Chapitre 12 suite 2

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Jacquin se baissa et ramassa un petit caillou blanc. Il se redressa tout en le soupesant dans sa dextre. Sa mine soucieuse trahissait l’intense tumulte qui faisait rage dans ses pensées. Le destin de sa sœur était entre ses mains et il lui appartenait, comme ce galet, de le protéger. Il regarda calmement autour de lui, s’imprégnant de ce paysage si familier qui s’étalait à ses pieds.

Aymeric et lui étaient dans la clairière à quelques toises de la masure, au bord du ruisseau, à l’endroit où il s’évasait de manière à créer un petit bassin. Son chant clair et frais prenait toute son ampleur dans le silence des deux hommes.

Le chevalier avait parlé longtemps, dévoilant le fond de ses pensées, mettant son cœur à nu en lui révélant le profond amour qu’il nourrissait vis-à-vis d’Alis et le sacrifice qu’il avait accepté dans le seul but de venir en aide à leur famille pour leur éviter le pire. Il avait tout donné, sachant d’avance que le jeune garçon ne se contenterait pas de faux semblants et que les menaces ne serviraient à rien d’autre que de se l’aliéner définitivement. Maintenant, Aymeric se taisait et attendait son verdict.

La pluie s’était enfin arrêtée mais laissait son empreinte humide et oppressante sur la forêt alentour. Jacquin soupesa encore son caillou et, d’un geste impulsif, le jeta dans l’eau transparente où il s’enfonça avec un petit plouf. Il regarda un instant les cercles concentriques qui allaient s’élargissant et reporta son attention sur le chevalier :

- Je veux votre parole que vous ferez tout pour l’aider et que vous la protégerez au péril de votre vie s’il le faut.

Aymeric poussa un soupir de soulagement et leva solennellement sa main droite :

- Parole de chevalier.

Jacquin soupira à son tour et lui fit signe de le suivre. Il se dirigea sans hésiter vers les fourrés et emprunta un chemin si broussailleux que personne n’aurait pu en trouver l’entrée. Aymeric le suivit en fronçant les sourcils et s’efforça de ne pas se laisser distancer avec les ronces qui s’agrippaient à lui comme si elles voulaient arrêter à tout prix sa progression.

Ils cheminèrent ce qui sembla durer une éternité pour le chevalier dans cette terre gorgée d’eau qui ralentissait leurs pas. Son impatience de retrouver Alis allait grandissant au fur et à mesure qu’ils approchaient du but. Quel accueil lui réserverait-elle ? Accepterait-elle de le suivre ? Autant de questions tourbillonnaient dans son esprit en ébullition. Il avait été assez facile de convaincre Jacquin, mais elle ? De toute façon, elle n’aurait pas le choix : sa situation était trop désespérée pour qu’elle puisse lui refuser quoi que ce soit.

Aymeric en était là de ses réflexions quand, après moult batailles contre les ronces, ils débouchèrent enfin dans un semblant de clairière très mal entretenue où une masure délabrée occupait un petit coin. Le toit de paille était éventré et, après la pluie fine qui s’était abattue sur toute la région, il semblait sur le point de s’écrouler complètement. La porte d’entrée ne tenait plus que par un fil et les murs faits de planches étaient tout de guingois.

Un silence pesant s’était abattu sur leurs épaules et les deux hommes eurent un temps d’arrêt devant ce spectacle désolant avant d’oser franchir les quelques pas qui les séparaient de l’entrée. Jacquin arrêta d’un geste la progression d’Aymeric et lui fit comprendre par une mimique qu’il souhaitait passer en premier. Comprenant son souhait, le chevalier lui fit signe d’y aller et attendit qu’il franchisse la porte délabrée avant de s’avancer à son tour.

Il avait à peine fait un pas que Jacquin se retourna vers lui avec un air désemparé :

- Elle n’est plus là !

Le sang d’Aymeric ne fit qu’un tour et il combla en deux pas la distance qui le séparait du jeune homme. Il l’écarta d’un geste vif et passa la tête par l’entrebâillement. Il mit un certain temps avant d’analyser ce qu’il voyait mais dut vite se rendre à l’évidence : Alis était bel et bien partie.

