Chapitre 7 suite 2

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Aline avait cessé de crier en constatant qu’Arnaud avait obéi à son ordre mais Thomas, complètement affolé, hurlait de plus belle et s’agitait en tous sens au creux de ses bras. Révoltée par l’attitude indifférente des deux hommes, elle rajusta son corsage et contourna la table pour se planter devant Arnaud :

- Tiens, cracha-t-elle en mettant son fils dans ses bras, puisque c’est à cause de toi qu’il est dans cet état, essaie donc de le calmer, ça t’occupera et t’empêchera de commettre d’autres cruautés ! Tu me dégoûtes : tu ne vaux pas mieux que ton père !

Et sans attendre de réponse, Aline se détourna et alla s’accroupir au chevet d’Alis qui restait inerte. Seul un gémissement sourd, continu, témoignait de sa semi conscience. Les larmes aux yeux, la jeune femme n’osait pas regarder la plaie et essaya de dégager son visage d’un amas de cheveux emmêlés. De ses doigts tremblants, elle essuya maladroitement les joues maculées de poussière et de larmes mélangées tout en psalmodiant des paroles rassurantes :

- Là, c’est fini. C’est fini. Ça va aller maintenant, ne t’inquiète pas. Je vais m’occuper de toi, n’aie pas peur.

- Laisse-la donc, elle n’a que ce qu’elle mérite ! Viens plutôt t’occuper de ton fils, railla méchamment Josselin toujours assis en bout de table.

Aline jeta sur son époux un regard furieux où se lisait toute la haine accumulée :

- Je la laisserai lorsque j’en aurai fini avec elle et pas avant ! Quant à mon fils, vous avez raison, trancha-t-elle en se relevant et en allant le chercher dans les bras d’un Arnaud désemparé devant les cris de plus en plus insistants de son demi-frère, je ne l’abandonnerai pas un instant de plus dans les bras de ce monstre !

Josselin n’en croyait pas ses oreilles : c’était bien la première fois qu’il voyait son épouse dans une telle colère. Il la regarda fixement aller et venir dans la minuscule pièce, Thomas dans les bras, chantonnant une berceuse.

- Comment ose-t-elle me parler de la sorte ? Rumina-t-il avec un regard mauvais. C’est sûrement la mauvaise influence de cette chienne d’Alis : il n’est pas bon qu’elles soient trop proches toutes les deux. Mais elle ne perd rien pour attendre et n’échappera pas à une bonne correction elle aussi et le plus tôt sera le mieux !

Ne parvenant pas à le calmer, Aline replaça son fils au sein tout en continuant de marcher de long en large. De temps en temps, elle regardait avec pitié la silhouette inerte d’Alis. Lorsque Thomas fut repu et apaisé, elle le posa dans son berceau en réfléchissant qu’elle s’occuperait de le changer plus tard, quand elle en aurait fini avec la pauvre Alis.

Perdue dans ses préoccupations, elle se redressa et fit volte face pour se retrouver nez à nez avec Josselin qu’elle n’avait pas entendu approcher. Avant qu’elle puisse dire quoi que ce soit, Aline reçut une violente gifle qui l’envoya valdinguer sur sa paillasse.

- La prochaine fois que tu t’adresseras à moi sur ce ton, il t’en coûtera beaucoup plus cher que ça, souviens t’en !

Sans plus se soucier de son épouse prostrée sur sa couche, Josselin se détourna et jeta un regard haineux sur le corps d’Alis :

- Et toi, dégage de là, tu gênes le passage, ajouta-t-il en lui décochant un méchant coup de pied dans les côtes.

Alis poussa un gémissement étouffé et se recroquevilla dans un piètre geste de défense. Une formidable nausée secoua sa carcasse amaigrie, mais son ventre vide refusa de refouler quoi que ce soit et un goût amer de bile emplit sa bouche.

- Il faut que je bouge, réalisa-t-elle soudain dans un sursaut de lucidité. Il faut que je me relève… que je lui montre… qu’on ne peut pas m’abattre comme ça.

Alis voulut bouger son bras meurtri et le ramener sous elle pour se lever, mais la douleur fut tellement insupportable, lui irradiant tout le membre, qu’elle ne put esquisser le moindre mouvement. Cependant, mue par une volonté de fer face à cette injustice, elle se força à serrer les dents et s’appuya comme elle put sur son autre main. Ainsi, après un effort qui lui sembla surhumain, elle parvint à se mettre à quatre pattes.

