Chapitre 9 suite 1

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Thomas coincé en équilibre sur sa hanche et un énorme fagot de petit bois calé sous son autre bras, Alis s’engageait sur la place du village pour regagner sa masure, lorsque le bruit d’une cavalcade la fit soudain tressaillir. D’un coup de bassin, elle assura sa prise sur le nourrisson en le rehaussant, mais ne put empêcher quelques branchages de se répandre derrière elle.

Alis se retourna brièvement pour évaluer l’étendue des dégâts, mais d’un haussement d’épaules, décida de rentrer poser sa charge et rendre Thomas à Aline. Se remettant difficilement d’une toux caverneuse à laquelle était venue s’ajouter une forte fièvre, la jeune femme avait besoin de se reposer et c’est pour cela qu’Alis s’occupait de Thomas ces derniers temps. Celui-ci s’était habitué à cette seconde mère et ne poussait plus de hurlements en sa compagnie. En même temps, cela faisait un entraînement à la jeune serve qui, après bien des hésitations, avait décidé de garder son enfant en espérant secrètement que ce soit une fille pour pouvoir lui transmettre son savoir comme Orianne l’avait fait avec elle.

Encore trop furieuse contre lui mais aussi craignant sa réaction, Alis n’en avait encore rien dit à Arnaud et le lui cacherait jusqu’à ce qu’elle ne puisse faire autrement. Seules Aline, devenue son amie par la force des choses, et Orianne, qui l’avait décelé avant qu’elle ne le lui dise, étaient dans la confidence.

Le bruit s’intensifiant jusqu’à devenir menaçant, Alis hésita avant de passer la porte et tordit son cou pour tenter d’apercevoir les intrus. Elle n’était pas la seule à faire preuve de curiosité : d’autres villageois étaient sortis sur le pas de leur porte pour évaluer le danger potentiel. Bon nombre avait entendu parler de ces hordes barbares menées par des chevaliers sans scrupule qui pillaient et détruisaient tout sur leur passage.

Alis aperçut d’abord l’étendard de Séverac flottant langoureusement dans le vent glacial de cette fin de matinée ensoleillée du mois de mars. Cependant, son soulagement fut de courte durée lorsqu’elle découvrit que les deux cavaliers de tête n’étaient autre que Gui de Séverac et… Aymeric.

Sans plus réfléchir, Alis s’engouffra dans la masure et referma vivement la porte derrière elle comme si elle avait le diable à ses trousses. Elle s’adossa au battant pour retrouver son souffle et calmer les battements affolés de son cœur. Heureusement, Arnaud et son père n’étaient pas dans les parages pour s’apercevoir de son trouble !

- Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu es toute pâle.

Se levant de sa couche où elle se reposait, Aline s’approcha et considéra Alis avec inquiétude. Devant son absence de réaction, elle s’empara de son fils, qui, associant sa mère au moment de manger, commençait à s’agiter en tendant les bras vers elle.

Face au visage encore hébété d’Alis, elle insista en haussant le ton :

- Je ne t’ai jamais vue comme ça Alis, réponds-moi, tu commences à me faire peur. Et puis, qu’est-ce que c’est que ce raffut à l’extérieur ? On dirait des chevaux.

- C’est… c’est Gui, le fils du seigneur de Séverac et… et sa troupe, bégaya enfin Alis en retrouvant l’usage de la parole.

Aline la regarda avec une grimace de commisération :

- Tu crois qu’ils viennent encore pour ton père ?

Comme piquée au vif, Alis retrouva soudain toute sa superbe avant de la foudroyer :

- Sûrement pas ! Il n’a rien fait de mal depuis son retour, que je sache.

- Alors pourquoi as-tu l’air aussi effrayée ? Rétorqua naïvement Aline en étouffant une quinte de toux. Ecoute ! On dirait qu’ils nous demandent de nous rassembler sur la place, ajouta-t-elle en posant la main sur la porte pour l’ouvrir. Tu viens ?

Alis se décolla du battant et éluda la question en allant déposer son fagot à côté de l’âtre.

- Es-tu sûre d’être en état de sortir ?

- Oh oui, grâce à tes bons soins, je me sens nettement mieux. Je n’ai plus de fièvre. Et puis, je commençais à en avoir assez de rester couchée. Allez, on y va ?

- Je te rejoins, répliqua Alis en rangeant un peu trop consciencieusement le tas de bois.

Elle entendit la porte se refermer en un claquement sec derrière Aline. Ayant fini d’arranger son fagot, elle se releva lentement et frotta ses mains soudain moites contre son bliaud. Des sentiments contradictoires agitaient ses pensées : d’un côté, elle brûlait de revoir Aymeric ; d’un autre, elle s’y refusait après l’intense déception qu’il lui avait fait subir.

Elle entendait l’olifant qui appelait tous les villageois à se rassembler, mais ses jambes refusaient de l’emmener. Allait-il la considérer de son éternel sourire narquois ou faire semblant de ne pas la reconnaître ? Laquelle de ces deux possibilités préférait-elle ?

Aurait-elle la force de l’ignorer comme elle se l’était promis maintes fois si une telle situation se produisait ? Rien n’était moins sûr.

Alis aspira une grande goulée d’air pour essayer de chasser la boule qui lui tordait l’estomac. Elle passa une main nerveuse dans ses cheveux pour leur donner un semblant d’ordre et se dirigea d’un pas hésitant vers la porte. Avant de l’ouvrir, elle se força à prendre une deuxième inspiration pour se donner du courage : elle s’était rarement sentie aussi nerveuse et stupide. Elle se serait giflée pour se montrer autant affectée par sa présence.

Soudain, alors qu’elle allait ouvrir la porte, un voile de colère assombrit son regard et lui fouetta le sang : qu’est-ce qu’il lui prenait de réagir comme une écervelée ?

Elle surmontait tant bien que mal son union avec Arnaud, résistant vaille que vaille contre ses assauts brutaux et sa maltraitance. Encore trop fraîche pour être complètement cicatrisée, sa blessure lui rappelait, par ses perpétuels élancements, qu’elle était encore vivante et qu’elle ne le devait qu’à elle-même.

En tout cas, elle avait au moins gagné une certaine tranquillité : depuis son méprisable forfait un peu plus de deux semaines plus tôt, son époux n’avait pas porté une seule fois la main sur elle. Pourtant, elle ne s’était pas adoucie ni abaissée à rentrer dans le moule de l’épouse parfaite, bien au contraire. Elle continuait à le défier du regard comme dans les paroles, mais elle avait l’impression qu’Arnaud la considérait différemment. Elle n’aurait pas été jusqu’à dire qu’il la respectait, non, cependant, dans ses yeux, on lisait une certaine crainte comme une expectative de ce que pourraient être ses réactions. Et Alis aimait ça, elle adorait cette petite sensation de pouvoir qu’elle détenait sur lui.

- Et c’est pour ça que je sortirai de cette masure la tête haute, décida-t-elle en ouvrant la porte devant la sonnerie insistante de l’olifant.

Un sourire fier et satisfait au coin des lèvres, Alis se dirigea d’un pas de souveraine vers la masse agglutinée des villageois sur la petite place de Sermelle.

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