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MILLE TROIS CENT CINQUANTE ET UNIÈME LETTRE

Chère Maman,

Nous nous sommes arrêtés dans un petit village, à l'est de notre pays. Papa s'est dépêché de vérifier s'il y avait de la nourriture, me laissant ainsi le champ libre pour pouvoir t'écrire sans craindre qu'il ne se mette à lire.

L'endroit avait l'air d'être un petit havre de paix avant l'épidémie. Les maisons étaient coquettes et de toute évidence, on veillait à la propreté des rues puisque même aujourd'hui, il n'y a aucun déchet qui traîne. Quelques arbres tiennent encore debout, malgré le climat peu clément à l'égard de la végétation. Ils sont sous mes yeux, étendant leurs branches le plus possible comme pour montrer à tous qu'on ne peut pas les vaincre si facilement, qu'ils restent encore puissants.

Malheureusement, il n'y a qu'à voir la couleur du végétal pour comprendre que malgré sa fierté et son air majestueux, il est malade et ne survivra pas un an de plus. Son tronc pâli, certaines de ses racines sortent du sol et semblent en piteux état. Et ses feuilles sont d'un blanc immaculé, comme tous les arbres restants que j'ai pu croiser jusque là.

Grand-père pensait que les arbres, à leur manière, subissait aussi les effets de l'épidémie. Je pense qu'il doit y avoir un peu de ça, mais que le climat froid doit y être également pour quelque chose. C'est comme si tout avait gelé, même dans les entrailles du bois.

Le froid, je ne connais que ça. Je ne me souviens plus non plus de la chaleur du soleil. En revanche, des images persistent : je me revois à la plage, en tenue légère, courant pour atteindre la mer. Tu étais là toi aussi, Maman. Mais as-tu seulement conscience que le climat a changé ? Sens-tu ce froid mordant qui nous ronge jusqu'à l'os, qui rend le moindre de nos mouvements plus compliqués et fatigants qu'ils ne doivent l'être ?

Papa vient de ressortir de la maison et, après avoir frotté ses mains l'une contre l'autre, me dit qu'il vaudrait mieux que je rentre si je ne veux pas tomber malade. Tu sais Maman, j'ai compris autre chose grâce à cet homme : certaines personnes font mine de se soucier de votre état alors que dans le fond, c'est juste pour avoir bonne conscience. Prenons mon paternel comme exemple: il se fiche pas mal de ce qui peut m'arriver, je pourrai attraper une maladie qu'il ne se mettrait aucunement à paniquer. Je suis même sûre qu'il pense mieux s'en sortir sans moi.

Il a essayé d'entrer en contact avec un groupe de survivants il y a moins de deux jours. On lui a claqué la porte au nez parce qu'il n'apportait rien à la communauté. Ils avaient déjà assez de bouches à nourrir, alors s'encombrer d'un homme qui ne savait pas réellement tirer, ça ne les intéressait pas. Par contre, pour moi, ils ont avoué être prêts à faire une exception.

Mais Papa a refusé net. Son regard lançait littéralement des éclairs. Et au lieu de se dire qu'il aurait pu me laisser dans de bonnes conditions, me garantir une vie correcte, il a préféré renoncer à cette opportunité parce que lui ne pouvait pas entrer. C'est un égoïste, voilà tout. Il était jaloux du fait que je puisse m'en sortir et pas lui.

L'intérieur de notre planque me met mal à l'aise, à peine y ais-je mis un pied. On sent tout de suite qu'on pénètre dans l'intimité d'un inconnu. Il y a des cadres photos encore accrochés, des effets personnels en tout genre et des mots d'amour accrochés sur un frigo depuis longtemps éteint. On a juste l'impression de se trouver dans une maison dont on a juste ôté les habitants.

Papa est tout sourire. Il dit qu'on va se plaire ici. Je préfère monter à l'étage au lieu d'entendre ses idioties. Il y a trois chambres ainsi qu'une salle de bain. Tout est couvert d'une fine couche de poussière qui atteste que depuis la fuite de ses occupants, personne n'a daigné mettre les pieds en ces lieux. Lieux qui parviennent, malgré les événements, à dégager une certaine chaleur. On sent que les gens qui résidaient ici s'aimaient, et aimaient la vie qu'ils menaient.

Le lit est confortable, je me suis assise sur celui-ci. Il y a encore une autre photo sur la table de chevet. Je l'ai regardé pendant de longues minutes. Le couple avait une fille à qui le lit où je me trouvais devait sans nul doute appartenir. Je ne sais pas qui étaient ces gens, et je ne saurai probablement jamais ce qui est advenu d'eux. Pourtant, j'ai envie de te parler de ces personnes-là. De te les décrire physiquement du moins. Tu peux sauter cette partie si tu n'as pas envie de savoir, je ne t'en voudrai pas. Tu ne voudrais sans doute pas penser à d'autres personnes, sûrement mortes à l'heure qu'il est. Mon esprit aussi en regorge.

