Ouverture sur le magister

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Le son strident du réveille-matin se fraya désagréablement un chemin jusqu’aux tympans de la jeune fille ensommeillée qui gisait sur son lit, nue sous les draps.

Flavia releva péniblement la tête, et immédiatement une question fondit sur elle. Comment était-elle arrivée là ? Les évènements de la nuit avaient-ils réellement eu lieu ?

Son drap de bain était suspendu à sa chaise, et ses cheveux fleuraient bon le parfum d’amande douce de son shampoing. Sa peau était également douce et fraîche, débarrassée de la sueur des ébats répugnants auxquels elle s’était soumise.

Le dernier souvenir auquel sa mémoire torturée lui permettait l’accès était la sensation des bras réconfortants d’Alteri qui la pressaient contre lui, mais le reste avait été englouti dans son esprit troublé.

Mais elle pouvait deviner sans mal que le relatif bien-être qu’elle éprouvait en ce moment, propre et embaumée, était une délicate attention que le Consigliere avait eue pour elle.

Il avait également eu le tact de lui retirer le collier de chien que le Boss lui avait imposé de porter, et l’avait caché dans sa table de chevet. Ces sensations douces-amères lui serrèrent la gorge. Encore une fois, elle s’était crue assez forte pour affronter son ennemi, et l’épreuve s’était révélée si dégradante qu’elle avait du mal à conserver intacte sa détermination.

Sur le moment, si elle était parvenue à se duper elle-même, la réalité de ce qu’elle avait fait l’avait maintenant rattrapée et c’était si avilissant qu’elle en avait le cœur au bord des lèvres. Elle se haïssait maintenant de s’être donnée si complaisamment, même si elle savait que c’était pour elle la seule échappatoire.

Elle avait pensé pouvoir garder le recul nécessaire mais la tâche était trop ardue. Elle était sale, son corps s’enfonçait toujours davantage dans la souillure, et elle s’était même contrainte à y trouver du plaisir. Pouvait-on s’y habituer ? Comment faire pour y parvenir? se demanda-t-elle en appréhendant la prochaine rencontre.

Car elle savait désormais que le Boss n’hésiterait pas à se servir à nouveau d’elle comme d’un objet de récompense dans ses odieux trafics. Et il réitèrerait probablement son ignoble système pour la pousser à le satisfaire. L’immonde image du saladier jonché de préservatifs usagés lui donnait une nausée irrépressible. De plus, elle avait devant elle tout le weekend pour ressasser ces visions d’horreur, elle rechercha donc en vain une autre idée qui chasserait celle-ci.

Pourtant les larmes s’étaient taries hier sur l’épaule d’Alteri, il ne lui restait maintenant que le dégoût, une sensation lancinante de malaise qui lui vidait le cœur. Il fallait simplement tenir un peu plus longtemps, résolut-elle, et se raccrocher au reste pour ne pas sombrer.

Une mélodie s’harmonisa avec ses pensées et elle introduisit un CD dans sa chaîne pour meubler le silence assourdissant qui augmentait encore l’impression de vide qui l’oppressait.

The path to decay… le chemin vers la pourriture… tel aurait pu être le résumé de sa vie. La puissance des accords et le cri de la chanteuse reflétaient la profondeur de son désarroi.

« The lights are fading day by day, no cure for the lost, there’s no ascending », pleurait la mélopée, de concert avec l’âme de Flavia. Oui, les lumières se consumaient jour après jour, il n’existait aucun remède pour ce qui était perdu, ni de remontée à la surface possible.

« When life could not become more pale, a new dawn is here, another day » proclamait néanmoins la voix mélancolique de la chanteuse. Il fallait parfois s’aventurer jusqu’au plus profond du désespoir pour qu’une nouvelle aurore puisse naître.

