I - Espoir (partie 6)

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  Alors qu’ils s’apprêtaient à les suivre, Haytham remarqua qu’on les avait déjà devancés. Un groupe de trois personnes suivaient discrètement l’équipage, se repérant à la lumière de l’aube passant à travers les feuillages des arbres immenses. La personne qui dirigeait ces curieux n’était autre que Sven, le premier mondial. Haytham et Raphaël se joignirent tacitement à eux ; deux autres rescapés leur emboîtaient d’ailleurs le pas. Après les avoir suivis à plusieurs mètres de distance, accroupis et les plus discrets possible, un signe de Sven arrêta la filature. Ils observaient les stewards rejoignant un bunker dans une petite clairière dont l’un des murs comportait une étagère supportant trois appareils de communication.

Sven se retourna et, voyant Haytham, lui dit de se rapprocher.

— Content de voir que tu as bien pris ton parachute.

— Ouais, ironisa tristement Haytham, sentant la culpabilité d’avoir survécu à sa place prendre de l’ampleur dans son cœur.

— Je voudrais que l’on se rapproche de la fenêtre du bunker, mais si tous les autres nous suivent, on sera repérables trop facilement.

— On y va à trois. Avec Raphaël.

— Qui est Raphaël ? Bon, peu importe. Allons-y, ordonna-t-il en se dirigeant vers le bunker.

  Après avoir compté jusqu’à trois, le trio s’élança la tête engoncée entre les épaules et d’un pas rapide dans la clairière jusqu’à la fenêtre du bunker – qui était plus un trou rectangulaire dans le mur qu’autre chose. Haytham, le dernier à arriver, sautillait presque pour éviter de solliciter ses jambes encore douloureuses ; heureusement pour lui, ce qui se discutait à l’intérieur accaparait l’attention des membres d’équipage. Il s’adossa aux côtés des deux autres contre le muret de béton friable et ils tendirent une oreille à ce qui se passait dans le bunker. Un hurlement grave leur dressa les poils.

— Quoi ? C’est une plaisanterie ! Non-Attendez-Je… Putain !

 Haytham passa la tête au-dessus du cadre pour jeter un œil à ce qui provoquait cette colère. Il nota les cinq stewards et les cinq hôtesses qui se lançaient un regard des plus inquiets. Matthew, assis devant un bureau de bois, portait un casque relié à la radio mais qui était davantage un système de communication assez vieillot. Au même moment, ce dernier se leva en expirant lourdement, puis jeta le casque contre le sol avant de furieusement frapper la radio. S’ensuivit un long silence.

— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? gémit l’une des hôtesses en retenant ses larmes.

— J’en sais rien ! Je n’en sais putain de rien ! Et puis, arrête de poser sans cesse des questions, tu me fatigues !

— Ne crie pas sur Sophia, Matthew, intervint un autre homme, plus âgé. Tu sais bien qu’elle…

— La ferme, Garry. Je n’ai pas besoin de l’avis d’un vieux con sénile. Cette dame au fedora… Elle s’est bien foutue de nous. Elle va nous laisser crever ici !

Haytham, Raphaël et Sven échangèrent des regards chargés d’incompréhension. Le reste du groupe de passagers qui les accompagnaient entendaient distinctement les débordements de Matthew malgré la distance.

Le vieux steward Garry s’était tu en signe de résignation. Un autre, qui semblait avoir à peine la vingtaine questionna Matthew.

— Bon, et qu’est-ce qu’on va dire aux passagers ? On ne sait même pas ce qu’ils ont à faire là.

— On ne va rien leur dire du tout, rétorqua-t-il.

— Tu nous excuseras si on ne t’écoute plus, intervint une hôtesse adossée avec flegme dans un coin de mur. D’abord, tu effraies les passagers juste avant de sauter dans le vide, puis tu frappes un vieil homme alors que tu sais que tu es un ancien soldat. Tu es vraiment un asocial, Matthew.

— Attends, je rêve ou tu me rejettes la faute dessus ? menaça-t-il en se levant. Des lopettes, un vieux con et une pleurnicharde. Comment est-ce que tu veux prendre des décisions avec ce genre de personnes ? Peu importe. Tu ne comprends rien, la cougar.

La femme tiqua de l’œil droit.

— Je pense qu’il faut leur dire ce qu’il se passe, au moins ce que l’on sait, ajouta Garry. Ils sont plus perdus que nous. Et toi, tu prends ça trop à la légère !

— Leur dire quoi ? Qu’on…

Raphaël s’était posté devant l’ouverture, fusillant des yeux le steward. Haytham et Sven, d’abord pris de court par la précipitation de Raphaël se levèrent eux aussi doucement.

— Dans quel merdier vous nous avez foutus...

#

  Les trois hommes pénétrèrent à l’intérieur du bunker et se placèrent en arc de cercle autour de Matthew, qui avait soudainement pris une mine acculée.

— Expliquez-nous ce qu’on fout là, tonna Sven.

— C’est une longue histoire.

— On a tout notre temps, apparemment, puisqu’on va sûrement dépérir ici.

Matthew reprit, le visage caché et le souffle écourté.

