Prologue

4 minutes de lecture

PREMIÈRE LETTRE

Chère Maman,

Je ne sais pas si un jour tu tomberas sur mes lettres. J'en doute fort mais quand on y réfléchit, tout peut arriver, tu ne crois pas ? Tu me manques un peu plus chaque seconde, c'est insupportable. Papa dit qu'on te rejoindra quand tu seras prête pour nous revoir. Mais je ne suis pas bête, je sais que ce n'est pas possible. Ça ne le sera jamais. Et pourtant, je continue de t'écrire.

Idiot, n'est-ce pas ?

On est en route vers une destination qui est inconnue pour l'ensemble du groupe. C'est grand-père qui conduit, qui prend à gauche, qui prend à droite, au gré de ses envies. Il sifflote gaiement comme si tout allait bien. Moi je passe mon temps à regarder par la fenêtre, à penser à toi, ou encore à me demander ce que tu fais en ce moment. Es-tu en train de marcher sans but précis, de pousser des grognements incompréhensibles, de manger un autre cadavre en décomposition ? Va savoir. Ce n'est pas toi qui pourras me le dire de toute façon.

Papa boude. Il sait que je lui fais la tête mais il ne comprend pas pourquoi. Comme si j'allais lui pardonner tout ce qu'il a fait jusque là. De toute façon, quand on était tous ensemble, c'était toujours comme ça. Tu as toujours été la seule personne vers qui je pouvais me tourner sans craindre de me retrouver face à un mur, bloquée face à un individu qui ne comprend rien à mes réactions.

Et le destin a choisit de me séparer de toi, de me pousser à vivre avec cet homme que je connais à peine. Dis maman, pourquoi as-tu accepté le fait qu'il revienne vers nous, après tout ce temps où il s'était muré dans l'absence ? On n'avait pas besoin de lui, on était très heureuse toutes les deux. Une présence masculine n'était pas indispensable au sein de notre foyer. Surtout quand cet homme est un lâche qui prend ses jambes à son cou quand on lui apprend qu'il va être père.

Quand il est revenu, tu m'as tout de suite dit qui il était. Je me souviens l'avoir longuement regardé, avoir cherché en lui les traits que lui et moi partagions. Mais je te ressemblais plus que je lui ressemblais. Sauf pour les fossettes. Ça, c'est de lui.

Voilà maintenant quelques minutes qu'on s'est arrêté à une aire d'autoroute. Les voitures s'entassent, bloquent la route il n'y aucun moyen de passer. D'autres gens avant nous sont venus ici, mais je ne les vois nulle part. Les lieux semblent vides. C'est effrayant.

Grand-père est parti chercher de la nourriture dans le magasin. Au moins, le problème de savoir si nous avons les moyens ne se pose plus. On doit juste se servir comme si c'était chez nous, puis repartir sans se soucier de savoir si le propriétaire des biens que nous avons pris est en train de se ronger les ongles. Je sais que si tu avais été là, tu n'aurais pas apprécié ce cinéma. Même dans notre situation, tu aurais considéré ça comme du vol (à juste titre) et tu nous aurais passé un savon. Même grand-père n'aurait pas pu réchapper de ta crise.

Tu aurais été déçue de moi. De ce que je suis devenue après que nous ayons pris la fuite. Quand on est partie, j'étais encore une petite fille innocente, qui voyait le monde avec tout plein de couleur. Je ne comprenais pas le sens du mot « mort ». Et maintenant, je suis obligée de lui faire face tous les jours, de la donner à des personnes que j'aurai sans doute, dans d'autres conditions, apprécié.

Dans le monde d'aujourd'hui, c'est notre personne qu'il faut faire passer avant tout le monde. On n'a plus le choix. A tout moment, il faut prendre conscience du fait que pour la survie des autres, nous sommes un élément sacrifiable. Tout comme ils le sont pour moi. Grand-père, Papa, même si c'est horrible de dire ça, sont des éléments sacrifiables. Si un jour je me retrouvais à devoir faire un choix entre eux ou ma survie, je n'hésiterai pas à prendre l'option qui me permettra de respirer, de fouler le sol le plus longtemps possible.

Les survivants, bien que leur cœur ait la chance de battre encore, deviennent comme toi, et tous les gens qui te ressemblent. On tue sans distinction, on grogne, on mange et on erre dans ce monde devenu trop vaste, trop dangereux.

Nous sommes pires que des animaux quand l'instinct reprend le dessus.

Grand-père est revenu. Il a les bras chargés. Papa l'aide tout en lui reprochant d'avoir mis trop de temps, l'avertissant également qu'il était à deux doigts de partir avec moi. Comme si j'aurai pu le laisser abandonner Grand-père pour me retrouver seule avec lui. Même ce-dernier sait ce ne sont que des paroles en l'air, que nous n'aurions jamais pu continuer notre route sans lui, car il éclate de rire. Tu sais, ce son grave et mélodieux dont tu me parlais, que tu me décrivais comme omniprésent dans ton enfance.

Les deux hommes chargent les trouvailles dans le coffre déjà encombré de la voiture. Je les regarde faire, toujours assise sur le toit de la voiture. Je trouve d'ailleurs que c'est le meilleur poste observatoire. Je suis sûre que toi aussi tu aurais apprécié de te retrouver perchée avec moi, dominant ce monde qui nous écrase bien trop à mon goût. Et cela depuis toujours quand on y pense.

Nous reprenons la route. Grand-père parle avec mon père, devant moi. Ils semblent soucieux. Ils savent qu'on ne pourra pas tenir éternellement de manière aussi isolée. Il faut qu'on fasse comme tout le monde, qu'on rejoigne un groupe. Armé de préférence.

Je t'en dirai plus demain Maman. Je suis fatiguée et je pense qu'il vaut mieux que j'économise mes forces.

Le monde extérieur est devenu beaucoup trop intransigeant, seul les plus forts réussissent.

Je t'aime,

Ta fille qui aurait aimé posé sa tête contre ton épaule.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire MDurnez ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0