Elle se força à ingurgiter un café, espérant qu’un regain d’énergie la soutiendrait pour faire son rapport à ses complices. Elle devait, bien entendu, évoquer la présence du chef calabrais, mais elle voulait à tout prix cacher son rôle exact, surtout à Marco, sans qu’elle puisse se l’expliquer.

Mais avant qu’elle n’ait eu le temps d’attraper son téléphone, la sonnerie retentissait déjà, suivie des habituelles exclamations de Fabio, aujourd’hui légèrement teintées d’inquiétude.

Come stai oggi, sorrellina ? demanda-t-il en feignant la gaieté.

— Bien, répondit Flavia d’une voix blanche, est-ce que vous avez pu commencer à tracer l’itinéraire qu’on a emprunté hier ?

— Oui, nous avons remonté le trajet depuis la Via dei Coronari, traversé le pont Umberto Ier et emprunté le Lungotevere Prati au bord du Tibre. Ensuite, nous avons passé le pont Cavour et poursuivi jusqu’au Lungotevere dei Mellini. Nous nous sommes cantonnés pour le moment à cette portion car elle était d’un seul tenant et ne permettait pas de nous repérer, mais visiblement on s’oriente pour l’instant vers le nord de Rome. Sinon, nous avons relevé la plaque du véhicule, mais elle est enregistrée au nom d’une agence de location qui est probablement reliée à la Fiammata. Nous continuerons d’investiguer sur cette piste car si elle s’avère fructueuse, tu n’auras pas à y retourner. Mais cessons de parler de nous, dis-moi plutôt comment ça s’est passé de ton côté ?

Flavia redoutait cette question, sur laquelle elle savait qu’elle ne pourrait faire l’impasse.

— Disons que ça a été, le Boss recevait un Calabrais, mais j’avais ordre de baisser la tête, je n’ai pas pu voir à quoi il ressemblait. Je crois que c’était quelqu’un d’environ la cinquantaine à sa voix, il devait être très haut placé vu la manière dont le Boss s’adressait à lui.

— Un Calabrais… Oui, tu nous l’avais dit, c’est une engeance de démons, ceux-là, ils n’ont aucune limite, pas de code d’honneur, bien qu’ils invoquent toujours la vertu…Laisse-moi rire… Malaspina avait un mal fou à les tenir éloignés de notre zone de contrôle. Est-ce qu’ils t’ont embêtée ?

— Non, mais les tractations ont été couronnées de succès, ils sont maintenant alliés avec le Boss. Cependant, j’ai cru comprendre que leur chef le méprisait quand même, je l’ai entendu traiter les nervis de la Fiammata de cazzi, c’est tout dire…

— Hé bien, ça ne m’étonne pas mais malheureusement ne je vois pas trop comment on pourrait exploiter cela…

Flavia entendit Marco compléter la phrase que Fabio avait laissée en suspens.

— En leur rendant la monnaie de leur pièce à ces piezz’e mmerda par exemple, eux qui aiment semer la zizanie, affirma le redoutable assassin d’une voix rageuse. On va voir avec Lorenzo si on peut créer des dissensions, tout comme ils l’ont fait eux-mêmes entre les clans de la ville. En plus, ça tiendra le regard du Boss éloigné de nos petites manœuvres. Dis-lui que c’est une information utile, elle a bien travaillé.

— Tu as entendu ? reprit Fabio. C’est bien, continue comme ça. Sinon, on va te mettre sur la piste de la prostituée, Maddalena, on en a un peu appris sur elle, il faudra que tu l’approches. On t’appellera en temps utile pour te donner les indications nécessaires. Passa un buon fine settimana, sorrelina !

Petite sœur, l’avait-il appelée…La gentillesse de Fabio lui faisait toujours chaud au cœur, car elle savait qu’elle était sincère et désintéressée. Par contre, Marco… il l’avait certes félicitée pour son « travail », mais... en connaissait-il la véritable nature ? Oui, elle n’en doutait pas, il avait démontré à maintes reprises son intelligence, élaborant les stratégies qui devaient mener leur opération au succès. Il était caporegime, donc chef de groupe, ce qui témoignait de la confiance que lui avait manifesté Malaspina, qui savait s’entourer des meilleurs.

