Chapitre 11 suite 2

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Lorsque Orianne la découvrit, elle crut un instant que sa fille était morte : elle était couverte de sang et ne réagissait pas à ses cris affolés. Elle avait l’impression de revivre le même cauchemar que l’été dernier quand Aymeric lui avait ramené sa fille en piteux état après son viol.

Devant le manque de réaction de son épouse, Gauvin vint à la rescousse et souleva sa fille dans ses bras pour la porter à l’intérieur et la poser sur leur couche.

Encore inconsciente, la jeune serve poussa un faible gémissement qui fit réagir Orianne aussi sûrement que si on l’avait frappée. Alis avait peut-être besoin de sa mère, mais en premier lieu elle nécessitait surtout de la guérisseuse !

À voir l’état de sa chainse imbibée de sang, elle comprit tout de suite que sa fille venait de faire une fausse couche. Seulement, quand elle entreprit de la lui soulever pour lui nettoyer les jambes et qu’elle aperçut les énormes contusions qui maculaient ses cuisses et son ventre, elle n’eut aucun doute sur le rôle d’Arnaud dans cette affaire.

- Je le savais, je l’avais vu… mais je ne croyais pas qu’il le ferait ! Oh mon Dieu, comment peut-on… ? J’aurais dû… Ce fils de chienne ne perd rien pour attendre. Quel…

Les mots s’étranglèrent dans sa gorge et les larmes lui montèrent aux yeux. Orianne dut faire appel à toute la maîtrise dont elle était capable pour se reprendre et trouver les bons gestes pour soigner sa fille.

Gauvin qui s’était éloigné pour respecter leur intimité, s’approcha d’un bond furieux :

- C’est lui qui t’a fait ça ? Gronda-t-il en découvrant le corps martyrisé. C’est lui qui t’a fait ça ?

- Pas si fort, lui intima Orianne en chuchotant. Tu vas réveiller les garçons. Mieux vaut qu’ils ne découvrent pas leur sœur dans cet état !

- Je vais le tuer… Je vais le tuer, répéta Gauvin comme un leitmotiv en tournant dans la masure tel un ours en cage.

- C’est déjà fait, articula faiblement Alis.

Le ménestrel s’arrêta net dans son élan et se pencha vers elle :

- Quoi ? Que dis-tu ?

- Je l’ai tué… il est mort.

Gauvin regarda Orianne avec effarement et reporta son attention sur sa fille :

- Tu en es sûre ? Il n’est peut-être que blessé !

- Il est bien mort… je l’ai achevé… dans le feu. Faut pas que je reste ici… on va me chercher.

- Dans ton état, tu ne pourras aller bien loin. Tu t’es juste défendue, on ne peut pas te punir pour ça, s’insurgea Orianne faiblement sachant combien sa dernière remarque était fausse.

- Donne-moi juste quelque chose pour arrêter tout ce sang.

- Mais où iras-tu ? Gémit Orianne. Ils ne te laisseront aucun répit !

Un long silence suivit cette remarque. Gauvin ne retenait plus ses larmes qui coulaient sans bruit le long de ses joues amaigries pendant que son épouse s’acharnait à finir de nettoyer sa fille.

- Le temps que je reprenne des forces, j’irai dans la forêt… dans l’ancienne cabane de grand-mère. Personne n’a jamais su la trouver…

- Depuis le temps, elle doit être délabrée… et puis, c’est trop dangereux. Tu es bien placée pour le savoir.

- Je n’ai pas d’autre choix, maman.

Désarçonnée par le calme apparent de sa fille, de son détachement face à cette situation sans issue, Orianne insista :

- Mais après, où iras-tu ?

- Je ne sais pas… j’aviserai le moment venu.

- Mon Dieu, comme je m’en veux, murmura Gauvin en lui prenant la main. Tout est de ma faute. Jamais je n’aurais dû te laisser épouser ce monstre ! Laisse-moi aller m’occuper de tout ça, je dirai que c’est moi et tu ne seras pas inquiétée.

- Non, surtout pas, rétorqua Alis en se soulevant à moitié, tu as une famille à t’occuper… ne l’oublie pas. Que deviendront-ils sans toi ?

- Mais…

- Moi, je n’ai plus rien à perdre, l’interrompit Alis en serrant plus fort sa main. Je saurai m’en sortir, ne vous en faites pas.

Orianne la regarda longuement et finit par tenter le dernier recours qui lui venait à l’esprit :

- Et ton chevalier… Aymeric, il ne pourrait pas faire quelque chose ?

- Je ne veux plus jamais avoir affaire à lui. Laissez-le en dehors, ça ne le regarde pas ! Je me sortirai toute seule de ce bourbier.

Après cet éclat, Alis retomba lourdement sur la couche, épuisée.

