II - Diviser (partie 3)

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  À mesure qu’ils s’enfonçaient dans cette verte et brune forêt, déroutante, Raphaël avait peur de perdre ses repères. C’était pourquoi, tous les cent mètres, il marquait les troncs d’arbre en les écorchant. Derrière lui, Victor, Roselyne, Jahn et Isaak peinaient tous les quatre à marcher.

— Quand est-ce qu’on arrive à l’endroit dont tu nous as parlé ? soupira Roselyne.

— Bientôt, il devrait être à environ dix minutes de là.

— J’ai dû mal à marcher, cette forêt est vraiment dense.

— Oui, je sais.

  La plainte de Roselyne fit remarquer à Raphaël la densité et la diversité de l’endroit où ils avaient été abandonnés. Le paysage alternait chênes robustes, petits arbustes, clairières, rivières boueuses, arbres sans vie et végétaux exotiques. Il paraissait à la fois vraisemblable et non naturel, d’une mixité inégalée.

 Le groupe d’expédition arriva dans une gigantesque plaine de longues herbes vertes hâlées. Elle était à moitié entourée de forêt sur la gauche, l’autre moitié donnant sur une plage nacrée et une mer très agitée, couverte par une vaste brume fantomatique. Le vent leur fouettait âprement le visage, mais ils continuèrent malgré tout.

— On a dû s’écarter légèrement du chemin. Je n’avais pas vu cette plaine ni cette plage, dit Raphaël, obligé de crier.

Ses compagnons soupirèrent d’un même souffle. Les deux heures de marche leur avaient fait apparaître des ampoules aux pieds.

— On va devoir retourner dans la forêt, ajouta-t-il en pensant bien à se rappeler de cet endroit pour le rapporter à ceux restés au bunker.

— Comment est-ce que tu as fait pour ne pas voir ni entendre la mer durant ta chute ? pesta Victor.

— Il faisait nuit noire. J’étais beaucoup trop concentré sur mon atterrissage… Et une fois au sol, j’ai dû fuir ces satanés insectes ! rit-il en mimant une démangeaison.

 Raphaël tourna la tête et aperçut à peine plus loin des formes s’extirpant de la forêt. Il mit du temps à les reconnaître : il s’agissait de deux autres membres de l’autre groupe de survivants. Le jeune tireur d’élite hésita à s’approcher, au risque de voir arriver le reste du groupe venant lyncher les membres d’équipage. Mais l’état d’une des deux silhouettes mit fin à son hésitation. Il accourut vers eux à grandes enjambées par-dessus les herbes sans délibération avec ses équipiers, qui le suivirent peu après avec étonnement. À mi-chemin, les deux errants, un homme et une femme, leur firent signe de la main en criant à travers le souffle du vent. Un appel au secours.

 À peine arrivé près d’eux, Raphaël jura. La femme portait de l’épaule un homme à moitié conscient dont le bras gauche avait été sévèrement touché. Son sang s’écoulait le long de son bras à travers une profonde entaille en un flux continu et rougeoyant. Raphaël retira son T-shirt sans manche et l’enroula autour de la plaie béante. Malgré les cheveux tombants sur son visage, il reconnut l’homme qui l’avait appelé « le métalleux » quelques heures auparavant.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Je… On a vu une grande ombre noire, cornue et… et… par pitié, aidez-nous !

La femme s’effondra en larmes, visiblement encore sous le choc.

— L’ombre est sortie de nulle part et… elle a presque tué Robin…

« Un phacochère ? Un cerf ? Autre chose ? » songea rapidement Raphaël.

— Il a essayé de me protéger…

— Agustina… murmura l’homme qu’elle portait.

— Robin ! Ça va aller… rassura Agustina en le serrant dans ses bras.

#

  Quelques minutes plus tard, un peu plus enfoncés dans la forêt pour éviter les rafales de vent, les rescapés s’installèrent près d’un arbre à la cime gigantesque autour duquel l’espace était suffisant pour se poser. Voyant Raphaël trembler, Jahn lui donna la veste de son uniforme, considérant qu’une chemise lui suffirait. Robin dormait à l’abri des brises glaciales, malgré une douleur constante. Agustina était près de lui, caressant son front sous ses longs cheveux châtains. Elle avait l’air d’une femme attentionnée, mais dont les petites rides en pattes d’oie trahissaient une certaine sévérité. Ses cheveux auburn, attachés en chignon ainsi que ses vêtements faisaient penser à un agent du milieu des affaires.