De plus, elle l’avait déjà observé en d’autres circonstances, avec l’état-major du capo napolitain, elle le savait doué de beaucoup d’humour, enjoué, affectionnant par-dessus tout les plaisirs de la chair, bien que très susceptible. Son implication dans la vendetta à l’encontre du Boss démontrait sa fidélité et son abnégation. Toutes ces belles qualités en faisaient l’incarnation même de l’âme napolitaine. Mais c’était aussi un tueur froid et implacable. L’allusion à ce qu’elle avait accompli le soir précédent la frappa comme un sarcasme et une dernière larme saillit de ses yeux déjà délavés.

Cela lui parut ridicule, de s’émouvoir d’une chose aussi dérisoire, alors que le Boss l’avait prostituée sans scrupules pour les besoins de ses affaires. Elle rencontrerait bientôt Maddalena, dont elle partageait finalement la misère. Elle n’avait pas l’air méchante, malgré sa docilité sans faille envers le Boss, songea Flavia, peut-être pourrait-elle s’ouvrir à elle de l’affreuse sensation de souillure qui l’affligeait…

Pour penser à autre chose, Flavia tira à elle son ordinateur portable, abandonné sur la table de la cuisine, et ouvrit sa boîte e-mail, pour voir si Vesari avait accusé réception de son travail, ou même s’il avait déjà formulé des observations.

Cependant, aucun mail n’attendait qu’on le lise, elle fit donc une recherche concernant le type d’articles qu’il avait déjà publiés. Flavia en parcourut plusieurs, et en effet, ils étaient remarquables, mais un détail l’interpella. Le style d’écriture et la construction générale variaient sensiblement d’un article à l’autre, comme s’ils n’avaient pas été rédigés par la même personne. Il lui sembla même qu’ils se contredisaient sur des points mineurs. Comme le lui avait dit Angelo, il avait beaucoup écrit sur les élégies de Tibulle, mais le sujet de Flavia n’avait pas encore été traité.

Elle eut un pressentiment, qu’elle s’empressa de vérifier. Pour ce faire, elle se connecta au site de recherches des mémoires en ligne et lança une recherche par le nom du directeur.

Tous les mémoires et les thèses qu’avaient fait soutenir Vesari s’affichèrent les uns après les autres. Le nombre en était impressionnant. Mais après en avoir consulté quelques-uns, Flavia remarqua que certains coïncidaient avec les thématiques abordées personnellement par le professeur dans ses articles.

Elle choisit le dernier en date, un mémoire soutenu l’année précédente une étudiante du nom d’Anna Ceccaldini. Elle en parcourut rapidement l’introduction. Les tournures de phrases ressemblaient de manière troublante à l’un des articles que Vesari avait publié à la même période, sur un sujet très proche. Son intuition se confirmait, le professeur se servait de ses étudiants pour composer ses propres travaux. Mais elle n’obtiendrait rien sur ce seul élément, même si elle avait compris qu’elle pourrait tirer parti de cette découverte pour faire pression sur l’homme afin d’ obtenir de lui ce qu’elle voulait.

Le catalogue des thèses en cours n’indiquait rien au nom d’Anna Ceccaldini, elle n’avait donc pas poursuivi en doctorat. Pas plus que le moteur de recherche n’indiquait de participation aux réseaux sociaux, fussent-ils à visée professionnelle.

Ne se décourageant pas devant ces premiers échecs, Flavia ouvrit le site des Pagine Bianche et y tapa le nom de l’étudiante sur le Latium, à tout hasard. Un numéro s’afficha, domicilié dans le huitième municipio de Rome.

Sans hésiter, Flavia composa le numéro, au bout de quelques sonneries, une voix hésitante répondit.