- Tout ce que je te demande, maman, c’est de me remettre sur pied pour pouvoir partir au plus vite.

- Cela va prendre plus de temps que tu ne crois : tu as perdu beaucoup de sang.

- J’y arriverai, je suis assez robuste et de toute façon, je n’ai pas d’autre choix.

- Je t’accompagnerai, décida son père d’un ton sans réplique. Et ça, tu ne pourras pas m’en empêcher !

- Tu ne connais pas le chemin et…

- Que tu crois ! N’oublie pas que je l’ai parcouru avant toi, quand ta mère m’a attiré dans ses filets.

Orianne faillit éclater en sanglots à l’évocation de ce souvenir où Alis n’était encore qu’un nourrisson à l’abri des dangers de la vie. Mais elle ravala ses larmes et, après avoir aidé sa fille à s’habiller de propre, elle alla s’affairer dans son herbier et ses pots. Elle lui prépara un assortiment de choix, ajoutant des ingrédients contre les rhumes, les verrues et autre dont elle n’aurait pas besoin de sitôt. Elle lui enveloppa le tout dans un grand torchon et dans un autre, lui mit assez de nourriture pour quelques jours.

Gauvin s’empara de ces baluchons de fortune pendant que son épouse aidait Alis à se remettre debout. Il s’approcha de l’autre côté pour lui poser son mantel sur les épaules et la soutenir pendant qu’elle esquissait quelques pas hésitants. Elle se sentait moulue de partout et souffrait le martyre.

- Ne vous en faites pas, j’y arriverai, répéta Alis comme si elle voulait s’encourager autant que les rassurer.

Alors qu’ils arrivaient sur le seuil, elle se tourna avant de le franchir et scruta l’intérieur faiblement éclairé de la masure. Sa voix se brisa de tristesse :

- J’aurais tant aimé embrasser mes frères une dernière fois avant de partir.

- Ils comprendront, souffla son père au bord des larmes.

- Attends !

Une silhouette malingre sortit de l’ombre et vint l’entourer tendrement.

- Jacquin, que fais-tu là ? Je… je croyais que tu dormais.

- Non, j’ai tout entendu. Tu as bien fait de le tuer. Ce chien ne méritait pas de vivre ! J’aurais dû le faire avant. Tout le monde savait qu’il te maltraitait mais personne n’a jamais rien fait. Moi le premier.

- Ne te reproche rien. Tout est de ma faute, je n’aurais pas dû l’épouser sachant qui il était vraiment. Mais j’étais bien trop orgueilleuse pour le reconnaître.

- Je suis déjà allé à la cabane. Je viendrai te voir, je te le promets.

- C’est trop dangereux, Jacquin. Il faut que tu m’oublies, je ne veux pas mettre ta vie en danger.

- Ce que tu me demandes est impossible, jamais je ne t’oublierai, Alis !

Le jeune garçon, presque homme, éclata en sanglots en la serrant encore plus fort.

- Il faut qu’on y aille, maintenant. Plus on s’attarde, moins on a de chance de s’éclipser discrètement avant qu’ils n’organisent une battue pour retrouver ta sœur.

Gauvin détacha les mains crispées de son fils sur la taille d’Alis pendant que sa mère le prenait contre elle et écarta sa fille d’une poigne ferme.

- Je m’arrangerai pour vous donner des nouvelles, petit frère. Tu sauras toujours où me trouver.

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, rétorqua Orianne qui luttait pour retrouver sa maîtrise, donne nous des nouvelles mais… évite de nous dire où tu es. Moins on en sait, plus tu seras en sécurité.

Avant que Gauvin ne l’entraîne à sa suite, Orianne serra longuement sa fille dans ses bras en laissant cette fois libre cours à son chagrin.

- Surtout… surtout, prends bien soin de toi.

- Je vous le promet, réussit à articuler Alis d’une voix enrouée par l’émotion.

Elle surprit le regard insistant de son père et se sépara douloureusement de sa mère. Il avait raison, il fallait y aller.

Orianne reprit son fils dans ses bras, le serrant à l’étouffer contre elle pendant qu’elle scrutait à s’en faire mal aux yeux, le chemin par où avait disparu la chair de sa chair.

Réussirait-elle à échapper à son châtiment ? Se remettrait-elle de sa fausse-couche ?

Un affreux pressentiment la saisit alors… la reverrait-elle un jour ?

Tant de questions et de visions de mauvaise augure se pressaient dans sa tête qu’elle en avait le tournis. Comme en réponse, une petite voix triste s’éleva :

- Alis s’en sortira, je lui fais confiance, c’est une battante.

Orianne regarda son fils et sourit malgré ses larmes : il avait raison, cela ne faisait aucun doute. Alis s’en était toujours sortie. Pas très bien certes, mais elle s’en était sortie. Et c’était ça le plus important.

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