Chapitre 14 suite 2

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Le chevalier resta un long moment immobile à contempler la silhouette de Gui s’amenuiser à mesure qu’il s’éloignait. Ses paroles tournaient et retournaient dans sa tête comme un leitmotiv : « si ça se trouve même, elle est ici ». Cela lui semblait si inconcevable qu’il n’arrivait pas à le croire. Et pourtant… le raisonnement du damoiseau n’était peut-être pas si extravagant après tout… Oui, mais où aurait-elle pu trouver refuge ? Où l’avait conduit Johan le Roux ?

Quelque chose lui échappait mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Agacé, Aymeric regagna les écuries en quelques pas. Ses yeux bleus s’assombrirent jusqu’à se froncer lorsqu’il pénétra dans l’obscurité après l’intense clarté qui régnait dans la basse-cour en cette belle journée. Les odeurs de cuirs mêlées d’effluves animales assaillirent agréablement ses narines et repoussèrent un instant ses soucis et ses questions dans un recoin de sa mémoire. Il repéra sans peine le vieux palefrenier qui lui tournait le dos, appuyé sur le manche de sa fourche. Il était si absorbé dans ses pensées qu’il n’entendit Aymeric que lorsque celui-ci l’interpella d’une voix se voulant joviale :

- Alors Géraud ? Que se passe-t-il ?

Le vieil homme sursauta et se retourna pour lui faire face, un sourire penaud éclairant sa face parcheminée de rides. Comme toujours quand il contemplait Aymeric, une intense bouffée de fierté soulevait son coeur fatigué devant la prestance et la réussite de son jeune protégé. Qui aurait pu prédire qu’il accède si facilement au titre de chevalier jusqu’à épouser la propre fille du baron ?

- Alors ? S’impatienta Aymeric, faisant ainsi redescendre Géraud de son nuage.

- Oh, rien de très grave, s’excusa le vieil homme. Je voulais juste te signaler que Satan me semble un peu fatigué ces derniers temps. Ces poursuites ne sont plus de son âge.

- Bah, il n’est pas si vieux que ça.

- Eh, il ne doit pas être loin d’avoir quinze ans, ça commence à faire pour un cheval ! J’espère que tu comptes prendre un destrier plus solide pour partir à ces maudites croisades.

- Pas vraiment non, bougonna Aymeric qui tenait à son étalon comme à la prunelle de ses yeux. Il est plus robuste que tu ne crois. Et puis, il va pouvoir se reposer tout son saoul : notre traque est terminée, c’est…

- Ah, vous avez enfin retrouvé cette ribaude ! L’interrompit Géraud avec mépris.

Comme pour ponctuer sa pensée, il accompagna son intervention d’un long crachat dans la paille derrière lui. Il ne se rappelait que trop bien de cette sorcière qui avait failli attirer Aymeric dans son piège pour mieux le soumettre à sa volonté.

Le jeune chevalier lâcha un soupir d’exaspération :

- Arrête de la traiter de la sorte ! Non, nous ne l’avons pas retrouvée, c’est Bertrand qui continue les recherches. Nous avons d’autres chats à fouetter avec Gui, il va falloir entraîner nos nouvelles recrues. Il ne nous reste plus beaucoup de temps avant le départ.

- As-tu des nouvelles ?

- Non, nous attendons les émissaires du comte de Toulouse d’un jour à l’autre. Je pense que nous avons encore un bon mois devant nous, il ne serait pas très judicieux de partir si tôt, le temps étant encore incertain. Si j’étais à sa place, je donnerai le signal du départ dès la mi-mai. Mais bon, va savoir !

- Mouais, maugréa le vieil homme, le plus tard sera le mieux.

- Ne t’inquiète pas, crût bon de le rassurer Aymeric, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que nous revenions sains et saufs.

- Oh ce n’est pas de toi que je doute… ni de Gui, mais… je me fais si vieux… serais-je encore là à ton retour ? Rien n’est moins sûr.

Aymeric resta un instant sans voix devant le chagrin du vieil homme avant de se rapprocher et d’étreindre sa frêle carcasse avec maladresse.

- Allons, tu es encore en pleine forme. Je te l’ai déjà dit : tu nous enterreras tous !

- Ne dis pas ça malheureux ! Ça va te porter la poisse.

Géraud se recula pour échapper à l’accolade et s’essuya furtivement les yeux d’un revers de manche. Gêné de s’être fait surprendre en état de faiblesse, il se détourna et changea de sujet d’une voix éraillée :

- Bon, que décides-tu pour Satan ?

- Rien, j’aviserai le moment venu, mais ne te fais pas d’illusions : à moins qu’il ne soit aux portes de la mort, il viendra avec moi.

- Comme tu voudras, soupira le vieil homme sachant que rien ni personne ne le ferait revenir sur sa décision d’emmener son meilleur « ami », jusqu’en enfer s’il le fallait.

Aymeric ébaucha un sourire devant l’air désespéré de son mentor et tourna les talons.

Avant de franchir les portes des écuries, il l’entendit marmonner :

- En tout cas, je suis bien content qu’il ne s’occupe plus de cette sale ribaude.

Aymeric faillit le rabrouer, mais quelque chose l’arrêta… cette même chose qui l’interpellait depuis un moment et dont il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Il sortit dans le soleil de cette mi-avril et, ébloui par la vive clarté autant que par la révélation qui venait de l’assaillir, il étouffa un long juron. À son plus grand soulagement, il commençait à voir une issue à ce drame. La trame de l’histoire se mettait enfin en place : Ribaude !

Le mot roula sur sa langue, prenant peu à peu le chemin de son esprit.

Comment n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Mais aussi, il avait tant de mal à voir Alis dans un lieu pareil ! Pourtant, c’était le seul refuge susceptible d’accueillir une femme dans la détresse… ou pourchassée.

Aymeric traversa la basse-cour au pas de charge : il voulait aussi vérifier autre chose. Une anecdote… qu’il avait maintes fois entendue de la bouche de Berthe sur son aventure dans un des bourdeaux les plus malfamé de Séverac, en compagnie… d’Alis.

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