Parler n'est pas une faiblesse

6 minutes de lecture

L'infirmière me réveille. Mon corps est encore lourd, mais j'arrive à un peu mieux bouger.

  • Est-ce que vous avez faim ou soif ?
  • J'ai soif, s'il vous plaît.

Elle me tend un verre, mais le liquide jaunâtre ne me fait pas confiance.

  • Est-ce que c'est possible d'avoir de l'eau ?

C'est du jus de fruits, cela vous donnera un peu d'énergie. Si vous n'arrivez pas à manger des aliments solides, on peut commencer par vous faire boire des fruits, ce sera plus simple à assimiler pour vous.

Je porte le verre à mes lèvres et une odeur sucrée titille mes narines. La saveur est douce et glisse lentement dans ma gorge sèche. Je bois l'entièreté du liquide d'un trait.

  • C'est une bonne chose que vous aimez ça.

Je sens mon estomac se remplir. Je me sens bien, avant qu'une violente nausée ne m'oblige à me précipiter difficilement dans la salle de bain. Je vomis directement ce que je viens d'avaler. L'infirmière me regarde attristée.

  • Est-ce que vous avez besoin d'aide ?
  • Non... C'est... c'est passé.

Les hauts de cœur m'empêchent de parler.

  • On va devoir vous laisser sous perfusion pendant un moment et la rééducation alimentaire sera longue. On vous aidera. Le psychologue arrivera dans peu de temps. Je vous remplis un nouveau verre, essayez de le boire plus lentement.

Je me relève péniblement et m'essuie la bouche. Je regarde mon bras persuadé d'avoir arraché la perfusion, mais le câble m'a suivi dans la salle de bain. L'infirmière veut m'aider à me rallonger dans le lit, mais je préfère m'asseoir sur le fauteuil.

  • Je vous laisse, le psychologue va bientôt arriver.
  • C’est un homme ?
  • Oui
  • Je ne veux pas rester seule avec lui. Je préférerais que ce soit une femme.
  • Il est le meilleur dans son domaine. Je peux rester avec vous ou bien je peux appeler quelqu'un d'autre pour rester avec vous pendant votre séance.

L'image de Paul me vient en tête, il a toujours été gentil avec moi et il ne m'a jamais fait du mal. Il n'a jamais rien attendu de moi. Et depuis la dernière fois, je me sens mal. Si je dois en parler avec un psychologue, j'aimerais qu'il soit là pour qu'il comprenne ce que j'ai vécu et surtour comment j'ai vécu.

  • Je ... Est-ce que Paul est disponible ? Sinon, si ... sinon ce n’est pas grave. Oubliez !
  • Je vais demander.

Elle tripote sa montre.

  • Bonjour, M. Le conoistre, Elena ne veut pas être seule avec M. Anme, elle aimerait que Paul soit avec elle. ... Oui Monsieur. Oui, ... oui. Très bien, je l'informe.

Elle rappuie sur sa montre, je n'ai rien entendu de leur conversation.

  • Paul arrive, il restera avec vous toute la durée de la séance.

Elle vérifie que des éléments sur les moniteurs, lorsque Paul rentre dans la chambre, suivit d'un autre homme. Cet homme est assez jeune et un large sourire doux arbore son visage. Il dégage un sentiment de quiétude. Il s'avance vers moi pour me tendre la main. Je me recroqueville sur moi. Je ne veux pas qu'il me touche. Il voit mon sentiment de peur et revient sur ses pas.

  • Excusez-moi, je ne voulais pas vous faire mal. Je m'appelle Daniel Anme. Je suis psychologue et nous allons essayer de vous aider à aller mieux. Vous pouvez y aller, Mme Duval, merci.

L'infirmière sort de la chambre et nous restons tous les trois. Je reste recroqueviller dans mon fauteuil, pendant que Paul reste dans un coin de la pièce.

  • Où souhaitez-vous que Paul et moi nous asseyions ?

Je regarde la chaise qui est à l'autre bout de la pièce et lui montre.

  • Donc je m'assieds dans le coin à l'opposé de vous et pour Paul ?

J'aimerais que Paul soit près de moi. Je lui montre le siège du bureau à côté de moi.

  • Très bien, maintenant que les places de chacun sont attribuées, nous allons pouvoir commencer. Est-ce que Paul, tu veux bien te présenter en premier, s’il te plaît ?

Paul le regarde circonspect, avant de jeter un œil sur sa montre.