Sentant sa tête tourner et une nouvelle vague de nausée l’envahir, Alis reprit son souffle pour calmer les battements désordonnés de son cœur. Elle ravala en grimaçant le nouveau flot de bile qui lui piquait la langue et, prenant sur elle, réussit à se redresser pour s’asseoir sur ses talons.

Noyés dans son visage maculé de poussière sur lequel les larmes avaient creusé de sombres sillons comme dans un champ en friche, ses yeux hagards firent lentement le tour de la pièce, effleurèrent de leur mépris muet les deux hommes qui la fixaient d’un air satisfait et ironique avant de s’arrêter sur le visage défait et rougi d’Aline qui pleurait en la regardant avec désespoir.

Alis eut un pauvre sourire rassurant et empli de gratitude envers la jeune femme. Elle se rappelait l’avoir entendue crier pour que cela s’arrête. De plus, jamais elle n’oublierait ses caresses sur sa joue ni le bruit agressif de la gifle qui résonnait encore dans la triste masure. Malgré les risques qu’elle encourrait, Aline avait pris sa défense, elle s’était opposée à Arnaud et à son époux : cela voulait-il dire qu’elle s’était enfin trouvée une alliée ? Peut-être même une amie ?

Les pensées tourbillonnaient dans sa tête en ébullition et son regard se tourna vers l’âtre qui, l’instant d’avant avait été son pire ennemi : comment devait-elle réagir ? Elle n’avait qu’une envie : se lever et lacérer de ses griffes le visage d’Arnaud, le torturer à mort et, avant de l’achever, lui arracher son sexe pour le lui fourrer dans la bouche. Ce qu’il lui avait fait ne méritait aucune pitié, aucun pardon.

- J’aurai ma vengeance, décida-t-elle toujours hypnotisée par les hautes flammes. Peut-être pas maintenant mais un jour… quand j’aurai récupéré des forces… au moment où il s’y attendra le moins… je lui ferai sa fête et je danserai ensuite sur sa dépouille encore fumante.

Mais pour l’instant, Alis se sentait trop faible, trop fatiguée pour lutter. Elle tourna son regard halluciné vers les deux hommes et les fixa de ses yeux de louve en colère.

Soudain, une révélation vint la frapper de plein fouet et elle fut comme assommée par une massue : elle venait de comprendre d’où venaient cette fatigue qu’elle ressentait depuis quelques temps, et ces nausées… Ce n’était pas que la faim !

- Oh mon Dieu, non, faites que je me trompe !

Mais au fond d’elle, Alis savait que cela ne pouvait être que ça : elle n’avait pas eu ses menstrues depuis bientôt deux lunes. Elle attendait un enfant. L’enfant d’Arnaud !

Des larmes de rage montèrent à ses yeux de s’être montrée aussi naïve et aussi négligente. Dire qu’elle connaissait les plantes pour s’en prémunir ! Ce n’était guère digne d’une bonne guérisseuse de se faire avoir de la sorte. Mais aussi, comment aurait-elle pu imaginer porter un jour le fruit issu de cette mésalliance ? Cette union était une telle erreur, une telle aberration !

Toute cette malchance, conditionnée par tant de mauvais choix, était tellement pitoyable que cela en devenait risible.

Aussi, au milieu de ses larmes, un sourire affleura à ses lèvres, se transforma en un petit rire sournois pour bientôt exploser et se répercuter sur les murs de la bicoque. Jamais elle n’avait ri autant ni aussi fort. Malheureusement, ce n’était guère de gaieté ou de contentement, cela ressemblait plus à un éclat sardonique, démoniaque et glaçant. D’ailleurs, Arnaud et Josselin durent le ressentir de même car ils échangèrent un regard inquiet avant de reporter leur attention sur Alis et sa crise d’hystérie.

- Tu vas la boucler, oui ! Hurla Arnaud de plus en plus mal à l’aise. Si ça t’a plu tant que ça, je peux toujours recommencer !

- Je t’avais bien dit que c’était une sorcière, s’écria Josselin avec effroi en se levant à moitié comme pour se préparer à fuir, tu n’aurais jamais dû l’emmener chez nous. On… on dirait qu’elle va se transformer en louve, regarde !

Arnaud observa son épouse, toujours assise sur ses talons, la tête maintenant penchée en arrière et dont le rire s’était transformé en une longue plainte qu’elle lançait au ciel. Un frisson d’appréhension secoua son échine, Josselin avait raison, tout dans son attitude rappelait l’animal sauvage et indomptable !

Et s’il s’était trompé ? Et s’il ne parvenait jamais à la maîtriser ?

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