III - Choix (partie 2)

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  Une bourrasque d’air sableux balaya le paysage. Raphaël ne se releva qu’après plusieurs minutes. Il scruta l’horizon ; ils étaient arrivés dans une steppe. Il vit alors le corps étendu de Jahn. Il s’approcha en traînant les pieds, blessé. Il tomba à genoux, lui prit la tête et observa sa blessure, les yeux humides. Ceux de Jahn étaient devenus vitreux ; dans un instant de lucidité, il les tourna vers le chasseur.

— Jahn ! J’suis tellement désolé ! Je crois qu’il ne t’a pas touché aux points vitaux, on peut… on peut arranger ça ! mentit Raphaël.

Il ne reçut aucune réponse. Jahn le fixait toujours. Les secondes défilèrent. Raphaël crut se noyer dans les pupilles noires du steward. Il le secoua imprudemment à plusieurs reprises comme pour le réveiller quand un nouveau fil de sang s’écoula le long de la commissure et de la joue de Jahn qui vint s’échouer au fond de la poussiéreuse paume du chasseur. Maintes fois, ce dernier crut le voir cligner des yeux, mais la froideur et la puanteur qui se dégageait de la plaie le ramenèrent à la réalité.

Les yeux de Raphaël larmoyèrent. Il sanglota. Son optimisme s’était évaporé. C’était sa faute. Une rancœur forte le prit aux tripes, comme sept ans auparavant.

  Il avait dix-neuf ans ; sa sœur, Harmony, en avait huit. Ils devaient rejoindre leur père Henrick en Floride pour leurs premières vacances depuis des années. La route était dégagée mais la nuit était noire. Il venait d’avoir son permis après moult efforts et roulait vite, mais il était confiant. Harmony chantait, et comme toujours, Raphaël souriait jusqu’aux lèvres en entendant sa voix. Il tournait régulièrement les yeux dans le rétroviseur pour regarder les pupilles pétillantes de sa sœur. Rien qu’une demi-seconde à chaque fois. Une demi-seconde, pas plus. Un autre véhicule, sorti de nulle part, accéléra phares éteints dans sa direction. Le coup de volant de Raphaël les précipita dans une crevasse en pleine forêt. Il se souvenait des secousses et des cris d’horreur de sa sœur. À son réveil, il avait l’airbag dans le visage, le corps ensanglanté mais sa première préoccupation fut de chercher Harmony. À demi-sourd, il entendait les secours arracher la portière et le tirer hors du véhicule ; lui, n’avait que le nom de sa cadette à ses lèvres.

Harmony ne fut jamais retrouvée. Pas de second corps. Raphaël pensait que c’était encore un prétexte de son père pour le protéger, lui éviter la peine d’avoir la mort de sa petite sœur sur la conscience. Tout ça, parce qu’il avait été trop confiant. Il aurait dû être prudent ; les choses auraient été différentes. Lui, serait désormais différent.

 Le corps allongé de Jahn était la preuve de son échec, qui résonnait en lui tel un écho assourdissant. Il s’assit près du cadavre du steward et repensa à Harmony, à ce qu'elle serait devenue s’il ne l’avait pas coupée en plein élan. Il se laissa aux regrets… avant de réaliser que d’autres vies reposaient sur ses épaules pleines de stigmates. S’ils venaient à mourir, le décès de Jahn aurait été vain.

Il se leva, le corps tremblant, ramassa la lame émoussée tombée à peine plus et avança vers la carcasse de la bête. En utilisant aussi ses ongles poussiéreux, il trancha de toutes ses forces. Après près d’une heure, il réussit à retirer la peau et des quartiers de viande qu’il jugeait consommables, mais n’avait rien pour les transporter. Il jeta un regard empli de honte au cadavre de Jahn.

— Je suis désolé, Jahn…

Il déshabilla le corps, déchira quelques morceaux avant d’attacher pour faire de sa chemise et de son t-shirt des sacs. Il y entreposa le cuir et la viande avant de les endosser.

Il reprit le chemin de la forêt, avant de se retournant un instant en frissonnant, puis continua au trot.

#

Sven prit une lourde inspiration.

— Mariah !

— Quoi ? C’est qui ? C’est toi le connard qui m’a enfermée ?

— C’est Sven.

— Sven ! Ouvre la porte. Pourquoi je suis là ?

Je pose les questions, reprit-il avec fermeté. Pourquoi avais-tu un téléphone bloqué qui n’était pas le tien ?

— Un… téléphone ? Mais de quoi tu parles ? On a tout laissé dans l’avion ! Je ne l’ai pas pris !

— Tu as été retrouvée endormie dans ce placard, un téléphone dans la poche !

— Laisse-moi sortir, putain de pervers ! hurla-t-elle à s’en arracher la voix en tambourinant la porte.

