Retour sur investissement

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Je ne sais pas combien de temps je reste la tête dans les genoux, l’esprit errant sans but. Un bruit provenant de la porte me fait sortir de ma transe.

  • Elena, c’est G... Hum, je veux dire Mr Leconoistre.

Pourquoi ne peut-il pas me laisser une journée, sans que j’aie besoin de répondre à ses questions stupides ?

  • Elena, est-ce que je peux entrer ?
  • Est-ce que j’ai vraiment le choix ?
  • Elena, laissez-moi entrer, je n’ai pas envie de parler à travers cette porte.
  • Vous ne pouvez pas me laisser un moment de répit.
  • Elena, s’il vous plaît, laissez-moi vous parler face à face.
  • Vous êtes chez vous, alors vous pouvez entrer comme bon vous semble.

J’entends une profonde expiration derrière la porte.

  • Cette chambre est la vôtre et je n’ai pas le droit d’y entrer si vous ne le voulez pas.
  • Vous mentez, mais allez y entrer.

Il rentre dans la chambre et referme doucement la porte derrière lui. Il prend la chaise du bureau et vient s’asseoir en face de moi.

  • Elena, vous devriez être entrain de vous reposer dans votre lit. Votre corps doit guérir.
  • Il n’y a que ça qui vous intéresse, mon corps. Ce corps que vous souhaitez détruire après l’avoir modelé à votre convenance.
  • Je... (il soupire une nouvelle fois profondément), je sais ce que vous pensez de moi Elena, mais une fois encore je ne veux pas vous faire de mal. Je n’aurais pas dû venir, je vais vous laissez vous reposer.
  • Vous allez revenir tous les jours, jusqu’à ce que vous obteniez ce que vous voulez, alors posez-moi vos questions.

Il réfléchit et me regarde désabusé. Il croise ses mains, se penche en avant et pose ses coudes sur ses genoux. Puis il place son menton sur ses mains croisées et me transperce de son regard. C’est la première fois que je le vois sous cet angle. Tout d’un coup, il me paraît plus âgé et plus séduisant. Je sens le rouge me monter aux joues, sans réellement comprendre pourquoi. Je détourne le regard et me cache derrière mes genoux.

  • Comment allez-vous aujourd’hui Elena ?
  • Bien.
  • Regardez-moi, s’il vous plaît quand nous discutons.

Son ton n’est plus le même que d’habitude, il a quelque chose de brutal qui m’angoisse et je préfère obéir. Je lève les yeux et un sourire se dessine sur son visage.

  • Je vais bien.
  • Vous n’avez mal nulle part ?
  • Non, j’ai quelques courbatures, mais je n’ai pas mal.
  • Très bien et vous arrivez à manger ?
  • Non, je vomis tout ce que je prends.

Un air agacé efface son doux sourire.

  • Mme Duval et Mr Anme sont là pour vous aider à aller mieux. Ne rejetez pas leurs aides, s’il vous plaît.

Je hoche de la tête.

  • Parlez-moi, s’il vous plaît, j’ai attendu plusieurs mois pour que vous répondiez à mes questions par des mots.
  • Je suivrais leurs consignes.
  • Très bien, j’ai besoin que vous repreniez du poids pour vous demander un précieux service, mais temps que vous êtes malade, je ne peux rien vous demander.
  • Qu’allez-vous faire de moi ? Vous allez me violer ? C’est ça votre précieux service ?

La colère s’empare de lui et son regard sombre me fait frissonner de peur. Il prend un instant pour se calmer et reprend sa position de départ.

  • Elena, je ne veux pas que vous soyez violée ou que quiconque vous fasse du mal. J’ai besoin de vous pour nous accompagner Octave et moi au prochain marché aux fleurs. Vous êtes pour ces monstrueux hommes l’acquisition du siècle. Vous avoir au côté d’Octave en bonne santé et souriante signifiera que vous êtes encore pure et fertile. Cela me permettra d’acheter plus facilement d’autres enfants à moindre coup et donc d’en sauver plus. Vous avez le pouvoir de nous aider à sauver des enfants et les rendre à leurs familles. Vous ne savez pas à quels points ils vous désirent.