  • Je m'appelle Paul Friunt, je travaille pour Mr Leconoistre depuis qu'il m'a acheté, il y a de ça 4 ans au marché aux fleurs.
  • Merci Paul, maintenant à vous.
  • Je ... Leurs regards se tournent vers moi. Je sens l'angoisse montée en moi. Est-ce que si je leur dis qui je suis, alors ils l'utiliseront contre moi?
  • Elena.
  • Elena, c'est un joli prénom et votre nom, s'il vous plaît ?
  • Gouest.
  • Très bien, Elena Gouest. Comment êtes-vous arrivé là ?

Une profonde colère m'envahit.

  • C'est votre cher Maître, qui m'a acheté dans ce marché à viande espérant me briser en m'attendrissant, mais tout ça n'est qu'un piège. Je sais que vous n'êtes pas différent de ces autres monstres qui m'ont capturé et enfermé dans ces cages pendant des mois.

Je ne me suis pas rendu compte que j'étais debout en train de hurler sur ces deux hommes. Je me rassois dans mon fauteuil, les genoux collés à ma poitrine. Je regarde Paul du coin de l'œil, il me regarde surpris et peiné à la fois.

  • J'entends votre colère et je vois votre difficulté à nous faire confiance. Je sais qu’aucun mot que je vous dirais ne sonnera vrai pour vous. Mais le mal que vous vous faites ne vous aidera en rien. Si votre désir est réellement de partir de cet endroit pour être libre, il vous faudra un corps plus fort que celui-ci. Si vous avez peur de nous révéler des choses qui pourraient être utilisées contre vous. Si vous le souhaitez, je peux répondre à toutes ces questions avant vous ou Paul peut aussi y répondre. Rien ne nous assure non plus que vous nous dites la vérité, vous pourriez aussi nous mentir. Je ne vous forcerais pas à nous dire la vérité. Je vous fais confiance. Tout ce que vous me direz, je ne le remettrais pas en doute. Bien entendu, tout ce qui est dit ici ne sera pas répété.

Il se tourne soudainement vers Paul qui rougit. Il est vrai que Paul est au service de Mr Leconoistre, mais je lui fais pourtant confiance. Je regarde mes mains. Je croise et recroise mes doigts. Il a raison, rester dans cet état-là ne m'aidera pas à m'enfuir. Je préfère me jeter dans la gueule du loup, plutôt que le fuir.

  • Mes parents lorsque je devais avoir peut-être 7 ans ont décidé de me cacher pour espérer me sauver. Je restais seule la plupart du temps, ils venaient une fois par jour au début et à la fin ils ne venaient qu'une fois par mois pour m'apporter à manger. J'avais beaucoup d'anciens livres et je n'avais aucun appareil électronique avec moi, pour éviter que quelqu'un ne trouve un signal. Je m'entraînais au Mouvement tous les jours et je relisais les mêmes livres pour mieux comprendre notre société, mais j'étais seule. Lorsque ces monstres m'ont capturé, j'ai essayé de me défendre, mais ils étaient trop nombreux. Puis une année enfermée dans ces petites cages avec ces monstres me touchant avec leurs mains moites. Avant d'être vendu à votre maître. Voilà qui je suis.
  • J'en suis désolé, quel âge avez-vous ?
  • Presque 17 ans.
  • Vous ...

Le psychologue a l'air hébété. Son air un peu abruti sur son visage me fait sourire.

  • Pardon, mais vous êtes restée seule pendant 10 ans ?
  • Non, environ 8 ans.
  • 8 ans de solitude et vous n'avez aucun symptôme psychologique. Vous avez l'air en parfaite santé mentale à part votre anxiété. Je suppose que vous ne mangez pas, parce que vous avez peur de quelqu'un en particulier. J'ai compris. C'est Mr Leconoistre.

Le psychologue a l'air un peu hystérique. Quand il voit nos visages à Paul et moi, il se rassoit tranquillement sur sa chaise.

  • Hem ! Pardon, je pense que nous allons nous arrêter là aujourd'hui. Je dois réfléchir à ce que vous m'avez dit pour vous aider au mieux. Sauf si vous voulez parler d'autres choses.
  • Vous êtes vraiment le meilleur psychologue ?

Il me regarde un peu gêner.

  • Je m'excuse de ce qu'il sait passer juste avant, je n'ai jamais vu... Pardon, ça ne se reproduira pas.

Ces excuses me font pouffer de rire. Quand je le réalise, j'arrête immédiatement.

  • Sortez, s'il vous plaît !

Paul se tourne vers moi et me tend la main.

  • Elena, ça va ?
  • SORTEZ !

Le psychologue emmène Paul dehors. Je ne me rappelle pas la dernière fois que j'ai ri. Je me recroqueville sur moi-même et plonge ma tête dans mes genoux, avant de pleurer à chaudes larmes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Lucile Le Berre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0