L'homme devait avoir la cinquantaine, tout comme sa femme. Il a une barbe de deux jours sur le cliché, ainsi qu'un grand sourire qui laisse entrevoir des fossettes au niveau de ses joues. Ses cheveux sont bruns, courts et je le soupçonne de ne pas avoir pris le temps de les coiffer convenablement. Il a également les yeux marron, contrairement à sa femme qui les a bleu. Cette-dernière, pour sa part, a des cheveux blonds bouclés qui lui arrivent au milieu du dos. Elle arbore une fleur dans ses cheveux. Sa fille semble avoir hérité de cette même chevelure. Mais les yeux de la jeune femme sont ceux de son père. Elle n'a pas l'air à l'aise, on dirait même qu'elle n'était pas forcément au courant, jusqu'au dernier moment, que ses parents l'avaient dans le cadre.

Je n'ai pas pu m'empêcher de me demander si notre maison était actuellement occupée par des personnes dont l'existence ressemblait à la mienne. Comment se sentaient-ils ? Que pensaient-ils de nous ? Chercheraient-ils à en savoir plus sur les propriétaires des lieux où ils se trouveaient ? S'ils étaient tous comme Papa, il est fort à parier qu'ils ne prendraient même pas cette peine. Ils chercheraient juste à piller l'endroit pour survivre.

Et toi Maman, si tu te trouvais avec nous, aurais-tu cherché à en apprendre plus sur les gens qui ont marché là où tu poses le pied ? Je l'ignore. Peut-être que le monde dans lequel nous vivons t'aurait conduite, tout comme cela à été mon cas, à changer de comportement. A te transformer en autre chose. En presque monstre qui ne pense plus qu'à soi. Qui critique tout et tout le monde parce qu'elle se sent seule, parce qu'elle aimerait savoir comment vont ceux qu'elle a laissés derrière elle. Et surtout, parce qu'elle a peur.

La fille du couple s'appelait Eva. Je l'ai trouvé en fouillant dans ses affaires, sans d'ailleurs ressentir la moindre culpabilité en accomplissant un geste aussi intrusif. Je suis tombée sur son journal intime et ma curiosité mal placée m'a amenée à en lire le contenu. Elle y parle de ce qu'elle faisait et pensait avant l'épidémie. C'était une fille normale, basique, qui se fondait dans la masse en somme. 

Mais vers la fin du carnet, elle se met à parler de ce qui se passe après que les morts ont commencé à errer dans les rues. Elle avait peur et elle avoue même pleurer tous les soirs durant les prières qu'elle adressait à un Dieu qui, s'il existe, nous avait tournés le dos depuis bien longtemps. Elle a continué à écrire jusqu'à ce que sa famille se décide à chercher refuge dans une grande ville, espérant y trouver de l'aide de la part d'individus qui se trouvaient dans la même galère qu'eux.

Maman, pourquoi suis-je en train de pleurer ? Pourquoi est-ce que mes larmes coulent sans s'arrêter pour pleurer une personne défunte que je n'ai jamais connue ? Pourquoi est-ce que je m'inquiète de savoir si Eva et sa famille ont souffert avant leur fin ?

Je ne sais pas si tu le sais, mais les villes sont condamnées. Depuis longtemps, les gens qui partagent le même état que toi, les occupent et défendent leur territoire sauvagement. Il n'y a que quelques exceptions. Dont la ville où Eva serait partie. Et ces villes ont certes, « échappé » à l'invasion des morts, mais à un prix qui en ferait pâlir plus d'un.

J'ai ma réponse maintenant. Et j'en suis sûre. Eva est morte.

Parce que ces villes ont été détruites, tout simplement. Elles ont été les premières touchées par les Morts et l'État a préféré éradiquer ces villes de la planète. Ils ont lancé des bombes en direction de ces lieux maudits, où résidait pourtant des gens qui n'étaient pas touchés par le virus. Où des milliers de citoyens continuaient de se rendre en espérant trouver une raison de croire que tout n'était pas perdu, que ce Dieu pervers avait encore foi en l'humanité et offrait une chance de survivre à qui savait saisir l'occasion.

Ils avaient tous péri. Les villes avaient été nettoyés de tout : autant des Morts que des Vivants. Que dire de plus, si ce n'est que l'homme peut vraiment s'avérer stupide quand il cède à la panique ?

Ta fille qui t'aime.

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