— On n’a pas vraiment eu d’explications. Juste un appel téléphonique nous demandant d'accomplir une tâche en échange d’une grosse somme. Un million, chacun. On devait juste se rejoindre à l’aérodrome pour escorter un dirigeable en tant que membre d’équipage.

— On ne vous a rien dit d’autre ? s’enquit nerveusement Haytham. Comme la nature de ce que vous deviez transporter ?

— Vous. Vous êtes la marchandise. J’aurai préféré de la drogue mais je n’ai pas d’avis à donner.

Les traits d’humour tintés de folie du steward hérissaient les poils d’Haytham.

— Vous avez une idée d’où nous sommes ?

— Aucune, haussa les épaules Matthew. La dernière chose que l’on m’ait dite avant de sauter, c’était où trouver le projecteur. Je n’en sais pas plus.

Haytham prit une grande inspiration.

— À cause de vos conneries, des gens sont blessés et d’autres ont disparu ! hurla-t-il en saisissant le col du steward.

— Qui vous a appelés ? demanda fermement Sven.

— Un anonyme, une grosse société, je n’en ai aucune idée, rapporta-t-il en repoussant solidement le jeune homme qui n’en démordait pas. Je n’en sais pas plus, je vous dis.

« La dame au fedora. » Ils ne disaient pas tout, mais Haytham sentait qu’il ne mentait pas. Dans ses yeux se lisaient un véritable abandon voire lassitude. Était-ce un test ? Personne n’aurait mobilisé tant de moyens pour… rien.

— O-On nous disait que… Qu’on reviendrait nous prendre, que notre objectif n’était que de vous ramener ici… haleta la dénommée Sophia.

Les membres d’équipage se turent, la mine grave. Matthew interrompit Sven avant même qu’il n’ouvre la bouche.

— Personne ne viendra nous chercher, répondit-il avec un léger détachement. On est coincés ici. N’attendez pas d’excuses, à quoi bon.

  Le bunker s’assombrit. Les trois jeunes hommes pivotèrent la tête dans leur dos et virent la dizaine de regards colériques, apeurés et larmoyants pointés sur le steward. Trop bouleversés pour exprimer quoique ce soit, ils demeurèrent silencieux comme des poupées de cire. Une jeune femme, dans les bras de celui qui semblait être son fiancé, s’en défit et enjamba doucement l’ouverture, écarta les trois hommes pour se retrouver en face de Matthew.

— Vous dites que… nous allons tous mourir ici ?

  Le steward lui répondit par un silence. La femme fronça les sourcils, ferma ses poings… puis fondit en larmes. Comme un signal d’alarme, les rescapés envahirent le bunker, couvrant de cris et d’insultes les membres d’équipage ; les brutalisant même. Certains étaient si ébranlés que leurs yeux brillaient comme des billes, sans laisser transparaître aucune émotion.

C’était alors que l’on entendit Raphaël, qui était resté en retrait jusqu’ici.

— On ne va pas mourir ici.

Ils se retournèrent à l’unisson vers lui.

— Rien ne nous oblige à finir ici.

— Comment ça ? s’étonna la femme.

— Malgré l’obscurité, lorsque j’ai atterri dans la forêt j’ai distingué quelques animaux sauvages, des cours d’eau et des arbres fruitiers. On doit avoir de quoi se nourrir le temps qu’on puisse contacter l’extérieur.

Subtilement, la tension disparut comme soufflée par une brise d’espoir. Des larmes moins amères perlèrent au coin de certains yeux et des murmures de louanges divines furent adressées aux cieux. Un sourire froid fendit les lèvres de Sven.

— Raphaël, viens avec moi. Il faut voir combien nous sommes et comment on va tout organiser.

— Je te suis, s’écria-t-il bien heureux de redonner espoir à chacun.

Le jour s’était déjà bien installé et les rescapés retournaient au premier lieu de rassemblement, la vaste plaine déboisée, menés par Sven et Raphaël.

Bientôt il ne resta dans le bunker qu’Haytham et Matthew, qui ne se détachaient pas des yeux.

— Le système de com’ marche encore ? fit Haytham en tâtant le mur empli de boîtes électroniques.

— Si je ne l’ai pas trop abîmé, oui, sûrement.

— Tu sais s’il y a des outils dans ce bunker ? demanda-t-il ses bras farfouillant dans les caisses de fer sous la table, mais qui ne contenaient que de la rouille et de la poussière.

— Je ne sais pas.

« Il ne sait jamais rien », grogna intérieurement Haytham. Matthew scruta la pièce du regard et remarqua ainsi une porte bleue crasseuse qu’il pointa du doigt.

— Peut-être là-bas, je n’ai pas encore regardé.

— J’espère que tu es bricoleur.

Il se traîna lentement sur ses jambes encore souffrantes vers la porte, qui était déjà entrouverte. Haytham y passa un œil. Un frisson le saisit. Il reconnut une morphologie humaine enveloppée dans une couverture de toile. Doucement, il ouvrit plus grandement la porte, grinçante comme des supplices. Matthew approcha d’Haytham et découvrit ce qui ressemblait à une jeune femme, respirant lentement. Haytham s’accroupit pour mieux l’observer. Il ne la reconnut pas tout de suite sans ses lunettes : il s’agissait de Mariah.

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