Chapitre 11 suite 1

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Les yeux brillants, le souffle court, Alis l’observait avec acuité. Certes elle avait réussi à le faire reculer, mais sa riposte n’en serait que plus dangereuse et violente. Pourtant elle n’avait plus peur. Malgré l’enfant qu’elle portait, elle n’attendait plus rien de la vie. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce constat la rendait plus forte et plus déterminée que jamais à en finir une bonne fois pour toutes et… au diable les conséquences.

Alis n’eut pas le temps de réfléchir davantage à sa situation ni d’amorcer un début d’offensive : Arnaud avait repris son souffle et fondit aussitôt sur elle avec hargne.

Il écarta comme une mouche importune le poing qui menaçait de s’abattre encore sur lui et, d’une seule main, il s’empara de son cou. Sous le coup de la colère, il se mit à le serrer jusqu’à ce qu’elle cesse tout mouvement vindicatif à son encontre.

À la vue du visage congestionné au bord de l’asphyxie, sa tentation fut grande de resserrer la pression et de lui rabattre à jamais son caquet, mais alors sa vengeance n’aurait plus la même saveur. Et puis, il n’en avait pas encore fini avec elle.

Arnaud la lâcha si brusquement qu’elle s’affala comme une chiffe molle sur le sol. Il la contempla d’un air satisfait essayer de reprendre son souffle, toussant et crachant à s’en décrocher la poitrine.

- Continue à me défier de la sorte et la prochaine fois, je ne serai pas aussi clément. Allez, viens maintenant, continua-t-il en l’attrapant par les cheveux pour la traîner jusqu’au milieu de la pièce, cette entrée en matière m’a vraiment mis en appétit.

Encore engourdie malgré la brûlure lancinante qui tenaillait sa gorge, Alis fut ramenée à la réalité par la douleur qui éclata soudain sous son cuir chevelu comme s’il allait se décoller. Elle fut obligée de se soulever et de ramper sous la direction de la poigne implacable d’Arnaud sous peine de perdre une bonne partie de ses cheveux.

Lorsqu’il la lâcha enfin, le répit fut de courte durée. Revenue à proximité de son bliaud abandonné sur le sol, Alis se hissait tant bien que mal sur ses bras pour se retrouver à quatre pattes avant de se mettre debout quand elle fut arrêtée dans son élan par un méchant coup de pied dans les reins qui annihila tous ses efforts en la faisant rouler sur le côté. Elle se recroquevilla pour tenter de parer les autres coups qui plurent sur elle, mais cela se révéla un piètre rempart contre l’obstination d’Arnaud et sa cruauté. Jamais il ne l’avait frappée aussi fort, aussi longtemps et avec autant d’application.

Soudain, alors qu’elle se tournait sous la violence d’un coup plus fort qu’un autre, elle en reçu un dans le bas ventre qui lui coupa le souffle. Pendant un instant, elle crut que sa dernière heure était arrivée tellement la douleur fut atroce.

Comme s’il avait compris qu’il avait atteint la limite à ne pas franchir, Arnaud cessa ses coups de pied et se planta devant elle, les bras croisés sur la poitrine, contemplant son œuvre avec un sourire mauvais au coin des lèvres.

Alis se tordait de souffrance en gémissant. Jamais elle n’avait ressenti une telle douleur dans son ventre. C’était comme si on enfonçait des aiguilles chauffées à blanc au plus profond de ses entrailles. Elle avait enfoui son visage dans son bliaud qui gisait sous elle, puisant un peu de réconfort dans son odeur familière. Elle ne comprenait pas comment cela se faisait qu’elle ait si mal. D’habitude, et même s’il ne l’avait jamais frappée aussi fort, elle ne sentait pas une telle douleur fluctuer, allant jusqu’à lui couper le souffle à un semblant de répit.

Soudain, la révélation de ce qui lui arrivait la frappa aussi sauvagement qu’une claque en pleine figure : elle était en train de perdre son enfant. Elle avait trop souvent entendu les femmes sur le point d’enfanter se plaindre de ce genre de douleur insoutenable pour ne pas en reconnaître les symptômes. À cette pensée, une formidable envie de vomir lui souleva l’estomac et lui fit monter les larmes aux yeux. Mais, n’ayant presque rien mangé de la journée, elle réussit à réprimer un second haut le cœur ainsi que le cri de rage qui l’étouffait depuis cette révélation. Un frisson d’impuissance autant que de froid la parcourut. La fraîcheur du sol s’insinuait dans sa chair à peine protégée par sa chainse et, instinctivement, elle chercha à s’envelopper dans son bliaud. Entre deux horribles contractions, elle s’en empara à tâtons mais faillit le lâcher après s’être encore piquée à l’aiguille toujours fichée dans la manche.

Un éclair de lucidité traversa alors son esprit embrumé par la douleur qui la tenaillait. Arnaud n’allait pas la laisser tranquille. Il avait décidé d’aller jusqu’au bout de son désir quel que soit l’état dans lequel elle se trouvait. Rien ne l’arrêterait.

Alis fit glisser discrètement l’aiguille fichée dans le tissu rêche dans le creux de sa main. Aussi dérisoire qu’elle semblait être, c’était la seule arme digne de ce nom qu’elle avait trouvée à sa portée. Bien lui en prit car elle sentit qu’on l’attrapait par les chevilles pour la retourner sur le dos et les lui écarter.

