Chapitre 4 : Le bloc usine

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Avant qu’il ne franchissent le pas de la fine porte de tôle qui les séparent de l’extérieur, Moira ramasse deux paires de lunettes de protection qui traînent sur une table. Elle en tend une à Ned qui les enfile immédiatement. Elle lui passe aussi une paire de gants. Mieux vaut être le plus protégé possible dans le bloc usine.

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Moira ouvre la porte en grand, la lumière implacable de l’étoile inonde la pièce. En passant l’embrasure, le regard de Ned fait le tour du paysage. Antares A occupe tout l’horizon, énorme boule de gaz orangée incandescente. Une série de carré irisés translucides marquent la limite du bouclier magnétique de la station. En dessous, le bloc usine.

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Homme et femmes se pressent en tous sens autour d’immenses machines reliées à des chaudrons bouillonnants. Certains crient des ordres, d’autres les exécutent. Des jets de vapeur brûlante sont expulsés par d’imposantes gaines d’aluminium. Des automates suintant d’huile noir percent, découpent et assemblent à une vitesse effrénée. Chaque ouvrier vérifie la pression d’une rangée de machine ou s’assure de la précision de son calibrage.

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De cette marée grouillante d’humains et de machines, une petite silhouette s’échappe en courant dans leur direction. Elle porte une combinaison anti radiation complète et un masque à gaz empêche de voir son visage mais Ned devine qu’il s’agit d’un enfant. La silhouette dérape sur le sol dégoutant de tâches de rouille et d’huile pour s’arrêter juste devant eux.

— Hrmpfonch !

— Benji on t’entend pas avec ce truc.

Le garçon soulève son masque.

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Après avoir enfilé ses propres lunettes, Benji leur adresse un grand sourire espiègle.

— J’savais que vous claqueriez pas m’sieur ! Comment ça va ? Moi c’est Benjamin Nickle, mais vous pouvez m’appeler Benji.

Avec ces cheveux rasés et son teint bronzé, il ressemble à un modèle réduit des ouvriers derrière lui. Ned se penche pour serrer la main que lui tend le gosse.

— Très bien Benji, merci. Y paraît que c’est grâce à toi que je respire encore ?

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Le garçon rougit et tortille du pied.

— Oui c’est un peu grâce à moi.

Moira lui répond d’un ton taquin.

— J’crois même que c’est la première fois que je vois ta maison aussi bien rangée Benji.

— Hey !... Enfin ouais t’as raison. Vous allez où ?

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Moira s’agenouille devant l’enfant et lui pince gentiment la joue.

— On va faire des courses Benji. Tu sais c’que ça veut dire ?

Le gamin a une moue boudeuse.

— Ça veut dire que je peux pas v’nir avec vous…

— Voilà. Soit content on te rend ta maison. Je reviens dans quelques heures.

Ned remarque que le garçon ne le quitte pas des yeux. Il lui sourit.

— T’en fais pas. Je sens que je vais rester dans le coin encore un moment.

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Ils s’éloignent en laissant Benji retourner chez lui. Ned essuie la sueur qui lui coule sur le front.

— Il a l’air de bien m’aimer ce gamin on dirait.

Moira lui répond sans quitter leur chemin des yeux.

— Ouais. D’ailleurs vous lui avez bien répondu tout à l’heure. Moi qui croyais que les flics étaient tous des robots sans états d’âme…

— Pas tous non. Enfin ça m’a quand même valut un séjour au fond d’un compacteur d’ordure, lance-t-il ironiquement.

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Ils s’arrêtent pour laisser passer quatre ouvriers, les bras chargés de barres d’acier.

— Salut Moira ! lance le premier. C’est un nouveau avec toi ?

La géante lui renvoie son salut.

— Exact. J’lui fait faire un tour du propriétaire.

— Dac ! On s’voit c’soir à la cantine ?

Elle hoche la tête et continue sa route au milieu du tintamarre des machines.

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— Vous avez votre petite réputation ici j’ai l’impression, lui dit Ned.

Moira hoche la tête pour toute réponse. Il lève une nouvelle fois les yeux vers la géante rouge au-dessus de leur tête et manque de se prendre une poutre métallique en pleine figure.

— Faites gaffe ou vous arriverez jamais entier.

— Pourquoi il n’y a aucun synthétique ici ? Ça serait moins dangereux que de risquer la vie de tous ces gens.

La géante lève les yeux au ciel.

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— Beaucoup trop chère. Rien que dans ce secteur on a plus d’une cinquantaine de morts tous les jours. Vous imaginez s’ils devait remplacer chaque robot ? Vous sur la face cachée ça va, les accidents et les meurtres sont des choses rares.

Cette dernière remarque l’agace.

— J’ai pas eu de chance alors ?

— Excusez-moi de vous le dire. Mais oui. Et encore vous avez eu droit à des funérailles !

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Il ne sait pas pourquoi, mais Ned se sent honteux d’avoir réagi de cette façon. Moira continue :

— Ce bloc est en surpopulation. Quand l’un de nous crève, c’est limite s’ils font pas péter le mousseux là-haut. Vous imaginez ! Une main d’œuvre presque illimitée qui doit bosser pour son droit à l’oxygène. Comment vous croyez que Benji se soit retrouvé tout seul ? Ses parents sont passés sous une presse hydraulique quand il avait cinq ans !

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Moira ne semble même pas en colère. Elle vient juste de lui cracher la vérité au visage.

— Pardon. Je ne sais pas trop quoi dire…

— Il n’y a rien à dire, répond-elle sans se retourner.

Tous deux poursuivent leur route en silence jusqu’à un endroit plus dégagé, où les machines et les forges sont un peu moins présentes.

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Moira entre différents étales mal agencés. Une odeur de nourriture douteuse lui monte aux narines. Ils passent également à côté d’un vendeur de vêtements en plus ou moins bon état pour finalement arriver devant un kiosque en métal où un vieil homme sert des boissons fraîches. Ce dernier les interpelle :

— Ah Moira ! Comment vas-tu ma petite ? La même chose que d’habitude ?

— Comme d’hab’ pépé. T’en met un pour mon pote aussi ?

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Le vieux actionne une tirette, leur sert deux verres d’un liquide jaunâtre que Ned identifie comme étant une sorte de bière et une trappe s’ouvre dans le sol juste à côté du kiosque.

— Amusez-vous bien ! leur lance le grand-père.

Moira soulève la trappe. En dessous se trouve une échelle qui descend dans une conduite de canalisation à en juger par l’odeur. Moira prend l’échelle, suivie par Ned qui referme la trappe sur eux.

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