Chapitre 14 suite 1

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- On dirait que tu as vu un fantôme, s’étonna Aymeric lorsque Gui passa à sa hauteur. Quelque chose ne va pas ?

Perdu dans ses pensées, le damoiseau avait traversé la basse-cour comme dans un rêve et allait s’engager sur la rampe d’accès au petit donjon lorsque son chemin avait croisé celui de son beau-frère arrivant en sens inverse.

- Où vas-tu ? Fut la seule réponse qui lui vint à l’esprit avec un rien d’agressivité dans la voix.

Si Aymeric fut interloqué par son ton peu amène, il n’en laissa rien paraître. Il indiqua les écuries du menton avant d’expliquer :

- Géraud m’a fait mander. Satan doit avoir un problème et il veut mon avis.

- Ah…

- Tu veux m’accompagner ? Insista Aymeric devant le regard absent qui lui faisait face.

Gui considéra d’un air morne le petit donjon avant de reporter les yeux sur son comparse. Peu désireux de croiser à nouveau sa démoniaque de sœur et sachant que Catherine n’aurait certainement pas de temps à lui consacrer - ses différentes tâches et Agnès l’accaparant une bonne partie de la journée - son choix fut vite fait :

- D’accord, je te suis, lâcha-t-il avec un sourire forcé.

Dans un élan qui ne lui ressemblait guère, Aymeric passa un bras fraternel autour de ses épaules et l’entraîna à sa suite.

- C’est bien… comme ça, tu pourras me dire ce qui te tracasse. Je n’aime pas te voir cette mine morose, toi qui es toujours si gai.

- Par rapport à toi qui es toujours si sombre, ne put s’empêcher de rétorquer Gui avec amertume.

- Eh, on ne se refait pas, pas vrai ?

Malgré l’agréable sensation de ce rapprochement inattendu, Gui se dégagea et regarda son beau-frère avec suspicion :

- Peux-tu m’expliquer le pourquoi de ce brusque revirement ? Toi qui n’a pas décroché trois mots depuis les quelques jours que dure notre traque ?

Se sentant pris en faute, Aymeric éluda la réponse et préféra contre-attaquer :

- C’est pour ça que tu es fâché ? Pourtant, tu sais bien que cela n’a rien à voir avec toi.

- Pas du tout, s’insurgea Gui. Si tu crois que je ne suis pas habitué à tes sautes d’humeur.

- Alors c’est quoi ? Insista Aymeric comme ils approchaient des écuries.

Gui s’arrêta brusquement, incitant son comparse à faire de même.

- C’est que, murmura-t-il d’un air gêné, cette histoire prend un peu trop d’ampleur… et les gens commencent à jaser.

- Explique toi, grimaça Aymeric en retrouvant aussitôt son air sombre.

Gui eut un mouvement involontaire de recul devant le regard menaçant qui lui faisait face. Après le départ d’Ermessinde, il avait eu tout le temps de réfléchir au problème qu’elle lui posait et le fruit de ses réflexions n’avait abouti qu’à une seule conclusion :

- On devrait peut-être charger une autre personne de ces recherches. Pour faire taire les mauvaises langues, ajouta-t-il précipitamment devant l’orage qui s’annonçait.

- Je ne suis pas sûr de te suivre.

- J’ai beaucoup réfléchi et…

- Je vois ça.

- Laisse-moi t’exposer mon idée, s’il te plait, rétorqua Gui pendant qu’Aymeric croisait les bras sur sa poitrine dans un geste d’attente autant que de défi. Certains, pour ne pas dire tout le monde, connaissent ton attachement pour cette serve et il commence à se raconter que nos recherches seraient… comment dire… truquées. Tu comprends ?

- Hmm, acquiesça Aymeric d’un ton toujours aussi lugubre. Je ne suis pas complètement idiot. Continue.

- Eh bien, j’avais pensé que, vu le peu de résultat de nos recherches, nous pourrions déléguer à Bertrand la suite et le laisser se fourvoyer, comme nous, sur de mauvaises indications.

- Comment ça « sur de mauvaises indications » ? Insinuerais-tu qu’on nous ait éconduit ?