- Je… je vous assure que ce matin encore elle était là, je l’ai vue, elle dormait !

Jacquin était dans tous ses états. Des larmes emplissaient ses yeux et il regardait autour de lui d’un air affolé, cherchant à percer le couvert des arbres comme si elle s’y trouvait encore. Aymeric fixait la paillasse sommaire repoussée dans un coin de la pièce abritée par un morceau de toit. Un linge imbibé de sang était la seule trace de son passage récent. Il se tourna alors vers Jacquin et le prit aux épaules pour l’obliger à le regarder :

- Il y a sûrement un autre chemin ! Réfléchis, elle ne peut être allée bien loin seule, dans son état !

- Il… il y a un sentier qui mène au village… mais cela aurait été trop risqué, tout le monde est à sa recherche ! Bredouilla Jacquin aussi dérouté que le chevalier.

Retrouvant son instinct de chasseur, Aymeric fit le tour de la clairière, inspectant les moindres fourrés. Il découvrit, non sans peine, le sentier menant au village et s’y avança lentement, scrutant la terre rendue meuble par la récente pluie.

- Elle est passée par là… mais elle n’était pas seule. Une autre personne, un homme lourd était avec elle. Alis a dû le suivre de son plein gré car il n’y a nulle trace de combat.

Il se tourna vers Jacquin et l’interrogea brusquement :

- Qui aurait pu lui venir en aide ? Qui d’autre savait où se trouvait sa cachette ? À qui en avez-vous parlé ?

- Je vous assure que personne d’autre n’était dans la confidence !

- Alors c’est quelqu’un qui connaissait déjà cette clairière.

Les yeux de Jacquin s’écarquillèrent de surprise :

- Je… je ne vois pas… à moins que… ? Oui, c’est sûrement Gautier. Quand ils étaient enfants, ils étaient très proches, ils s’aventuraient souvent dans la forêt.

Aymeric étouffa un juron et arpenta la clairière comme un ours en cage. Soudain, il se tourna vers Jacquin qui le regardait avec désespoir :

- Viens, suis moi. Nous allons remonter leur piste. Ils ne doivent pas avoir tant d’avance que ça !

Lorsqu’ils parvinrent aux abords du village, Aymeric remarqua d’autres traces de pas, presque aussi grandes que celles de Gautier, qui venaient se mêler aux empreintes des fugitifs. Et bizarrement, celles d’Alis disparaissaient dans la foulée. Quelques branches étaient cassées à cet endroit, preuve d’une grande activité et un rond d’herbe couchée se dessinait à l’abri des fourrés.

Intrigué, Aymeric s’avança encore jusqu’à sortir du sentier et se retrouva à quelques toises de l’entrée de Sermelle, là où le chemin menant à Séverac à travers la forêt de Mortecombe faisait un virage qui le masquait aux yeux des villageois.

Evidemment, là, la route était beaucoup plus passagère et il était difficile d’isoler les traces qui se mélangeaient les unes aux autres dans la boue.

Aymeric se frotta le menton d’un air perplexe en regardant en direction de la forêt puis vers le village comme si l’un des deux pouvait lui fournir une réponse à cette énigme.

Plein d’espoir, Jacquin, qui l’avait suivi comme son ombre, détaillait le moindre de ses mouvements. Il savait qu’il avait fait le bon choix en lui révélant la cachette d’Alis : l’angoisse qui se lisait sur les traits du chevalier lorsqu’ils avaient constaté sa disparition en disait mieux qu’un long discours sur ses sentiments vis-à-vis d’elle.

Aymeric hésitait. Il aurait bien continué sa poursuite en direction de la forêt - Gautier n’était pas assez fou pour cacher Alis chez lui au village - mais sans cheval, il n’irait pas très loin. Il fit un geste péremptoire à Jacquin de le suivre et parcourut à grandes enjambées nerveuses la distance qui le séparait de l’entrée de Sermelle.

Jacquin lui indiqua la maison de Johan le Roux où, après un bref coup sur la porte, Aymeric pénétra en conquérant. Sans prêter la moindre attention aux cris indignés de Gertrude, il se dirigea vers Gautier qui se tenait aux côtés de sa mère qu’il dépassait de plus d’une tête.

