24 - Réminiscences

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Lucien. Lucien. Tout le monde n'avait que ce nom à la bouche. Cela le rendait fou. Maury courait partout, désespéré, quand tout à coup, il reconnut ses parents. Il fit volte-face et se cogna contre deux jeunes femmes vêtues de noir qui venaient de sortir d'une des maisons mitoyennes qui encerclaient la place. Elles se ressemblaient tellement que Maury n'en revenait pas.

-Pardon ! Je l'ai pas fait exprès ! cria-t-il avec sa petite voix fluette.

Les deux adolescentes ne prêtèrent d’abord aucune attention à l'enfant.

-Que se passe-t-il, ici ? demanda celle qui se différenciait par son regard perçant. Pourquoi il y a autant de monde, aujourd'hui ?

La jeune femme au regard de guerrière remonta sur les marches au pied de la porte pour tenter de voir ce qui se trouvait au centre du rassemblement. Elle tressaillit à la vue de Charles et Émilien attachés à des poteaux et sous la surveillance de l'Évêque.

Pendant ce temps, l'autre fille, qui n'avait pas l'air de prêter beaucoup d'attention au désordre civil, s'agenouilla et demanda au petit garçon ce qui lui arrivait.

-Pitié, aide-moi, pleurnicha l'enfant. Je trouve pas mon grand frère.

Chamboulée, la jeune fille lui prit la main et, sous le visage ébahi de sa jumelle, elle promit au garçon de retrouver son grand frère.

-Comment s'appelle-t-il ? Peut-être que je le connais.

-Il s'appelle Lucien ! Il est grand, il a la peau foncée et il fait environ ta taille !

À ces mots, l’agenouillée écarquilla les yeux. Son cœur se mit à battre et le brouhaha alentour commença à s'effacer. Elle se releva, chancelante.

-Cathie, tu connais un Lucien ?

-Lucien ? Heu… non, pourquoi ça ? Regarde plutôt ça, il y a Charles et Émilien, l'invita-t-elle à monter.

Alors qu'elle se mit à grimper sur le perron, une vision s'éprit de la jeune femme. Celle d'une main dans laquelle elle déposait des pièces d'argent. Mais pour acheter quoi ? Elle secoua sa tête et vit une femme brune et ténébreuse entrer sur la place de l'Église. Bizarrement, Annie semblait la connaître. Ce souvenir la tourmentait. Un peu comme une sensation de vécu, de déjà-vu. Elle pria au petit garçon de rester auprès d'elle et se dirigea, tirant sa sœur par la main, vers la mystérieuse femme. Cette dernière était accompagnée d'un monsieur à l'imposante musculature.

-Excusez-moi, j'ai l'impression de vous connaître, entama Annie.

La grande brune, surprise, se tourna vers son interlocutrice et prit quelques secondes avant de formuler sa réponse.

-Ah, oui, je te reconnais ! Tu es venue à mon stand, une fois.

-Je… ah bon ?

-Tout à fait. Tu m'as pris un poisson et tu m'en as donné beaucoup trop. À ce sujet… je voulais te remercier de ta visite et te rendre la monnaie. Je n'allais pas très fort ce jour-là. Voilà pour toi, dit-elle en comptant son argent qu'elle venait de tirer de son sac.

Annie ne l’écoutait plus. Elle naviguait dans ses pensées. Elle ne faisait confiance à personne d'autre que sa sœur, ici et maintenant. Soudain, elle attrapa les pièces tendues par la grande brune.

-Quelque chose ne va pas ? demanda cette dernière en jetant un regard inquisiteur au garçon.

-Oui, ce petit est perdu. Il cherche son frère.

-Astrélia, ce sont les filles du clerc, celles qui connaissaient le nom du sorcier, chuchota son accompagnateur.

-Je sais, dit-elle en baissant le regard, comme si elle se sentait coupable à l'entente de ces faits qu'elle n'avait pas réussi à empêcher.