- Peut-être… En fait, plus j’y pense et plus je me dis que nous faisons fausse route. Si ta serve avait pris le chemin de Millau, il me semble que nous l’aurions déjà retrouvée. Elle n’a pas pu se volatiliser sans laisser la moindre trace : c’est impossible !

Gui n’était pas très fier de reprendre le raisonnement de sa sœur mais en y réfléchissant bien, elle n’avait peut-être pas tort. En tout cas, cela valait la peine d’être approfondi.

- Elle s’appelle Alis, assena Aymeric perplexe.

- Oui, bon ! S’énerva Gui.

- Suggèrerais-tu que nous interrogions avec… plus d’application Gautier et sa famille ?

Le damoiseau frémit en imaginant trop bien ce qu’impliquait le mot « application ». Il secoua la tête pour chasser ces images de torture et insista :

- Non, ce n’est pas du tout ce à quoi je pensais ! Il faut… laisser Alis venir à nous.

- Alors là… si je m’attendais à ça, marmonna Aymeric en dévisageant Gui comme s’il avait soudain perdu la raison.

- Oui, je sais que ça peut te paraître stupide, mais réfléchis : nous avons cherché sur toutes les routes partant de Séverac, inspecté le moindre fourré, interrogé tous les passants que nous avons croisés sans le moindre résultat. Personne ne l’a vue ni de près ni de loin. Cela ne peut vouloir dire qu’une chose : elle se trouve encore dans les parages… si ça se trouve même, elle est ici.

- Ici ? S’étrangla Aymeric en jetant un coup d’œil involontaire autour de lui comme si elle allait apparaître par enchantement.

- Non, à Séverac ! Ne sois pas stupide !

Gui le laissa digérer l’information avant d’ajouter à voix basse :

- C’est pour cela que nous devons tenir éloigné Bertrand le plus possible afin d’avoir le champ libre.

- Mais où aurait-elle pu trouver refuge ? Ici, à Séverac, dans la gueule du loup… où elle ne connaît personne. C’est absurde !

- Vu sa condition, je ne pense pas qu’il faille chercher du côté des gens les plus aisés. En tout cas, je te laisse le soin de le découvrir. Moi, cela ne me concerne plus.

Aymeric fronça les sourcils et lui jeta un regard soupçonneux :

- Pourquoi abandonnes-tu la partie ?

Gui détourna les yeux :

- Plus tu agiras avec discrétion, mieux ce sera, crois-moi. De plus… ajouta-t-il après un temps de réflexion, je ne veux pas savoir le résultat de tes recherches. Non que je m’en moque… mais cela m’évitera d’avoir à partager un secret qui risque de se révéler trop lourd à porter.

- Tu es vraiment bizarre, ce jour d’hui.

- Cela ne date pas de ce jour pourtant ! S’exclama Gui en retrouvant la force de plaisanter. Il me faut aussi te demander autre chose, hésita-t-il en retrouvant son sérieux. Ne parle pas de tout ça à Ermessinde… et essaie de te montrer un peu moins… contrarié et concerné par cette affaire. Tu sais dans quelle estime elle tient Alis, alors ne lui donne pas de grain à moudre.

- Elle t’a menacé, c’est ça ? Demanda Aymeric en grinçant des dents.

- C’est juste un conseil d’ami. Maintenant, je te laisse méditer tout cela pendant que je vais de ce pas signifier sa nouvelle mission à Bertrand… pour son plus grand plaisir, je suppose.

Alors qu’il tournait les talons, Aymeric le retint par la manche et murmura :

- Merci Gui, tu es un véritable frère pour moi.

Sans se retourner de peur de flancher et de tout lui avouer, le damoiseau resta un instant immobile avant de se dégager d’une brève secousse en lui rétorquant :

- Comme tu l’as toujours été pour moi.

Et il s’éloigna à grandes enjambées, les larmes aux yeux, soulagé d’avoir trouvé une solution à l’affreux chantage de sa sœur, tout en protégeant Aymeric d’un piège qui l’aurait anéanti.

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