Pronto ? Chi parla ?

— Bonjour, je suis désolée de vous déranger... je suis une étudiante du professeur Vesari, et j’ai vu que vous aviez rédigé un mémoire sous sa direction l’année dernière…

— Je n’ai rien à vous dire ! Comment avez-vous trouvé ce numéro ?

— Pardon, mais je cherchais quelqu’un qui puisse m’aider avec lui…

— Je ne veux plus entendre parler de lui ! hurla Anna avant de raccrocher.

Flavia garda son téléphone dans la main, pensive. Elle s’était fait éconduire brutalement, mais cela avait confirmé son hypothèse. Il fallait creuser dans ce sens, quoi qu’il arrive, elle était sur la bonne voie.

Elle afficha l’itinéraire à suivre pour se rendre à l’adresse d’Anna sur son téléphone. Elle pensait qu’elle aurait plus de chance en se rendant directement sur place et si elle se dépêchait, elle parviendrait peut-être à la cueillir chez elle.

Anna Ceccaldini vivait dans le quartier d’Ostiense au sud de la ville. Il fallait donc changer deux fois de bus pour y aller, et d’abord prendre le n°70 à l’arrêt Rinascimento jusqu’à la Basilique médiévale Santa Maria dell’Ara Coeli, une rareté du style gothique-roman adossé à l’Altare delle Patria sur la Piazza Venezia.

Cette place, la plus emblématique de Rome, était encombrée de véhicules entre lesquels Flavia dut se faufiler pour rejoindre le Théâtre de Marcellus, un monument antique méconnu au profit de son presque jumeau, le Colisée.

Elle réussit à attraper le bus de la ligne NME, passant devant la célèbre Bouche de la Vérité pour enfin s’arrêter à la Viale Baldelli. Elle franchit au pas de course les derniers mètres qui la séparaient de sa destination, se postant finalement au pied d’un immeuble à l’aspect insolite. En effet, sa façade chamarrée était entièrement parée d’étonnantes fresques représentant un héron et une pieuvre d’une hauteur de plusieurs étages.

Elle ignorait que cet ancien quartier ouvrier abritait un véritable musée à ciel ouvert de bâtiments dont les murs servaient de toiles aux artistes de Street art, rivalisant d’imagination pour colorer le triste environnement post-industriel. L’immeuble dans lequel Anna vivait avait servi d’ immense étendard — le plus important du monde en termes de surface— à la lutte antipollution à un artiste milanais.

Elle consulta l’interphone constellé de sparadraps sur lesquels étaient inscrits des noms au stylo. Elle trouva enfin le nom de Ceccaldini. La serrure, cassée, lui livra facilement le passage et elle pénétra dans une cage d’escalier beaucoup moins rutilante que l’extérieur le laissait présager.

Malheureusement, les parties communes étaient vétustes et il manquait des indications sur les sonnettes. En conséquence, Flavia ne put localiser l’appartement de l’étudiante, même après avoir essayé de recouper la liste de l’interphone et les rares noms présents sur les paliers exigus de la cage d’escalier.

Mais comme elle avait fait beaucoup de chemin pour venir jusqu’ici et qu’elle ne voulait pas baisser les bras, elle s’entêta à faire le pied de grue en bas de l’immeuble, malgré le soleil brûlant qui consumait même le bitume à cette heure.

Elle en profita pour parcourir sur son téléphone les autres mémoires qui avaient été dirigés par Vesari, mais aucune ressemblance n’était aussi flagrante que dans le cas d’Anna.

Vers midi, la lourde porte de chêne vernie s’ouvrit et laissa passer une très jolie jeune fille dont les longs cheveux bruns flottaient librement sur les épaules. Malgré cela, son beau visage était émacié, et sa maigreur était visible même à travers les vêtements amples qui la couvraient. Cela rappela à Flavia le subterfuge dont elle usait auparavant pour éviter les regards, et une intention similaire guidait probablement Anna.

