Chapitre 7 suite 3

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Arnaud devait bien se l’avouer : sa femme lui faisait de plus en plus peur. C’était pour cela, entre autre, qu’il la battait, qu’il l’humiliait : il voulait garder tout pouvoir sur elle. Malgré cela, c’était le contraire qui se passait : Alis s’éloignait de plus en plus de lui. Dans son regard, il lisait toute sa haine et son mépris et cela ne faisait qu’aviver sa colère et son désir de la soumettre de gré ou de force.

De son côté, Aline s’était recroquevillée sur sa couche, les mains sur les oreilles pour se soustraire à ce terrible cri assourdissant qui la terrorisait. Elle psalmodiait des prières sans discontinuer pour tenter de conjurer le mauvais sort qui était en train de s’abattre sur son foyer. Comme elle aurait aimé pouvoir se réfugier chez le chanoine Clotaire : il aurait su quoi faire, lui, pour faire cesser ce vacarme digne de l’enfer !

Soudain, Alis arrêta aussi brusquement qu’elle avait commencé et le silence qui s’ensuivit fut tout aussi terrifiant que son cri. C’était bien la première fois qu’elle se laissait aller de la sorte. En fait, c’était un peu comme si une puissance étrangère s’était emparée de ses sens et l’avait aidée à exorciser sa souffrance. D’ailleurs, à part l’horrible douleur qu’elle ressentait dans son épaule et le long de son bras, une étrange sérénité l’avait envahie et presque libérée. Si elle décidait de le garder en elle - car elle connaissait aussi le moyen de s’en débarrasser avant sa naissance - cet enfant serait le sien avant d’être celui d’Arnaud. En attendant de prendre sa décision sur le devenir de ce morceau d’elle, Alis devait cacher son état le plus longtemps possible. Les réactions de son époux étaient tellement imprévisibles et violentes ! Mais surtout, quelle jubilation de détenir un tel secret à son nez et à sa barbe !

D'ailleurs, lorsqu’elle reporta son regard sur Arnaud et son visage effaré, c’est avec un sourire de commisération qu’elle le considéra avant de se relever. Ignorant superbement les deux hommes, Alis se rapprocha de la pauvre Aline toujours recroquevillée sur elle-même et s’assit à ses côtés. Elle passa son bras valide autour de ses épaules et essuya les larmes qui maculaient son visage comme celle-ci l’avait fait pour elle.

- C’est fini, ma belle, c’est fini, lui chuchota-t-elle à l’oreille. Ne pleure plus, ils n’en valent pas la peine.

Aline releva la tête et hoqueta piteusement :

- J’aurais tellement voulu faire quelque chose… l’arrêter… mais…

- Oui, je sais, ne t’en fais pas. Ce n’est pas de ta faute. Mais tu sais, je vais te faire une confidence : leurs mauvais traitements me rendent plus forte… et ça, je crois qu’ils viennent juste de le comprendre.

Aline regarda le visage étrangement calme d’Alis et eut un mouvement de recul. C’est vrai qu’elle avait changé : ses yeux, déjà d’un noir profond, semblaient s’ouvrir sur un monde de ténèbre, ou plutôt… sur l’enfer, réalisa-t-elle avec effroi.

Rompant le charme, Alis grimaça un pauvre sourire qui la fit paraître à nouveau humaine et lui confia :

- Je vais avoir besoin de ton aide, Aline. Je ne pourrai pas me soigner seule. Tu seras mes yeux et je guiderai ta main. Dis moi l’aspect que ça a.

Devant son regard affolé et dégoûté, Alis la rassura :

- Tu y arriveras, ce n’est pas sorcier. C’est juste un onguent à appliquer pour éviter l’infection. En plus d’avoir perdu mon honneur, je n’aimerais pas perdre mon bras.

Cette dernière phrase était dite sur le ton de la boutade, mais Aline saisit toute l’amertume qu’elle sous-entendait. Cela la rassura et lui fit presque oublier la terreur qu’elle avait ressentie durant la « transformation » d’Alis.

- Je… j’essaierai de t’aider du mieux que je pourrai… mais…

- Je vais tout t’expliquer, souffla Alis en déballant d’un geste maladroit son nécessaire des premiers secours sur la couche entre elles deux.

- Je t’ai déjà dit que je ne voulais pas voir ton attirail chez moi, espèce de sorcière ! Rugit soudain Josselin en s’approchant des deux femmes.

- Tu préfères peut-être que j’aille montrer ça à ma mère ? Rétorqua Alis en usant du tutoiement pour mieux marquer son mépris vis-à-vis du vieil homme. Comment crois-tu qu’elle réagira en apprenant les mauvais traitements de ton fils ? Je ne donne pas cher de votre peau à tous les deux si mon père vient aussi à le savoir.

- Tu ne leur appartiens plus, tu es à nous et Arnaud a tous les droits, je te signale !

- Peut-être, mais un accident est si vite arrivé.

Josselin se rapprocha et pointa un doigt menaçant dans sa direction :

- Toi aussi, tu peux très bien avoir un accident !

Alis ne se départit pas de son sourire et farfouilla de sa main indemne au milieu des sachets étalés sur la couche. Lorsqu’elle la brandit sous le nez de son beau-père, celui-ci fut ébloui par l’éclat métallique que les flammes de l’âtre répercutèrent dans la pièce.

Quand ses yeux saisirent la forme de l’objet, il eut un mouvement de recul involontaire, mais se reprit bien vite et ricana :

- Si tu crois me faire peur avec ce petit couteau !

- Il est peut-être petit mais peut faire pas mal de dégâts. Tu veux essayer ? Répliqua Alis en accentuant son sourire.

Un instant sans voix devant tant de culot, Josselin se reprit et se tourna vers son fils :

- Et toi, tu pourrais peut-être intervenir ? Tu as vu comment elle ose me parler ?

Arnaud regarda son père rouge de colère et pivota vers Alis qui brandissait encore son couteau devant son nez. Même accablée de douleur, le visage ravagé de larmes et de terre, elle trouvait le moyen d’être sublime ! Elle le rendait fou de désir. Il n’avait jamais possédé une femme qui le mette dans un tel état. Il devait se contrôler en permanence pour ne pas laisser voir ses sentiments. Pourquoi n’éprouvait-elle pas la même attirance ? Tout aurait été si simple !

Un intense sentiment de lassitude l’envahit devant l’air décidé et menaçant d’Alis. N’en aurait-il donc jamais fini avec elle ? Cette confrontation l’avait fatigué autant moralement que physiquement et il ne se sentait pas de recommencer.

- Laisse-la, finit-il par lâcher, elle a eu son compte.

- Mais… commença Josselin avant d’être interrompu par Arnaud.

- C’est mon épouse, c’est moi qui décide si c’est assez ou pas ! C’est clair ?

Alis laissa son couteau, qui lui servait d’habitude pour couper les racines de ses plantes médicinales, encore suspendu dans les airs jusqu’à ce que son beau-père s’éloigne en maugréant. Elle se tourna alors vers Arnaud et l’affronta de son regard de louve jusqu’à ce qu’il baisse enfin les yeux d’un air gêné plus que las.

Gonflée à bloc par la nouvelle force qu’elle sentait germer en elle et malgré le supplice subit, Alis eut l’étrange impression de sortir victorieuse de cet affrontement : Arnaud avait peut-être gagné la première manche de cette bataille, mais il n’était pas dit qu’il gagnerait la guerre !

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