Chapitre 12

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- Je pense que notre tournée de recrutement est plutôt une réussite, qu’en dis-tu ?

Aymeric sortit de sa contemplation du paysage et esquissa un semblant de sourire à Gui qui attendait sa réponse avec impatience :

- Sans doute… sans doute, murmura-t-il d’un ton laconique.

- Qu’est-ce qu’il te faut de plus ? Cela fait à peine trois jours que nous parcourons le fief en tous sens et nous avons réussi à enrôler plus d’une quarantaine d’hommes. Ton idée s’est révélée astucieuse : jamais je n’y aurais pensé moi-même. Père va être ravi.

Sans se donner la peine de répondre, Aymeric reporta son regard agacé sur la plaine qui s’étendait aux pieds de la ville fortifiée de Séverac. Parfois, l’enthousiasme puéril de Gui l’énervait au plus haut point.

Depuis leur départ du dernier village de leur tournée, une averse fine et glaciale de fin mars dégoulinait sur leurs épaules sans le moindre signe d’amélioration à l’horizon. Une chape de nuage recouvrait de son manteau gris foncé la campagne alentour. Même le donjon de Séverac, distant d’à peine quelques toises, semblait se fondre dans le paysage comme s’il jouait à cache-cache derrière son rideau de pluie.

Aymeric secoua son épaisse chevelure détrempée qui coulait dans ses yeux et soupira. Ce temps de chien n’arrangeait rien à son humeur massacrante. Depuis qu’ils avaient quitté Sermelle deux jours plus tôt, il n’arrêtait pas de penser à Alis : comment avait-il pu lui parler de la sorte et l’abandonner à son sort entre les griffes de ce rustre ? Comme il avait été stupide de croire que le simple fait de la revoir pourrait calmer le tumulte qui régnait dans son cœur et sa tête depuis leur rencontre ! Elle était bien trop ancrée dans sa chair et dans son âme pour pouvoir l’oublier d’un coup de baguette magique.

- Enfin nous voilà de retour, l’interrompit encore Gui d’un air émerveillé. Le donjon ne m’a jamais autant manqué que ces trois derniers jours !

- Es-tu sûr que ce soit ce maudit château qui t’ai manqué ou bien une certaine personne que je ne nommerai pas ? Je croyais pourtant avoir été clair sur les intentions de ton père à ton égard, continua Aymeric d’un ton mordant.

Gui se contenta de hausser les épaules :

- Tu peux dire ce que tu veux, ta mauvaise humeur ne m’empêchera pas de fêter dignement notre retour. Quant à mon père, j’aviserai le temps venu et il n’est pas dit que je le laisserai avoir le dernier mot.

N’en pensant pas moins, Aymeric ne répondit pas : mieux valait laisser Gui à ses illusions. Il aurait bien assez le temps de déchanter lorsque son père le mettrait devant le fait accompli.

Ils allaient atteindre l’embranchement qui rejoignait la route principale menant à Séverac, quand son attention fut attirée par un petit groupe de cavaliers venant à leur rencontre. À leur tête, quelle ne fut pas sa surprise de trouver Bertrand le Bailli escorté de quatre des soldats du baron et, chose assez surprenante, du chanoine Clotaire. L’affaire devait être d’importance pour que le triste personnage daigne sortir de l’abri réconfortant du donjon !

-Holà, Bertrand, quel bon vent t’amène ? S’exclama gaiement Gui dont rien - même pas la mine renfrognée du gros bonhomme - n’arrivait à entamer la bonne humeur.

Le bailli attendit d’arriver à leur hauteur avant de répondre. Auparavant, il jeta un étrange coup d’œil à Aymeric, mélange de crainte et de rouerie, comme s’il savourait à l’avance quelque bon tour à lui jouer.

- En vérité, Monseigneur, c’est une bien triste histoire qui me pousse hors nos murs. Un horrible meurtre a été perpétré sur vos terres, à Sermelle, et Monseigneur Déodat m’a chargé de faire toute la lumière sur cette méchante affaire.

À l’évocation du village concerné, le sang d’Aymeric ne fit qu’un tour et il se redressa sur sa selle. Il fixa le bailli de son regard d’acier et un terrible pressentiment lui serra soudain la gorge. Heureusement, Gui posa pour lui la question qui lui brûlait les lèvres.

