III - Choix (partie 4)

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  Les nuages d’orage avaient fait place au rayonnement d’une lune pleine et brillante qui éclairait le bunker de sa blanche et douce lumière. Des lucioles virevoltaient près du bunker. Raphaël haletait sur la table, bouillant de fièvre. Sophia épongeait son front avec un chiffon qu’elle avait gardé dans la poche intérieure de son uniforme. À peine plus loin, Matthew et Victor observaient ce qu’il y avait dans les sacs boueux et dégoulinant de sang que Raphaël avait ramenés. Le chasseur ouvrit les yeux et agrippa le bras de l’hôtesse.

— Ça va aller.

— Tu es sûr ? Matthew ne t’a pas raté… Ton nez recommence à couler.

— Il m’a à peine effleuré. Je vais bien. Et le feu… Pourquoi vous n’avez pas fait de feu ? tempêta-t-il en regardant autour de lui.

— Calme-toi, Raph’, dit Haytham, assis près de lui. On est tous à bout, là.

— Je comprends mais faire un feu est absolument nécessaire. Je vais aller chercher du bois dehors.

— Tu veux faire un feu avec du bois mouillé ?

Raphaël laissa échapper un long soupir.

Matthew essayait de détacher les sacs à la lumière de l’écran du téléphone portable quand il reconnut une odeur familière, macabre qui le fit sursauter. À son esprit venaient des images plus violentes que les autres, de cadavres, d’explosions, de membres éclatés… De légères convulsions le prirent ; il recula en toussant et crachant de la salive mousseuse.

— C’est… c’est du sang humain, là-dedans ?

— Du… Sérieusement ! s’étonna Victor en manquant de vomir.

Matthew se tourna vers Raphaël, qui s’était redressé.

— Putain, t’as tué quelqu’un ou quoi ? demanda-t-il d’un ton des plus sarcastiques.

Raphaël ne répondit pas à la provocation. Matthew se reprit er regarda une nouvelle fois, toujours avec une légère et irraisonnée appréhension le sac plein de morceaux de chair. Sans détourner les yeux de l’amas de viande, il s’adressa au chasseur.

— C’est Jahn, pas vrai ?

— Quoi ?

— Tu portes ses vêtements.

— Et tu as des traces de lutte qui n’ont pas l’air de venir de Matthew, ajouta instinctivement Beth.

— Arrêtez, vous délirez là !

— Toi, arrête tes conneries. Comment tu aurais pu tuer un taureau à mains nues ? Et puis, c’est la chemise de Jahn qui tu as utilisée pour ce sac, déclara-t-il en désignant l’étiquette arrière.

Les membres du bunker, hormis Haytham et Sven, s’éloignèrent du tireur d’élite. Raphaël saisit dans ce silence d’effroi « espèce de monstre ».

— T’es pas très futé comme cannibale, provoqua Matthew.

— Espèce d’enflure ! jura le chasseur, exténué et nerveux, en saisissant le col du steward.

— Qu’est-ce que tu vas faire ? répliqua-t-il en collant son front à celui de Raphaël.

Il serrait les dents et jetait un regard emplein de douleur et de tristesse à Matthew. Raphaël agrippa de plus en plus fort le col de son adversaire et menaçait de le frapper. Voyant son hésitation, Matthew lui cracha au visage. Raphaël eut le réflexe de reculer de quelques pas et d’armer son poing mais d’un geste vif, Matthew l’étrangla de ses mains. Dans le même mouvement, il le balaya en arrière du talon et le projeta à terre sans lâcher son emprise. Son visage exhibait une joie de meurtrier. Raphaël, déjà mal en point, suffoquait. Il se débattait du mieux qu’il pouvait en repoussant de la paume le visage et les bras du steward.

— Matthew, arrête ! supplia Sophia.

— Eh l’idiot, lâche-le, tu m’entends ? tonna Roselyne dans un calme nerveux.

Les rescapés hésitèrent à s’approcher, car il semblait que l’un était tout aussi dangereux que l’autre.

Un genou frappa de plein fouet le visage de Matthew. Si fort qu’il fut projeté plus loin. Matthew, se redressa en gémissant, caressa des doigts sa mâchoire écornée et fusilla du regard son agresseur.

— T’en as pas marre de t’occuper de ce qui ne te regarde pas ? Hein, Haytham ?