La jeune fille sortit précipitamment, les yeux rivés au sol, l’air absorbé dans ses pensées, et manqua de peu de percuter Flavia.

— Anna ? l’interpella-t-elle en tâchant d’apaiser autant que faire se peut sa voix animée par l’excitation.

L'inconnue se retourna, étonnée, mais reprit vite sa contenance.

— C’est vous qui m’avez appelée ? Vous avec eu le culot de venir jusqu’ici alors que je vous ai opposé une fin de non-recevoir ce matin ? se révolta-t-elle. En disant cela, ses mains tordaient avec nervosité les papiers qu’elle tenait à la main.

— Vous me voyez vraiment désolée d’insister mais je suis désespérée, Vesari me fait vivre un enfer, il me fait des avances et pour me contraindre à coucher avec lui, il utilise le chantage… plaida Flavia en simulant le désespoir.

Je vous en supplie ! s’écria-t-elle en se jetant aux genoux d’Anna.

La jeune fille la considéra longuement, saisie par un douloureux souvenir. Elle déglutit, ravalant ses larmes, et s’accroupit face à la visiteuse.

— Viens, tu peux monter chez moi, si tu veux… proposa-t-elle d’une voix faible.

Réprimant un mouvement de triomphe, Flavia la suivit jusqu’à son appartement, situé au dernier étage du bâtiment. Il s’agissait d’une modeste mansarde, où régnaient un désordre et une saleté impressionnants.

Des classeurs étaient empilés pêle-mêle, jusque sur l’égouttoir de la kitchenette. Des habits chiffonnés jonchaient le lit en bataille, la table et la chaise.

— Désolée, je n’ai pas eu le temps de ranger, s’excusa Anne en déplaçant le fatras qui encombrait la chaise, pour inviter Flavia à s’y asseoir.

Elle prit place elle-même sur le lit dont elle avait rapidement tiré le drap.

— Il a recommencé, hein ? demanda Anna, les traits déformés par la colère. Il ne peut pas s’en empêcher, ce salopard ?

— Oui, il essaie de me faire échouer, à moins que je ne me plie pas à toutes ses demandes… au lit comme au travail… Il m’a pris un de mes devoirs pour s’en faire un article, déclama Flavia sur un ton dramatique.

Intérieurement, elle se détestait de duper ainsi la pauvre Anna, dont la détresse la touchait véritablement, mais elle pensait en même temps qu’elle pourrait également la venger, avec les précieuses informations qu’elle lui fournirait. Justement, son hôtesse se décomposait au fur et à mesure que Flavia énumérait les pseudo vexations dont elle avait été l’objet, car elle-même les avait subies par le passé.

Anna se jeta dans les bras de son invitée en sanglotant à la fin de sa tirade, tellement elle avait visé juste par ses fausses allégations.

— Il m’a fait tout ça aussi. Il m’a forcée à coucher avec lui, toute l’année, je lui ai écrit un article, et il m’a quand même jetée à la fin. Le pire, c’est qu’il n’a pas soutenu ma demande pour obtenir une thèse, il a refusé de me fournir une lettre de recommandation…prononça-t-elle difficilement entre deux hoquets.

— Le salaud, siffla Flavia entre ses dents, en serrant à son tour Anne contre elle. Je suis vraiment désolée d’avoir fait ressurgir tout ça, s’excusa-t-elle. Qu’est-ce que tu fais maintenant ?

— Rien… Je n’arrive pas à trouver de travail avec mon master, gémit Anna.

Flavia réfléchit un moment. M. Rossi, le conservateur de la bibliothèque dei Girolamini où elle avait travaillé à Naples, lui avait proposé de l’appuyer auprès de son homologue de la Bibliothèque nationale centrale de Rome. Elle aurait volontiers accepté elle-même si l’argent de l’assurance-vie qu’avait souscrite sa mère ne lui avait pas octroyé un confortable pécule qui lui permettait de vivre largement— sans faire de folies néanmoins, mais ce n’était pas dans sa nature.