- Par le sang du Christ, nous y étions avant-hier ! Mais qui est mort ?

- C’est Arnaud, Monseigneur, le fils de Josselin le Charretier : il a été sauvagement assassiné par sa sorcière d’épouse, Alis la Louve !

- Quoi ? Parvint juste à articuler Gui en regardant le bailli fixement avant de se tourner vers Aymeric.

Celui-ci était devenu pâle comme un cadavre et n’arrivait pas à détacher ses yeux du visage bouffi qui lui faisait face et dont l’ébauche de sourire narquois fut bientôt remplacée par un rictus craintif devant l’orage qui s’annonçait.

- Comment savez-vous que c’est elle la meurtrière ? Ce chien s’était fait plus d’un ennemi !

La réponse de Bertrand ne se fit pas attendre et cueillit Aymeric avec la violence d’un coup de poing dans le ventre :

- Sa disparition la nuit du meurtre nous renseigne mieux que ses propres aveux.

- Moi qui ai examiné la dépouille d’Arnaud, ajouta le chanoine en se signant avec précipitation, je peux vous dire que je n’avais jamais rien vu d’aussi terrible. C’est l’œuvre du démon ! Et dans le cas présent, il a pris la forme de cette sorcière. Il faut la retrouver au plus vite et la brûler vive avant qu’elle ne s’en prenne à une autre victime… si ce n’est déjà fait !

À la seule pensée qu’Alis finisse ses jours sur un bûcher, Aymeric sentit un début de nausée l’étouffer. Il respira un grand coup pour chasser ce vertige et se tourna vers Gui qui regardait le chanoine comme dans l’attente d’une autre explication.

- Laissez-moi m’occuper de cette affaire, Monseigneur. Je connaissais bien Arnaud et mettrai tout en œuvre pour retrouver son meurtrier.

- Ne vous en déplaise, Monseigneur Déodat en personne m’a chargé de ramener la coupable morte ou vive et il n’est pas question que je faillisse à mon devoir !

Gui ignora le regard implorant d’Aymeric et se concentra sur la bouille rubiconde du bailli.

- Mon cher Bertrand, loin de moi l’idée de vous dessaisir de cette méchante affaire, mais il est bien évident que père vous a choisi en désespoir de cause. En ces temps où sa santé se détériore de jour en jour, votre présence à ses côtés lui est plus qu’indispensable ! D’ailleurs, je suis sûr que vous lui manquez déjà. Laissons messire Aymeric se charger de cette histoire et rentrez avec moi au donjon, comme cela vous me direz tout ce que je dois savoir à ce sujet.

Montrant par là que le débat était clos, Gui se tourna vers Aymeric :

- As-tu vraiment besoin de toute cette troupe pour appréhender une femme ?

- Décidément, ce sacré Gui m’étonnera toujours, il pense vraiment à tout. Puis à haute voix, Aymeric ajouta : vous avez raison Monseigneur, je prendrai juste Hugues le taciturne. Il est fort comme un bœuf et son air sombre arrachera les aveux aux plus récalcitrants.

- Mais… s’indigna le bailli avant d’être interrompu par Gui.

- Venez, mon cher Bertrand, ne faisons pas perdre plus de temps à Aymeric. Vous ne voulez pas que cette donzelle nous échappe, n’est-ce pas ?

- Non, bien sûr que non, bredouilla le bailli en regardant avec dépit Aymeric entraîner Hugues et le chanoine Clotaire à sa suite.

Depuis qu’Alis l’avait éconduit au profit de ce bellâtre, Bertrand lui vouait une haine tenace. Il n’était pas peu fier d’avoir réussi à comploter contre elle avec l’aide d’Ermessinde pour la faire chasser du château. Cette sordide histoire de meurtre aurait pu lui permettre d’assouvir une fois pour toute sa vengeance, mais voilà qu’il se faisait encore souffler la place ! Comment Gui pouvait-il se montrer aussi dupe par ce simulacre de traque à moins d’être complice ? Il ne faisait aucun doute qu’Aymeric s’arrangerait pour mettre en lieu sûr sa belle de sorte que personne ne la retrouve, mais… que penserait Ermessinde de tout ça ?

Bertrand avait encore cette carte dans sa manche et il était plus que jamais décidé à s’en servir… quitte à arranger un peu la vérité à son profit !

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