Le jeune homme sentit son sang chaud couler le long de son tibia. C’était la première fois que Haytham frappait quelqu’un depuis longtemps. Ce trouble grisant se transforma en lui en sentiment de supériorité. L’adrénaline lui excitait l’hémoglobine, ses membres frissonnaient jusqu’à ses phalanges. Il ressentit que son corps l’appelait à agir de nouveau. À cet instant, Matthew n’était qu’une menace.

— Tu défends un can-

— Espèce de taré.

Sven observait la scène avec intérêt, fasciné. Haytham avança vers Matthew – encore sonné – et serra son poing. On lui bloqua les deux bras les aisselles avant qu’il ne puisse avancer davantage.

— Laisse-moi, Raphaël ! hurla comme un forcené Haytham.

— Ressaisis-toi, Ham’ ! Ça ne sert à rien ! C’est vrai, Jahn est mort, mais pas comme vous le croyez !

Matthew en profita pour se relever et pour réduire l’écart qui le séparait d’Haytham mais le coude de Victor le stoppa aussitôt.

— Bouge de là, le nain !

— Pas question.

Victor et Raphaël ayant donné l’initiative, Isaak, Sophia et les autres les épaulèrent pour les calmer.

  Après que Matthew et Haytham avaient été apaisés, Raphaël leur expliqua tout ce qu’il s’était passé depuis son départ. Il leur narra tout dans les moindres détails, la mort de Jahn, le chemin de la mer à la steppe, en passant par la végétation et la faune anormales de cet endroit. Mais une attitude étrange le turlupinait.

— Vous… ça ne vous fait rien de savoir que Jahn est mort ?

Un malaise presque palpable traversa la pièce.

— Il – Jahn – était le plus mystérieux d’entre nous, avoua Garry.

— À part son nom, on ne connaissait rien de lui, confirma le steward psychotique. J’ai juste cru que tu cherchais à nous le faire bouffer.

— Quand-même, apprendre que quelqu’un meurt, comme ça, murmura Isaak en claquant des doigts. Ça fait forcément quelque chose.

— Mais c’était quelqu’un de bien, ajouta Victor, le regard perdu.

Il y eut un instant de calme, que seules les bénédicités d’Agustina venaient troubler. Sven en profita pour raconter ce qu’il s’était passé durant leur absence : le téléphone portable et pourquoi Mariah était dans le cagibi.

— Sven, tu es dingue, ricana le chasseur.

— Il est malade ! s’égosilla la prisonnière. Ouvre !

— Qui sont ces deux femmes ? ignora Sven en désignant deux personnes inconnues, les silhouettes que Neelam avait vues.

— Ah oui ! Je les ai croisées dans la plaine où se trouvait le projecteur. Elles ont demandé à me suivre.

Haytham les éclaira à l’aide du téléphone.

— Je suis Daylinn…

— Et moi Spencer, envoya-t-elle avec bien plus d’assurance que sa camarade.

Le bunker les observait silencieusement ; ils ne les saluèrent même pas.

— Eh, Spencer, s’écria Matthew en souriant. Comment va Maurice ?

— Il te maudit mais il va bien. Tu ne dois pas frapper si fort que ça en fin de compte.

Haytham était presque sûr d’avoir entendu Matthew traiter la nouvelle de roulure.

  Le polymathe, devenu méfiant, les toisa avec minutie. Daylinn était adossée au mur, ses mains glacées l’une dans l’autre devant elle. La jeune femme avait une figure pâle, intelligente et timide, ainsi que des cheveux blonds peu naturels qui luisaient à la lumière de la lune. Elle avait le visage d’une mannequin asiatique : de larges pommettes, des joues creuses mais des yeux d’un turquoise gris si fins qu’il était impossible de savoir où elle regardait. Elle humectait régulièrement ses lèvres qui brillaient d’un rouge à lèvres brillant appliqué à la perfection. Vêtue d’un simple petit chemisier blanc sans manche et d’un jean court serré, Haytham se demandait si elle n’avait pas froid. Il pouvait à peine la quitter des yeux. Il remarqua alors son angoisse et lassitude à sa manière de se gratter le bout des ongles.