Dès qu’elle serait dehors, elle le rappellerait pour qu’il intercède en faveur d’Anna afin qu’on lui confie un poste dans cette prestigieuse institution.

— Je vais essayer de t’arranger quelque chose. Je ne te promets rien, mais est-ce que cela t’intéresserait de travailler à la Bibliothèque centrale ?

—Mais j’ai déjà postulé là-bas et ma candidature est restée sans suite… geignit-elle.

— Peut-être qu’avec un appui, cela changerait, affirma Flavia avec conviction.

Comme souvent, ce n’était pas le mérite personnel qui prévalait, mais les personnes influentes dont on pouvait se recommander. Elle avait elle-même déjà bénéficié d’un tel traitement de faveur par le passé, pour le meilleur et le pire, puisque cela avait causé sa rencontre avec le capo napolitain et son nervi, songea-t-elle.

— Je vais essayer de contrecarrer les agissements de Vesari, je ne veux pas qu’il fasse de nouvelles victimes. Te rencontrer m’en a fait prendre conscience, ajouta-t-elle fermement, rougissant en son for intérieur de mentir si effrontément.

Flavia se demanda si elle devait solliciter immédiatement son aide pour faire pression sur le professeur. Cependant, elle décida d’attendre de lui avoir procuré un emploi afin qu’elle se sente libre d’éventuellement témoigner contre lui, et peut-être un peu redevable envers elle, espéra-t-elle avec un brin de machiavélisme.

Anna lui indiqua son numéro de portable, et Flavia lui promit de faire tout ce qui était en son pouvoir pour lui venir en aide, tout en l’étreignant avec douceur. En cela, elle était sincère, au moins.

Elle tint parole car dès qu’elle eut regagné la rue, elle composa le numéro de la Bibliothèque dei Girolamini, et fut immédiatement reconnue par Giustina, son ancienne collègue.

La réceptionniste l’accueillit affectueusement, très heureuse de pouvoir à nouveau bavarder avec son alter ego et épancher toutes ses impressions sur ses dernières lectures. Cependant, Flavia dut écourter son monologue en représentant l’importance de son appel, mais lui assura qu’elle la recontacterait bientôt pour en parler tout leur saoul.

À regret, elle finit par lui passer M. Rossi, qui la salua tout aussi affablement. Comme elle s’y attendait, après avoir écouté attentivement sa requête, il s’engagea sans difficulté à contacter le directeur de la Bibliothèque Centrale de Rome, qu’il connaissait très bien. Il nota le nom d’Anna et lui assura qu’il ferait tout son possible pour lui obtenir une entrevue, d’autant plus qu’étant diplômée de la Sapienza, elle était certainement douée de toutes sortes de compétences précieuses pour cet établissement. Il la quitta en lui souhaitant le meilleur à Rome, mais en réitérant qu’elle aurait toujours sa place à Naples.

Flavia raccrocha, le cœur gros de la nostalgie de sa région d’origine, de son peuple fier, mais authentique, franc, et chaleureux, qu’elle affectionnait tant.

Elle porta la main à son cou, d’où pendait, à côté de sa médaille de baptême, un corniciello en corail rouge. La petite amulette en forme de corne rappelait l’épisode où Zeus, chevauchant sa nourrice, la chèvre Amalthée, lui cassa une corne, pour ensuite la transformer en corne d’abondance afin de remercier la nymphe qui l’avait soignée. Ce porte-bonheur à la forme phallique était aussi une référence au dieu Priape et sa couleur évoquait le feu purificateur. Il conférait protection contre le Diable, puissance virile et chance à celui qui le portait.

Mais sa main se crispa sur le talisman apotropaïque. Maintenant, restait à savoir comment elle utiliserait l’atout qu’elle venait de remporter contre Vesari.

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