le choc. Alteri la saisit alors et la ramena contre lui sans mot dire.

Qu’avait donc cette fille qui l’attire ainsi, lui toujours si indifférent ? Il avait pu l’observer en pleine déchéance, et pourtant, toute cette boue ne paraissait pas avoir de prise sur elle, elle était là contre lui comme si rien ne l’avait entachée, à part les larmes qui inondaient maintenant ses joues.

Lui, le pragmatique qui ne voyait jamais que son intérêt dans toute chose, s’intéressait maintenant à une autre personne que lui-même, et ce sentiment nouveau le déstabilisait profondément. La rage que provoquait son impuissance lui était également inconnue, il ne pouvait rien contre le Boss tout comme il ne pouvait rien pour détourner Flavia de son objectif. Il avait conscience que son seul souci aurait dû être de la pousser dans son sens, au mépris de toute autre considération, mais cela lui semblait désormais un prix bien élevé à payer pour parvenir à ses fins.

Il berçait maintenant la jeune fille, en attendant que ses pleurs se tarissent. Dans un mouvement de colère, il donna un coup de pied dans les horribles reliques qui lui faisaient face pour éviter que Flavia les aperçoive, mais le mal était déjà fait, elle les avait vues.

Elle s’était crue assez forte pour se confronter au Boss, mais elle ne pouvait que constater que sa cruauté l’avait terrassée. Auparavant, elle s’était désolée de n’avoir été considérée que comme un jouet par Malaspina, mais ce n’était rien en comparaison de la véritable déshumanisation qu’elle subissait aujourd’hui.

— Je t’avais prévenue, murmura Alteri, il faut que tu renonces, car tu te trompes si tu crois que tu as atteint le fond avec le Boss. Il a bien pire en réserve, crois-moi.

Néanmoins, cet avertissement réveilla l’esprit de contradiction qui avait toujours animé Flavia.

Elle se blottit contre le Consigliare, recherchant un abri qui la protègerait de toutes ces avanies, et susurra :

— Non, j’y arriverai, j’y arriverai…

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