À l’inverse, Spencer respirait la confiance en elle. Elle était debout, droite, le menton de son visage jeune toujours relevé. Ses cheveux noirs et ondulés étaient coupés juste au niveau inférieur de sa nuque mais étaient en partie cachés par un énorme bonnet gris. Elle portait un grand manteau d’une couleur incertaine ouvert sur un débardeur noir. Sa peau mate foncée brillait comme une opale et son regard masculin inspirait la crainte.

Chacun se présenta à elles, avec la sensation d’avoir à faire une corvée et toujours une certaine appréhension. Spencer expliqua alors leur présence parmi eux.

— Gwen est un danger ambulant. Elle agit de façon désordonnée et n’est jamais sûre de rien. On l’a suivie dans la forêt, puis après avoir été attaqué, on s’est perdus un moment. Franchement, je ne pensais pas vous revoir, Agustina, Robin. On a voulu partir mais seules on ne pouvait rien faire. C’est là qu’on a croisé Raphaël.

— Qui est Gwen ? demanda stoïquement Sven.

— La femme aux airs de toxico et aux mèches violettes, répondit Daylinn en filant ses élégants cheveux entre deux doigts.

Haytham jasa de rire devant l’incompréhension totale des autres rescapés.

— Et moi qui pensais qu’elle était intelligente !

— Après ce qu’on vient de voir, vous ne vous débrouillez pas mieux.

Le rire d’Haytham sombra dans la honte. Soudain, Raphaël s’exclama :

— Ah ! Je me souviens. Daylinn, tu es championne de Poker et Spencer un nouvel espoir parmi les architectes ; je ne me trompe pas ?

— Raphaël a raison, repartit Spencer sans prêter attention à ce que ce dernier venait de dire. Il faut faire du feu. On doit faire cuire cette viande, peu importe d’où elle vient. De plus, on a du mal à voir et apparemment cet endroit n’est pas sûr du tout.

Les deux polymathes furent surpris par la vivacité d’esprit et la lucidité de Spencer, dans la mesure où la situation troublait les néophytes de la survie qu’ils étaient. Ils avaient en revanche du mal à imaginer Daylinn à une table de Poker tant elle semblait émotive.

Il restait le problème du feu à résoudre. Le troisième mondial creusa son esprit pour trouver une solution ; quand l’évidence lui apparut clairement. Il se précipita vers la table qu’il observa minutieusement.

— On a qu’à prendre du bois de cette table.

— Oui, ça peut marcher ! s’écria Raphaël. Je vais chercher des brindilles sèches sous les rochers de l’amadou. On utilisera une pierre et mon silex pour les allumer.

Haytham acquiesça joyeusement. Il remarqua alors le changement d’expression significatif sur les visages ; il cacha son sourire sous une grimace. Sven se dirigeant vers la sortie du bunker l’interpella :

— Je vais dans la plaine, pour voir si je peux bouger le projecteur et le ramener.

— Tu ne pourras pas le bouger seul, dit Isaak. Matthew et moi on peut…

— Il n’est pas en état, envoya Beth sans que Matthew ne la contredise. Je vous accompagne.

Cependant à peine Beth avait ouvert la bouche que Sven était parti. Beth et Isaak lui emboîtèrent le pas en accourant.

Haytham, Raphaël et Matthew s’appliquèrent à briser la table, qui était déjà usée. Ils la jetèrent contre le mur à plusieurs reprises, l’éclatant en morceaux distincts. Ils s’acharnèrent ensuite sur ces morceaux, rejoints par le reste du personnel navigant. Ils parvinrent ainsi, suant malgré la fraîcheur, à obtenir des morceaux de bois de dimensions idéales. Alors que Raphaël les rassemblait en amas, Mariah demanda une nouvelle fois sa libération, la voix pleine d’espoir. Elle scandait avoir trouvé un briquet en état de marche dans toute la ferraille où elle était coincée.

Raphaël trotta vers la porte avec l’intention de l’ouvrir. Haytham l’arrêta au dernier moment.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Je vais lui ouvrir, la raison pour laquelle elle est enfermée est stupide.

— J’ai vérifié ce bunker plusieurs fois. S’il y avait un briquet, je l’aurais trouvé. Et puis sans ses lunettes, je ne suis pas sûr qu’elle y voie quelque chose dans cette obscurité.

Mariah hurla, enragée, le nom d’Haytham en tambourinant la porte des morceaux de fer. Sa rage mua doucement en supplication.

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