Un passé oublié

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La vente reprend son cours et j’essaie de garder mon rôle. Les enfants qui sont exposés, ont tout.e.s une particularité physique. Une fille aux yeux en amandes, les cheveux crépus, au visage ovale, est albinos. Ses cheveux blancs comme l’ivoire détonnent de ses pupilles rouge sang. Je les entends murmurer que cette étrange créature serait magnifique, exposée chez eux, tel un tableau ou plutôt comme ces têtes d’animaux exotiques accrochés au mur que j’ai pu voir dans mes livres sur la Terre. L’enfant devant eux cherche à cacher son corps dévoilé et refrène ses pleurs. Elle est un être humain, de chaires et de sangs, de peurs et de courage, de pleurs et de joies, mais eux ne voient qu’un animal qu’il faut montrer, qu’il faut dompter. Je suis écœurée par ces monstres sans âmes, dont le bien paraître est l’unique raison de vivre. Pour cela, ils doivent exhiber leurs fortunes, leurs plus précieux objets. Le matériel est bien plus important que la richesse des sentiments qu’ils partagent avec les autres.

— Pourrais-tu libérer mon poignet ?

Octave me murmure à l’oreille. Je desserre les dents et enlève ma main. Une trace rouge laisse une marque de ma colère. Octave ouvre et ferme plusieurs fois les doigts pour faire à nouveau circuler le sang.

— Je sais que c’est difficile pour toi, mais reste dans ton rôle jusqu’à la fin.

J’écoute ses conseils et détache mon regard du centre de la pièce. J’observe alors l’assemblée en essayant de reconnaître quelques-uns des esclaves. Léandre n’est accompagné d’aucun esclave, il y a ses hommes de mains, mais pas de fillette apeurée à ses côtés. Il n’est pas très attentif à la vente. Il paraît impatient et cherche quelqu’un autour de lui. La première partie de la vente arrive bientôt à son terme. Le visage de Léandre s’illumine soudainement. Il se lève et se dirige vers une personne. Elle est cachée par une longue cape. Il prend sa main et l’amène jusqu’à son siège. La personne s’assoit et laisse tomber sa capuche.

Mon souffle se coupe. Des centaines d’images défilent dans ma tête. J’ai la gorge nouée et une larme coule sur ma joue. Ce n’est pas possible. Je cligne plusieurs fois des yeux pour m’assurer que je ne rêve pas. Je ne comprends pas ce que Octave me dit. Je continue à l’admirer, à retrouver les détails du passé. Je pensais ne plus la revoir, je pensais que toute mon enfance, tout mon bonheur m’avait été enlevé le jour où ces hommes m’avaient capturé. Je me souviens de sa tendresse, de son amour, de ses moments de joie que je chéris et garde au plus profond de moi. Je me rappelle son sourire, le son de sa voix, son rire contagieux, la douceur de sa peau, l’odeur de ses cheveux, tout me revient et me transperce telle une lame. Tous ces merveilleux moments que ces hommes et femmes rassemblés ici m’ont arrachés alors que je n’étais qu’une enfant qui comprenait à peine le monde qui l’entourait. Je le hais tous et toutes, ce ne sont que des monstres avec leurs visages de courtoisies cherchant désespérément la sympathie de leurs ennemis. Et elle, tel un ange aux ailes brisées, reste là à attendre d’être dépecée.

Ma mère douce et courageuse est dans les griffes de cet homme immonde et cruel. Il la traite telle une reine, mais ce n’est qu’un autre de ses subterfuges qui maquille sa perversité. Je ne peux que repenser au passé et à l’angoisse que ce monstre à procuré à ma mère. Il lui a sûrement tendu un piège pour qu’elle soit à ses côtés aujourd’hui.

La vente est finie. Octave me secoue pour me sortir de mes pensées.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi vous ne me répondez pas ?

— Ma mère… Léandre…

— Comment ça ?

Kévin et Octave tournent leurs regards vers Léandre. Ils restent figés quelques instants.

— C’est votre mère qui est avec Léandre, vous êtes sûre ?

Je hoche la tête ne pouvant plus parler. Octave me laisse avec Kévin.

— Maintenant, on sait où elle est, on pourra la sauver comme les autres. Restez forte. Montrez-leur que vous êtes bien plus que ce qu’ils ne pensent. Venez avec moi, allons dans le hall en attendant le Maître.

Kévin me guide vers la sortie, mais mes yeux ne peuvent se détacher de ma mère.

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