-Et ce gamin, reprit l’homme, ça serait pas le frangin de Lucien ? J'les ai déjà vus venir chercher leur farine ensemble.

-Oui, je suis son petit frère ! beugla Maury, attirant l'attention des villageois sur le petit groupe à peine formé.

Cathie tira le bras de sa sœur, lui signalant qu'elle ne voulait pas rester ici. Mais Annie n'y prêta aucune attention. Elle avait besoin de parler à cette femme qui semblait se souvenir d’elle et de comprendre pourquoi le nom de Lucien sonnait si familier à son oreille.

Mais, voyant qu'Annie de réagissait pas, Cathie insista. La situation était si grave, elle voulait comprendre ce qu’il se tramait sur la place. Elle espérait que ses deux amis n'étaient pas en danger.

-Attends un peu, murmura Annie avant de se tourner vers les deux étrangers. J'aimerais discuter. En vérité, je ne me souviens pas d'être venue à ton stand. Tu ne m'aurais pas confondue avec quelqu'un d'autre ? Avec ma sœur, par exemple ?

-Non, c'était bien toi, j'en suis certaine.

L’homme pria aux deux jeunes femmes de parler moins fort.

-Vous devriez discuter ailleurs, on vous écoute, ajouta-t-il en fronçant les sourcils.

Les jumelles et les deux adultes s'éclipsèrent pour rejoindre une rue excentrée. Maury ne les avait pas suivis, il s'était comme volatilisé en toute discretion.

Lorsqu'ils furent assurés que personne ne les entendrait, Annie prit la parole.

-En fait, je me suis réveillée ce matin dans ma chambre, mais en sortant de chez moi, j'ai eu l'impression d'être encore dans mon rêve. Je n'arrive à me souvenir de rien, mais je sens qu'une part de moi a disparu. Au plus j'essaie d'y penser, au plus ma mémoire se ferme.

-C'est vrai que moi aussi, j'ai eu cette sensation en voyant Charles et Émilien attachés, dit Cathie en croisant les bras. Ils n'ont rien fait de mal. Pouvez-vous nous expliquer ce qu'il se passe, ici ?

-Charles et Émilien ? intervint l'homme. Ces deux voyous se sont alliés avec Lucien, que tu as toi-même dénoncé, dit-il en pointant Annie du doigt.

-Dénoncé ? Je n'ai dénoncé personne. En tout cas, je n'en ai pas le moindre souvenir.

-Et les deux garçons non plus, je vous assure, ils ne connaissent aucun Lucien, ajouta Cathie. On le sait bien, ce sont nos amis depuis toujours.

-Et puis, ce Lucien, de quoi est-il suspecté pour que j’en vienne à le dénoncer ? J'accuserais jamais une personne sans raison.

Astrélia demeura bouche bée. Elle plaça ses mains sur le bas de son visage pour cacher son étonnement. Elle en était persuadée, désormais. Ces deux jeunes filles avaient été victimes du même trouble qu'elle. Il s'agissait ni plus ni moins d'une perte de mémoire, mais en moins violente. Les filles du clerc se souvenaient de leur identité. Et bizarrement… elles semblaient avoir un lien, tout comme elle lorsqu'elle s'était éveillée dans le champ de blé, avec Lucien.

-Eugène, laisse-moi seule avec elles, s'il te plaît, demanda Astrélia à son ami.

-Non, pas question. Je reste pour te protéger.

-Il y a des choses que je ne peux pas te dévoiler, comprends-moi.

-Tu me caches quelque-chose ?

-Je te promets de tout t'avouer ce soir si tu me laisses parler avec elles en privé.

Eugène s'énerva, grogna et finit par céder.

-Bon, c'est d'accord. Je retourne sur la place. Mais j'espère que ce que tu me caches est juste anecdotique. Sache que moi, je n'ai aucun secret pour toi, ma chère.

Il disparut et les laissa entre femmes, la tête remplie d'inquiétudes à propos de ces cachoteries.

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