Chapitre 9

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Alors qu’ils allaient bientôt atteindre Sermelle, Aymeric posa à Gui la question qui le taraudait depuis leur départ de Séverac :

- Vas-tu me dire à la fin pourquoi tu souris de la sorte ? Tu n’as pas desserré les lèvres de tout le trajet à part quelques grognements pour répondre à mes questions. On dirait… je ne sais pas moi, on dirait que tu as vu un ange !

Gui gloussa bêtement en entendant la comparaison et rougit comme une pivoine en détournant le regard au souvenir de sa soirée dans les bras de Catherine. Il ne savait pas comment amener le sujet à Aymeric qui veillait sur sa cousine comme sur la prunelle de ses yeux et craignait de subir son courroux.

- Alors ? Insista le chevalier avec impatience. Je croyais que l’on pouvait tout se dire !

Devant le mutisme obstiné du damoiseau, Aymeric haussa les épaules et retourna à ses méditations. Il n’arrêtait pas de passer en revue ce qu’il dirait à Alis, de comment il l’aborderait en espérant qu’elle ne refuserait pas tout contact avec lui. Soit, il avait le pouvoir de la contraindre à l’écouter, mais espérait ne pas arriver à de telles extrémités : cela ne le ferait pas remonter dans son estime ! Il pourrait toujours commencer par lui parler de Catherine qui lui avait confié pour mission de lui ramener un « remède de femme ». Il avait eu beau l’interroger sur ce que c’était, sa cousine avait refusé de lui répondre, prétextant que, comme son nom l’indiquait, ce remède ne concernait que les femmes et qu’il ne pourrait pas comprendre.

Aymeric espérait juste que Catherine ne lui cachait pas quelque maladie ou…

Soudain, une intuition le fit encore se tourner vers Gui pour le questionner à nouveau :

- Dis donc, me cacherais-tu quelque chose sur Catherine par hasard ? Quand j’y repense, elle avait l’air trèèès câline avec toi ce matin. Seriez-vous… ?

Il préféra ne pas mettre de mot sur ce qu’il soupçonnait et laisser ce soin au damoiseau.

Soulagé que ce soit Aymeric qui aborde le sujet, Gui se contenta de hocher piteusement la tête avant de la baisser pour échapper au regard inquisiteur.

- Et si tu me précisais un petit peu pour que je me fasse une idée. Avez-vous… ?

Crevant l’abcès une bonne fois pour toute, Gui lâcha d’un seul trait :

- Oui, nous sommes amants depuis hier soir. Mais… ce n’est pas ce que tu crois. Je l’aime et elle aussi. Ce n’est pas juste une aventure d’un soir. Tu me connais, je ne suis pas ce genre de personnage. C’est la femme de ma vie, Aymeric. Cela fait assez longtemps que je m’en suis rendu compte, mais hier soir… ce fut comme une révélation. Je suis fol amoureux d’elle et j’ai envie de le crier au monde entier !

Devant l’absence de réaction d’Aymeric, Gui insista d’une petite voix :

- Tu ne m’en veux pas, dis ? Je sais que j’aurais dû te le dire plus tôt mais… ce n’est jamais facile de parler de ces choses là, n’est-ce pas ?

- Hum.

Inquiet par le grognement peu amène qui lui répondit, Gui appuya :

- Dis quelque chose, ce n’est pas facile pour toi, je le sais : tu la protèges comme ta sœur, mais tu sais très bien que je ne lui ferai jamais de mal et que…

- Et lorsque tu partiras ? Et lorsque tu devras épouser une femme de ton rang ? Tu y as pensé ? L’interrompit brutalement Aymeric d’un ton de colère contenue.

Gui le dévisagea d’un air interloqué :

- Mais… mais elle attendra mon retour, comme les autres épouses de chevalier. Et puis, il n’est pas question pour moi d’épouser une femme qui me serait désignée : je ne le supporterais pas.

- Réfléchis un peu Gui, essaye de voir plus loin que le bout de ton nez. Tu n’auras pas le choix : ton rang t’impose d’avoir une épouse issue du même monde que toi.

- Et Ermessinde ? Elle a bien réussi à t’avoir !

- Justement, ton père a déjà cédé une fois, mais il ne se laissera pas faire une autre, crois-moi.

Gui se tut un instant avant de rétorquer sombrement :

- Malheureusement, je ne pense pas qu’il soit en état de planifier cela. Notre départ approche à grand pas. Il n’aura ni le temps ni la force d’organiser des épousailles avant.

- À ta place, je n’en serais pas si sûr.

Comme mordu par la lanière d’un fouet, Gui se tourna brusquement vers son beau-frère et demanda avec anxiété :

- Saurais-tu quelque chose que j’ignore ?

Conscient de s’être laissé emporter et d’en avoir trop dit, Aymeric se contenta de hausser les épaules en espérant, sans trop y croire, que le damoiseau n’insisterait pas. Il se sentait partagé entre la promesse faite à Déodat de Séverac de ne rien révéler et son amitié envers Gui.

Celui-ci rapprocha sa monture de Satan et agrippa fébrilement le bras d’Aymeric :

- Je t’en supplie, dis-moi. Je me doute que tu as dû promettre le silence à mon père, mais je ferai comme si je ne savais rien, je te le jure !

Le chevalier ignora la supplique et scruta les alentours. Un fin sourire étira ses lèvres lorsqu’il reconnut les abords du village. Ils avaient délaissé le couvert de la forêt de Mortecombe et avançaient maintenant en terrain dégagé d’où ils pouvaient apercevoir la palissade et les premières masures par la porte grande ouverte.

Aymeric se tourna alors vers Gui et, dans un sourire éblouissant, lui murmura avec satisfaction :

- Je suis désolé mon cher Gui, mais nous allons devoir laisser là notre conversation : nous sommes arrivés.

Devant la moue dépitée du damoiseau, il ajouta en riant :

- Mais ne t’inquiète pas, je te promets de tout te dire pendant notre trajet de retour.

Gui grommela un « j’y compte bien » tout en étudiant la brusque transformation de son acolyte : il était bien rare de lui voir une mine aussi réjouie. En fait, depuis leur sérieuse discussion dans les cuisines de Séverac où il lui avait fait prendre conscience de sa « mauvaise » conduite envers Ermessinde, le comportement d’Aymeric avait changé. Il faisait des efforts louables envers son épouse et son humeur s’était considérablement radoucie.

Etant lui-même amoureux fou, Gui comprenait mieux maintenant le pourquoi de ce soudain revirement : le simple fait de savoir qu’il allait enfin avoir la possibilité de revoir sa serve avait complètement métamorphosé Aymeric.

Gui eut un pincement au cœur en réalisant quelle avait dû être sa détresse d’être obligé de se séparer d’Alis et espérait que cette excursion l’aiderait à trouver la réponse à ses questions pour pouvoir à nouveau se sentir en paix avec lui-même. Mais plus que tout, il priait pour que ce changement dure afin de ne plus jamais revoir « le chevalier noir et sans merci » !

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