- Où est-elle ? Attaqua Aymeric sans préambule. Et ne me dis pas que tu ne sais pas de qui je parle : j’ai vu tes traces de pas dans la forêt.

- Je n’ai pas bougé du village de toute la journée, tout le monde pourra en témoigner puisque j’ai aidé Roger le charpentier à ôter une vieille souche de son champ.

Quelque peu déstabilisé par son aplomb, Aymeric le dévisagea puis changea de tactique :

- Contrairement à ce que tu sembles penser, je ne suis pas là pour l’arrêter, je vais la mettre en lieu sûr où personne ne pourra jamais la retrouver ni l’inquiéter.

- Elle est déjà en lieu sûr, lâcha froidement Gautier. Mais ne comptez pas sur moi pour vous dire où. Elle m’a fait promettre de ne jamais vous le révéler. Alors inutile d’essayer de m’amadouer ou de me menacer : je garderai son secret au péril de ma vie s’il le faut.

Les deux hommes se mesurèrent un instant du regard et Aymeric finit par lâcher prise : Gautier n’était pas aussi malléable que le frère d’Alis ! Il tourna les talons et buta sur Jacquin qui se trouvait juste derrière lui. Il prit le jeune garçon par l’épaule et l’entraîna à sa suite. Avant de sortir, il lança une dernière remarque acerbe :

- Si jamais il lui arrive malheur, tu en seras le seul responsable.

- Je sais, répondit placidement Gautier.

Aymeric claqua la porte derrière lui et s’engageait sur le sentier menant chez les parents d’Alis pour récupérer son étalon quand la voix de son acolyte résonna dans son dos.

- Messire, enfin vous voilà, je vous cherchais partout !

- Ah, Hugues. Oh, inutile de descendre de cheval, nous en avons fini.

Puis devant le regard médusé du soldat, il ajouta avec une grimace :

- L’oiseau s’est envolé, nous n’avons plus rien à faire ici. Attends-moi là, je récupère Satan et nous rentrons.

Sans lui laisser le temps de réagir, Aymeric emprunta le sentier d’un pas déterminé. Dépité par tout ce qui venait de se passer, Jacquin trottinait à sa suite en réfléchissant à toute vitesse. Soudain, il s’exclama comme pour lui-même :

- Il faut bien que quelqu’un l’ait aidée à partir ! Jamais elle n’aurait pu fuir seule dans son état et si ce n’est Gautier, qui la conduite ?

Aymeric haussa les épaules d’ignorance. La question de Jacquin soulevait un doute en lui. Il sentait qu’il passait à côté d’un détail important, mais n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Pendant ce temps, Jacquin continuait à réfléchir à voix haute :

- Cela ne peut être que quelqu’un en qui elle ait une confiance totale. Et mis à part Gautier et sa famille, personne n’aurait pris de risque pour elle.

- Que dis-tu ? Réagit soudain Aymeric en s’arrêtant pile et en faisant face au jeune garçon. Répète ce que tu viens de dire !

- Je… je dis juste qu’Alis n’aurait pas fait confiance à n’importe qui. Seul Gautier… ou sa famille auraient pu l’aider.

- C’est ça, oui c’est ça qui m’échappe depuis le départ !

Aymeric exultait. Une image refaisait surface dans sa mémoire : un chariot rempli de fagots et de trois gros tonneaux de vin conduit par le père de Gautier. Il revoyait aussi le rond d’herbe aplatie au bord du sentier. Fort de sa conviction, il partit en courant sans donner plus d’explication au pauvre Jacquin qui le regarda bouche bée monter sur son étalon. Lorsqu’il parvint à sa hauteur, Aymeric ralentit sa monture et lui lança :

- En venant ici, j’ai croisé la charrette de Johan le Roux. Je suis maintenant à peu près sûr que ta sœur se trouvait dans un des trois gros tonneaux qu’il transportait. Il a beaucoup d’avance sur moi, mais avec un peu de chance j’arriverai à le rattraper ou du moins lui faire dire où il l’a cachée ! Merci pour tout mon brave Jacquin et rassure tes parents : moi vivant, personne ne fera plus jamais de mal à Alis !

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