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MILLE TROIS CENT QUARANTE NEUVIÈME LETTRE

Chère Maman,

Je viens de souffler ma dix-septième bougie. Et comme les deux dernières années, tu n'étais pas là pour voir ça. Ça n'avait rien d'extraordinaire en plus. Pour tout t'avouer, je n'avais même pas de gâteaux, juste un briquet allumé en face de mes yeux pour faire office de bougie. Papa avait d'ailleurs oublié quel jour on était et m'a engueulé parce que d'après lui, jouer avec le feu était une très mauvaise idée (il me voit encore comme une gamine), en plus d'être un moyen de gaspiller des biens qui sont indispensables à notre survie.

C'est tout lui ça, toujours à côté de la plaque quand le sujet me concerne. Mais au final, je m'y suis faite. Je ne lui demande plus rien et c'est à peine si on se parle. Je pense que ça vaut mieux d'ailleurs. Le jour où l'un de nous ouvrira la bouche pour dire ce qu'il a sur le cœur, j'ai bien peur que ça ne dégénère. Les non-dits pèsent depuis bien trop longtemps.

Ça va bientôt faire une semaine qu'on roule. Comme d'habitude, sans aucune réelle destination en tête. Les paysages, ainsi que les scènes qui se déroulent sous nos yeux, sont toujours aussi pitoyables. Y en a des milliers des gens comme toi, qui ont la mâchoire qui pendent, qui ont du sang qui coule le long de leur bouche. Qui ont ce regard si vide qu'il vous paralyse et prvoque une vague d'effroi qu'il est dur de surmonter.

Grand-père pensait qu'un jour, comme tous ces corps sont bels et bien en décomposition (cela ne se voit quasiment pas), le phénomène qui hante nos vies finirait par disparaître. Ça va bientôt faire trois ans que ça dure, et je ne vois aucune amélioration. C'est même pire qu'avant. Les campagnes sont infectées à leur tour et maintenant, il est presque indispensable de sortir avec une arme en main.

A ce propos, Papa ne sait toujours pas viser. Il est certain du contraire et je suis obligée de couvrir ses arrières. Il est même arrivé qu'il fanfaronne parce qu'il pensait avoir tué une des ces créatures. Je ne lui ai jamais dit que c'était grâce à moi. Il avait l'air tellement joyeux que je n'avais pas eu le courage de brisé ses espérances.

Je pense savoir ce qui t'a plut chez lui. Il n'est pas débrouillard, il perd ses moyens aussi facilement qu'on dégaine son arme en terrain inconnu, il n'a aucun charisme face aux autres survivants et se laisse souvent embobiner par ces charlatans qui lui propose monts et merveilles. Mais je dois bien reconnaître que c'est une personne qui se soucie souvent d'autrui, même de ceux qui l'ont fait souffrir. Et puis il prend toujours les choses du bon côté.

Tu sais qu'une fois, il a commencé à m'expliquer qu'il s'inquiétait pour son voisin Charlie. Oui, celui-là même avec qui il se disputait sans cesse, celui-là même qui déversait fréquemment ses poubelles sur le paillasson de la maison de Papa.

Est-ce pour cela que tu l'as aimé ? Parce qu'il avait un bon fond ? Parce qu'il trouvait beau un monde que tu savais horrible ? Je n'arrive pas à vraiment comprendre ce qui t'a poussé dans ses bras. Ce qui t'a poussé à lui laisser une seconde chance.

Je lui en ai parlé mais au lieu de ça, il a changé de sujet et m'a parlé de toi. Il m'a expliqué (pour la centième fois) comment vous vous étiez rencontrés, comment il avait réussi à obtenir ton numéro en se compliquant l'affaire alors que s'il te l'avait demandé simplement, tu aurais accepté. Visiblement, cet épisode le fait mourir de rire. Moi, comme cela ne me concerne pas vraiment, cela me laisse de marbre.

Dernièrement, je me suis aussi rendue compte de quelque chose. Je commence à oublier des choses au sujet du passé. Je ne sais plus certaines choses à ton sujet. Et ça a le don de me frustrer. Je suis sûre que si tu étais là, tu me dirais que c'est normal, que mes souvenirs se focalisent plus sur les affaires du présent, que c'est le « cours du temps » qui fait son travail. Dans ce cas, je proclame ici et maintenant que mon pire ennemi sera désormais ce « cours du temps ».