Sa voix se casse sur sa dernière phrase. Il détourne son regard plein de confusion. Est-ce la vérité ? Ou est-ce un piège pour m’attendrir ? Mais ses yeux ont l’air sincères. Est-ce que ce monde lui apparaît aussi confus que moi ? Une nouvelle fois, j’observe en détail son jeune visage, mais pourtant vieilli par ces évènements monstrueux. Quelle est son histoire ? Comment ce jeune homme en est arrivé à sauver des enfants esclaves ? Cette angoisse qui me dévore depuis que je suis sorti de ma cachette m’empêche de croire à cette vérité qu’il me dévoile. Si tout ce qu’il me dit est vrai et que je ne fais rien, ces enfants souffriront par ma faute. J’ai encore du temps avant le marché aux fleurs. J’ai encore du temps pour découvrir la vérité et faire mon choix.

  • Cette demande est celle que j’ai déjà acceptée en vous demandant de voir Alicia, non ?

Il se retourne vers moi et son regard cache une tristesse profonde, mais très rapidement un regard dur le remplace.

  • Oui, il est vrai que vous avez déjà accepté sans le savoir. Je ne voulais pas me jouer de vous, mais j’ai besoin de votre présence au marché aux fleurs. Arrêtons de parler de ça, mais parlons plutôt de vous. Est-ce que vous avez fait de nouvelles connaissances depuis que vous êtes ici ?
  • Oui, j’ai rencontré Paul, Mme Duval, Mr Anme et un certain ...

Un léger voile passe sur son regard, lorsque j’évoque Paul. J’hésite à lui parler de mes discussions avec G.. C’est vrai que depuis que G. a essayé de m’aider à m’évader, nous avons beaucoup discuté du livre qu’il ou elle m’a transmis⋅e. Puis nous avons parlé d’autres livres que j’avais lus quand j’étais seule. Au fur et à mesure de nos échanges, je lui ai expliqué qui j’étais et d’où je venais. Il ou elle ne parle pas souvent de sa personne, mais il ou elle est gentil⋅le et affectueux⋅euse dans ses messages. Il ou elle a essayé de me convaincre au début de faire confiance à Mr Leconoistre, mais il ou elle a rapidement arrêté. J’aimerais que nos discussions restent pour nous. Ne pas connaître ni son visage ni sa voix me rassure.

  • Un certain ? Vous avez rencontré quelqu’un d’autre ?
  • Non, pas vraiment, il y a une personne qui m’a contacté sur mon ordinateur et je discute un peu avec.

Il se tourne vers mon ordinateur et dans un instant de frayeur, j’ai peur qu’il m’enlève mon ordinateur. Je sors du fauteuil et me place devant mon bureau, pour qu’il ne touche à rien.

  • Qu’est-ce qu’il se passe Elena ? Je ne toucherais pas à vos affaires. C’est à vous et c’est vos discussions. Rasseyez-vous dans votre fauteuil, s’il vous plaît ?

Je retourne m’asseoir et cette fois je laisse la fraîcheur du sol traverser mes pieds. Je pose mes mains sur mes genoux et calme mon cœur agité.

  • Est-ce que vous avez découvert les lieux, la salle de maintien, l’holocinéma, la verrière, la bibliothèque ?
  • Non, je ne suis sortie que dans les jardins pour regarder les arbres, les animaux et les étoiles.
  • Vous devriez rencontrer plus de gens. Je vais demander à Paul de vous faire une visite guider. Je pense que je vous ai assez embêté aujourd’hui. Je vous laisse vous reposer.
  • Vous allez continuer à venir tous les jours pour que nous discutions ensemble ?
  • Oui ... Vous préféreriez que je vous laisse tranquille ?
  • Oui, je n’aime pas vous voir. Cela me rappelle que je ne suis qu’une esclave.

Ses yeux s’assombrissent encore plus et ses poings se resserrent.

  • Si c’est que vous voulez, je ne viendrai plus vous voir. Bonne journée, Elena.

Il replace la chaise au niveau du bureau et s’en va. Je verrais demain, s’il tient ses paroles.

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