Chapitre 9 suite 3

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Ce fut Gui qui s’aperçut le premier de sa requête. Il s’arrêta dans son élan et haussa les sourcils en point d’interrogation en la regardant :

- Oui ? Une question peut-être ?

Alis avala sa salive et prit une brève inspiration avant de lancer d’une voix étrangement claire et assurée :

- Oui Monseigneur, j’ai une requête à vous faire. Je désire me porter volontaire en tant que guérisseuse.

Devant le sourire amusé de Gui et les ricanements méprisants qui s’élevèrent tant de la foule que des soldats, Alis, une lueur de défi au fond des yeux, ajouta :

- Vous êtes un fin stratège et pensez avant tout aux batailles, mais qui soignera les blessés ? Qui guérira vos maux ? Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas vous suivre ?

- Alis, tais-toi ! Grommela son père entre ses dents.

- Non je ne me tairai pas, insista Alis en fixant Gui, j’attends une réponse.

Le damoiseau jeta un bref coup d’œil à Aymeric qui lui aussi avait suspendu son geste et était resté sur sa monture pour mieux voir de quoi il retournait. Au sourire malicieux qui lui répondit, Gui sut aussitôt qu’il s’adressait à la "fameuse" serve. Il commençait à mieux comprendre ce qu’Aymeric lui trouvait, en dehors de sa beauté, bien sur. Il essaya de réprimer du mieux qu’il le pouvait le sourire qui déformait son visage et allait répondre lorsqu’une voix moqueuse s’éleva de l’assistance :

- Ils n’ont que faire d’une sorcière parmi eux !

Alis ignora la remarque de son beau-père et continua à fixer le fils du baron.

Gui se reprit et avec toute la diplomatie dont il était capable, il s’expliqua :

- Une troupe de soldat n’est pas un endroit pour une jeune et jolie femme respectable me semble une meilleure raison que celle avancée. Je ne vous cache pas que les seules femmes tolérées sont quelques épouses de hauts dignitaires et… bien entendu quelques ribaudes. Comme je ne pense pas que vous fassiez partie ni de l’une ni de l’autre de ces catégories, je me vois contraint de vous soumettre un refus.

- Pourquoi n’aurais-je pas la possibilité d’obtenir ma liberté moi aussi ?

- Eh bien… peut-être que votre époux ou quelqu’un de votre famille pourra l’acquérir pour vous.

Les mains sur les hanches et le regard de plus en plus noir, Alis toisa le baron et ne se laissa pas intimider par tous les regards fixés sur elle. Elle se retint à grand peine de lancer une remarque peu flatteuse sur Arnaud et préféra revenir à sa première requête :

- Et comment comptez-vous prendre soin de vos hommes ?

Gui échangea un autre regard avec Aymeric comme pour lui demander ce qu’il devait rajouter pour calmer cette furie, mais ne trouva qu’un sourire narquois. Se sentant pris en défaut, le damoiseau se tortilla sur son destrier avant de lancer d’une voix moins assurée :

- Je… j’avoue que je n’avais pas encore pensé à cela mais… si cela peut vous rassurer, sachez que je ne manquerai pas de m’entourer d’un des meilleurs mires de Séverac.

Voyant qu’elle n’aurait pas gain de cause et se demandant pourquoi elle insistait sachant la bataille perdue d’avance, Alis haussa dédaigneusement les épaules avant de détourner son regard.

- Après ce petit intermède, nous allons peut-être enfin pouvoir passer aux choses sérieuses ! S’exclama alors Aymeric en se dressant sur ses étriers pour amorcer sa descente de cheval.

Comme giflée à toute volée, Alis braqua son regard furibond sur le chevalier noir et s’aperçut trop tard qu’elle était tombée dans son piège. Il n’avait lancé cette pique que pour la provoquer et attirer son regard. En outre, elle faillit s’étrangler de rage lorsqu’il eut le culot de lui lancer un infime clin d’œil. Quand il s’y mettait, il avait vraiment le don de la faire sortir de ses gonds !

Pour son plus grand soulagement, une fois qu’il fut descendu de sa monture, la foule lui masqua fort à propos sa vision.

- Ne nous attardons pas là, lui intima soudain son père en lui prenant le coude. Tu as des façons de te faire remarquer qui vont finir pas nous attirer des ennuis.

- C’est toi qui me dis ça ? S’insurgea-t-elle en se dégageant de son emprise.

- Ton père a raison, renchérit Orianne, non seulement ton intervention était ridicule mais en plus inutile : tu savais d’avance la réponse, mais il a fallu que tu t’obstines.

- Si d’autres femmes s’étaient manifestées comme moi, peut-être notre voix aurait eu plus de poids.

- Tu sembles oublier un petit détail ma fille, rétorqua Orianne en regardant son ventre avec insistance.

- Oh ça, s’écria-t-elle avec une fausse légèreté, comme vous dites, ce n’est qu’un détail. Pour tout vous dire, je n’ai pas pu m’empêcher de provoquer notre nouveau baron. J’ai adoré le voir embarrassé, pas vous ? En tous cas, je le préfère à son père.

- Ne te fie pas à sa bonne mine. Tu sembles oublier que tu es une moins que rien pour lui et qu’il pourrait très bien te faire jeter en prison.

- Je ne vois pas ce…

Alis fut interrompue par une poigne de fer qui s’abattit soudain sur son bras. Absorbée par sa conversation avec sa mère, elle n’avait pas vu deux soldats du baron s’approcher. Bouche bée, elle fit volte face pour se retrouver nez à nez avec Jean, le guetteur à l’olifant et un autre à la mine patibulaire qu’elle connaissait de vue.

Son premier réflexe fut d’essayer de se dégager, mais cela eut pour effet contraire de faire raffermir sa prise au soldat.

- Mais lâchez-moi ! S’écria-t-elle enfin en retrouvant sa voix.

- Monseigneur Gui désire te parler, suis-nous sans faire d’histoire ou il t’en coûtera, lui rétorqua aussitôt Jean avec un sourire moqueur.

Voyant qu’elle ne s’en tirerait pas comme ça, Alis décida d’obtempérer mais se redressa crânement en jetant avec mépris :

- Alors emmenez-moi donc à lui puisque lui ne se donne pas la peine de venir à moi.

Les deux soldats entraînèrent Alis en direction de l’église sous le regard mesquin de certains villageois qui pensaient qu’elle l’avait bien cherché.

Ce ne fut pas le cas d’Orianne et Gauvin qui, se serrant l’un contre l’autre dans un réflexe protecteur et surtout impuissant, contemplèrent avec désespoir leur fille s’éloigner inexorablement vers son destin.

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