Trop affaiblie, elle ne chercha pas à se soustraire et se força à regarder droit dans les yeux son tortionnaire qui lui retroussa sa chainse sur le ventre avant de s’allonger pesamment sur elle.

- Dis-toi que j’arrive toujours à mes fins, ma belle. Et pas la peine de me regarder avec ces yeux noirs, tu l’as bien cherché, non ?

Alis se força à rester calme. La douleur dans son ventre se faisait moins intense et elle recommençait à y voir plus clair. Elle évaluait ses chances de réussite avec une effarante acuité compte tenu de la situation dans laquelle elle se trouvait.

Alors qu’Arnaud se préparait à la pénétrer de force, elle sentit comme une déchirure se produire dans son ventre et un liquide chaud et épais s’écouler de sa matrice.

- Qu’est-ce que… ? S’interrompit son époux en se relevant à moitié pour regarder ce qui se passait entre ses jambes.

- Oh ça, c’est juste ton enfant que tu viens de tuer, rétorqua la serve d’un ton léger quoique vaguement menaçant.

- Mais comment… ? Insista-t-il d’un ton incrédule en regardant à tour de rôle son épouse et la mare de sang qui s’étalait lentement sous lui.

Alis comprit que le moment était venu pour elle de riposter. Il fallait profiter de cet instant de flottement pour agir avant qu’il ne soit trop tard. Aussi, sans plus réfléchir, sa main fit un quart de cercle et vint planter adroitement l’aiguille dans l’œil d’Arnaud.

Elle fut un peu déçue de la facilité avec laquelle celle-ci pénétra dans le globe ahuri qui la dévisageait et crut un instant qu’elle avait raté son coup. Mais le hurlement de bête blessée qui éclata soudain dans la masure mit vite un terme à ses doutes.

Anéanti par la douleur qui lui vrillait l’œil et une bonne partie du crâne, Arnaud bascula sur le côté en se tenant le visage à deux mains. Ainsi dégagée, Alis se releva aussi vite que son état le permettait et regarda avec indifférence son époux se tortiller sur le sol. Il fallait en finir. Le plus tôt serait le mieux. Profiter de sa faiblesse. Elle était allée trop loin pour reculer maintenant. De toute façon, il n’existait pas d’échappatoire.

Sans tenir compte du sang qui dégoulinait le long de ses jambes, Alis se dirigea vers l’âtre et attrapa une grosse bûche. Elle la soupesa pour tester sa résistance et se tourna pour faire face à Arnaud.

Elle prit à peine le temps d’évaluer la portée de son geste avant d’armer son bras et de projeter le gourdin de toutes ses forces sur son crâne. Cela eut au moins pour effet immédiat de faire cesser ce cri inhumain qui commençait à lui taper sur les nerfs.

Alis ne chercha pas à savoir qui, de la bûche ou de la tête, avait provoqué un craquement sinistre et assena un deuxième coup sur la forme inerte qui gisait à ses pieds. Sans lâcher la bûche, elle alla ranimer le feu sur le point de s’éteindre, entassant assez de bois pour faire un beau brasier et retourna auprès de son époux inanimé.

La jeune serve inspira un grand coup pour se donner le courage de finir son travail. Elle se pencha et inséra ses mains sous les aisselles d’Arnaud avant de s’arc bouter pour le tirer. Elle se rendit vite compte qu’elle avait sous estimé son poids et dû s’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à le traîner jusqu’au bord de l’âtre.

À bout de souffle et de résistance, elle prit le temps de respirer calmement jusqu’à ce que les battements affolés de son cœur s’apaisent et que les étoiles disparaissent de ses yeux. Le fait de forcer lui faisait perdre beaucoup de sang et elle se sentait au bord de l’évanouissement. Mais il fallait qu’elle en finisse avant le retour de son beau-père. Elle s’occuperait d’elle plus tard.

Alis enjamba son époux et le saisit fermement au collet. Elle puisa toute la force dont elle était encore capable pour le soulever à demi et faire retomber le haut de son buste dans le brasier : nettoyer la vermine par le feu, rien de tel comme solution radicale !

Une gerbe d’étincelle auréola aussitôt la tête ensanglantée d’Arnaud et ses cheveux s’embrasèrent d’un coup, libérant une appétissante odeur de cochon grillé.

Alis détourna le regard au moment où elles s’attaquèrent au visage. Apparemment, Arnaud avait son compte : il n’avait même pas bougé sous la morsure du brasier.

Abandonnant sans aucun regret son mari derrière elle, Alis se dirigea d’un pas chancelant vers la porte. Au passage, elle s’empara de son bliaud et, sans même prendre le temps de l’enfiler, elle déverrouilla fébrilement le loquet. Ainsi libérée, elle se mit à courir dans la nuit noire comme si elle avait le diable à ses trousses.

Parvenue devant la masure de ses parents, Alis eut tout juste la force de cogner un grand coup contre la porte avant de s’effondrer sans connaissance. Elle avait épuisé la faible ressource encore disponible en elle et se laissait enfin aller en terrain sûr.

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