Je le combattrai en notant sur ces papiers toutes les choses dont je me rappelle, pour ne plus rien oublier de plus. Malheureusement, je ne sais plus certains détails. Je ne sais plus comment était ton parfum, ou pire encore, le son de ta voix. Le visage de Grand-mère est de plus en plus vague. Ceux de mes anciens camarades de classe ne sont plus. Je ne sais plus quelle était ma musique préférée, du temps où j'en écoutais sans arrêt. Je ne sais plus quel goût ont les bonbons, le chocolat et toutes ces sucreries dont je raffolais et qui te faisaient crier quand tu en apercevais dans ma bouche.

Et toi Maman, dans ton état, te souviens-tu encore de moi ? Te souviens-tu des moments qu'on passait ensemble ? Te rappelles-tu certains de mes spectacles de danse de fin d'année ? De ma chute à cheval ? Des fois où nous préparions des plats légers pour la voisine qui n'avait personne d'autres que nous pour veiller sur elle ? Te souviens-tu de ta rencontre avec Papa ? De l'annonce de ta grossesse et de sa fuite qui succéda à celle-ci ?

Dis-moi, est-ce qu'au fond, tu vis encore ? Est-ce qu'une part de toi reste enfermée dans ton corps ? Et si je me plantais face à toi, aurais-tu un mouvement de recul ? Me reconnaîtrais-tu ? Essaierais-tu de me prendre dans tes bras ?

Autant de questions trottent dans mon esprit depuis que tout ça a commencé. Depuis cette soirée où, assis devant la télé, je t'avais appelé pour te prévenir que les bulletins d'information réclamaient l'attention de tous les citoyens de notre pays. Tu portais ton tablier. Il y avait un tâche de sauce tomate dessus, témoin d'un de nos essais culinaires, que tu n'avais jamais réussi à enlevé tout à fait. Tu m'as regardé avec étonnement, puis tu as appelé Papa et malgré que ne le voulais pas, il a finit par s'asseoir près de moi, tout comme toi. Les journalistes s'affolaient. Les caméras ne tenaient pas en place et nous montraient des images différentes toutes les secondes.

Une femme qui mordait un lampadaire furieusement, qui le pliait. Tout de suite après, l'image d'une enfant d'à peu près mon âge qui plongeait ses mains dans ce qui semblait être un animal, pour finir par dévorer ce qu'il y avait à l'intérieur.

On nous parlait de maladie. On nous préconisait de faire nos affaires pour quelques jours et de nous rendre au centre de vaccination le plus proche. Papa est resté sur le canapé pour écouter le reste du programme, toi tu t'es levée d'un bond pour commencer nos valises. Je t'ai suivi et tu m'a caressé la tête comme si j'étais encore cette petite fille de six ans qui avait un trou en plein milieu de sa dentition d'enfant.

Même si cela ne m'avait pas plu que tu me vois plus petite que je ne l'étais, je n'ai rien dit parce que j'avais senti que tu n'étais pas rassurée. Je t'ai finalement aidé et rapidement, après avoir emporté un cadre photo ou deux, nous avons fermé la porte de notre maison que jamais plu nous ne reverrions. Les voisins faisaient la même chose, même celle pour qui il nous arrivait de cuisiner.

Elle nous a sourit puis s'est engouffrée dans sa voiture. Ce fut là le dernier sourire sincère que je vis. Même les tiens, par la suite, n'étaient plus véritables. Tu le faisais par nécessité, parce que tu pensais que cela allégerait ma peine. Quand ils ont eu Grand-mère, tu m'as sourit. Quand ils ont eu Tatie Laura, bien que c'était ta sœur, bien que les larmes te montaient aux yeux, tu a continué à me sourire.

Tu as toujours sourit, en toute circonstance. Même quand ils t'ont eu, toi. Tu m'as regardé, tu avais mal, tu avais peur. Je le savais. Mais tu as sourit. Encore. Et encore.

Je ne te l'avoue que maintenant, mais ton sourire m'a fait bien plus mal que si tu t'étais simplement mise à pleurer. Si tu m'avais montré que tu avais confiance en moi, que tu me croyais assez forte pour poursuivre mon chemin sans toi.

Maintenant, il n'y a aura plus aucun moyen pour que j'oublie cet épisode,

Ta fille qui ne sait pas si elle réussira un jour à te prouver qu'elle était digne de toi.

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