Haytham prit Sven en aparté discret.

— Je ne crois pas que l’enfermer soit nécessaire…

— Et si elle s’échappe ? On n’a pas de cordes pour l’attacher.

— Il y a sûrement un autre moyen.

— Celui-ci fonctionne très bien.

Mariah les interrompit.

— Sven… où sont les autres ? Il y a des gens qui s’en sont sortis ?

Le premier mondial regarda autour de lui et voyant un accord commun, répondit.

— Oui, nous sommes actuellement huit. Mais cinq autres personnes vont normalement nous rejoindre. Avec de la nourriture. En fait, nous avons été abandonnés à notre sort.

— Quoi ? Même l’équipage ?

— En effet.

Mariah réalisa silencieusement la situation.

— Écoute Sven, répondit-elle avec diplomatie, la faim se faisant ressentir. Tout ce dont je me souviens, c’est être tombée en parachute dans la forêt, puis c’est le trou noir. Je ne sais pas comment ni pourquoi vous m’avez retrouvée ici.

Sophia, qui sanglotait, ne put en éprouver davantage.

— Sven ! Ça va. Je… Je la crois.

— Qui c’est ? demanda Mariah, étonnée.

— C’est Sophia, l’une des hôtesses. Elle dit te croire. Pas moi.

— Ouvre cette porte !

Mariah se ruait sur la porte telle un bélier dans l’espoir de la défoncer. Matthew courut sans crier garde et donna un violent chassé à porte.

— LA FERME !

La jeune polymathe lâcha un cri perçant. Haytham bondit par réflexe entre la porte et le lunatique steward.

— Calme-toi, Matthew !

— Elle se fout de nous ! Cette espèce de…

— H-Haytham ? bégaya Mariah qui ne supportait plus toutes surprises.

Haytham ne réagit pas.

— Mariah ? reprit Sven.

— Haytham est avec toi ?

— Merde, souffla le jeune homme blond en jetant un regard mauvais. Sais-tu pourquoi nous sommes ici ?

— Parce que tu m’as enfermée là-dedans, tiens !

— Non, quel est cet endroit ? Pourquoi avons-nous sauté ?

— J’en sais que dalle, idiot !

Sven soupira. Il fit face aux rescapés et prit une forte voix.

— Que tous ceux qui, excepté Haytham, veulent que Mariah soit libérée, lèvent la main maintenant.

Sophia et Garry mirent doucement la main en l’air. Avant qu’il ne puisse conclure le vote, Sven remarqua du coin de l’œil deux silhouettes qui s’approchaient à travers la forêt. Les membres du bunker reconnurent le groupe d’expédition composé de Victor, Isaak et Roselyne ; aucune trace de Jahn ou Raphaël, mais deux autres personnes qui leur étaient inconnues. Ils se précipitèrent à l’extérieur pour les rejoindre. Alors que Sven leur emboîtait le pas, Haytham l’arrêta du bras.

— Qu’est-ce que ça veut dire « tout le monde excepté Haytham » ?

— Tu es, je ne sais pas trop pourquoi, trop attaché à Mariah.

Haytham le saisit par le col de la chemise.

— Et en quoi ça te dérange, enfoiré !

— Évitons les états d’âme. Elle sait peut-être quelque chose. On ne va pas attendre ici indéfiniment. Je comprends qu’elle ressemble à ta mère, mais…

Haytham écarquilla les yeux et recula en position de défense.

— Comment est-ce que tu sais autant de choses sur moi ? Tu ne m’as jamais vu !

— Arrête. Il n’y a rien d’extraordinaire à ça, assura-t-il en réarrangeant sa chemise. J’aspirais à être premier de la promotion de l’Institut. Quoi de plus naturel que de surveiller mes adversaires les plus proches – Mariah McElroy et Haytham Walker. Je n’ai pas trouvé grand-chose sur elle, d’ailleurs. Mais toi…

Il rit.

— Toi, tu es vraiment sorti de nulle part. Tes résultats avaient progressé grandement. J’ai appris, pour ta mère. J’ai compris que c’était pour elle que tu faisais tout ça.

Haytham fronça les sourcils.

— Je suis presque « heureux » de m’être échoué ici avec vous. Autrement, ça aurait été bien plus compliqué, soutint-il d’un sourire déplacé.

— Sven, reprit Haytham qui s’était calmé, puisque tu surveillais Mariah, et que tu n’as rien trouvé d’autre, pourquoi s’acharner sur elle ?

— Justement, je n’ai rien trouvé, rétorqua le jeune homme. Je connais juste son classement.

— Tu ne connais rien des autres non plus…

— Certainement, mais j’ai appris à craindre les esprits pertinents.

Le silence pesa. Haytham saisit ses joues et prit une profonde inspiration. « Le premier mondial, hein. »

— Sven. Cassons-nous d’ici.

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