Puisqu’elle semblait s’être calmée, Raphaël l’interrogea de nouveau.

— Pourquoi est-ce que vous vous baladiez seuls ? Personne ne connaît cet endroit, c’est très dangereux.

— Nous n’étions pas seuls au départ…

— Comment ça ?

— Nous suivions Gwen et Alexander avec les autres dans la forêt. On cherchait de la nourriture.

— Je connais Alexander mais qui est Gwen ?

— Elle est facilement reconnaissable. Elle a une allure sombre et gothique, les cheveux pourpres et est très maigre.

— Ah, elle. Mais ça n’explique pas comment vous vous êtes retrouvés seuls.

— Il y a eu un bruit, puis d’un coup tout le monde s’est mis à courir dans tous les sens et à crier. Gwen était la première à faire demi-tour. Mon conjoint – Robin – et moi étions derrière les autres. C’est là que nous avons vu cette immense ombre noire qui nous fixait. J’ai hurlé… Puis c’est le trou noir. En essayant de me lever, je l’ai vu… plein de sang…

Elle finit sa phrase par un pincement de lèvres, avant d’ajouter :

— Ils nous ont laissés dans la forêt.

Raphaël écoutait silencieusement les sanglots d’Agustina, en intense réflexion. Il se tourna ensuite vers ses compagnons.

— C’est notre chance.

— Hein ? réagit Victor.

— On doit attraper cet animal, reprit avec excitation Raphaël. C’est peut-être un très gros phacochère ! Ou encore mieux, un cerf…

— Quoi ! s’écria Roselyne. Écoute, petit, j’ai déjà du mal à marcher dans la forêt en talons, alors je ne vais pas me mettre à courir après une sorte de sanglier tueur !

— Attends… Tu n’es pas sérieux ? dit Agustina, très étonnée.

— Raphaël, répéta Victor, tu l’as dit toi-même : cet endroit est très dangereux et personne ne sait ce qui s’y trouve.

— C’est de la nourriture, de la viande qui plus est. On a perdu trop de temps, les fruits ne nous suffiront peut-être pas, répondit Raphaël en se levant.

— Arrête tes conneries ! hurla Roselyne.

— C’est de la folie, tu vas te perdre, déclara Isaak en tentant de le raisonner. Et puis, comment comptes-tu faire ?

— Je savais que c’était une mauvaise idée de vous suivre. Raphaël, je ne viens, lâcha Victor en tournant le dos et en se dirigeant vers la plaine.

  Le survivant tireur d’élite scruta le sol terreux et en sortit une large branche à l’extrémité aiguisée et une pierre. Il brisa le bâton en deux et plaça la moitié non pointue dans la poche. Il saisit ensuite une pierre qu’il tailla par à-coups successifs. Il fit une fente sur l’embout le moins acéré de son bâton et y inséra le galet, qu’il fixa solidement à l’aide de lianes. Ce canif improvisé brillait par sa dureté et la qualité de sa fabrication. Raphaël tourna le regard vers la forêt avant de stopper Victor en l’appelant.

— Je ne suis pas comme Haytham. Je n’oblige personne à venir. Vous pouvez rester ici.

— Arrête. Tu ne sais même pas où l’animal se trouve exactement.

— Je trouverai, dit-il en souriant. Agustina, où est-ce que vous étiez ?

Elle pointa timidement du doigt un endroit un peu plus loin dans la forêt. Alors qu’il s’apprêtait à partir, le silencieux Jahn l’arrêta.

— Je viens, fit-il au grand étonnement de tous.

— C’est bon, je lui fais confiance, assura-t-il de son ton germanique. Restez ici, on reviendra vite.

Victor recula, visiblement agacé par un tel entêtement, et s’assit en fulminant près du tronc d’arbre où reposait Robin.

 Les deux hommes avancèrent dans les tréfonds de la sylve, ne se retournant que pour s’assurer de l’état de leur blessé.

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