Chapitre 4 suite 2

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Savourant le souffle chaud d’Aymeric dans son cou, mais étouffant sous son poids, Gerberge se redressa autant qu’elle le pouvait pour le faire rouler sur le côté. Reprenant ses esprits, elle enleva le morceau de tissu qui encombrait encore sa bouche et recracha quelques charpies collées sur sa langue.

Soudain prise d’un doute affreux, elle se redressa brutalement et le regarda d’un air indigné. Content de sa surprise, Aymeric arborait son fameux sourire narquois que les femmes détestaient, mais auquel elles ne pouvaient résister.

Gerberge passa sa main entre ses jambes et, la retirant toute poisseuse, eut la confirmation de son doute : il l’avait bel et bien prise à son propre piège !

- Pourquoi as-tu fait ça ? Je t’avais pourtant dit que je ne voulais pas d’enfant !

Sans cesser de la fixer, Aymeric se redressa et rajusta ses vêtements.

- Tu as eu ton content de plaisir, il me semble. Je trouve donc normal que ton époux y trouve son compte lui aussi.

Gerberge se retint de peu de le gifler.

- Tu n’as rien compris ! Crois-tu vraiment que je vais rester sagement dans mon donjon lugubre de Millau, à me morfondre en attendant votre retour ?

Aymeric eut un instant d’hésitation et la regarda avec étonnement :

- Mais… tu ne penses tout de même pas t’engager dans cette croisade ? Ce sera trop dangereux ! Cela n’a rien à voir avec un voyage d’agrément pour rejoindre Clermont.

La vicomtesse se releva avec superbe en tirant sur son bliaud pour le remettre en place. Elle toisa Aymeric de son air supérieur et lâcha froidement :

- Vous pourrez bien dire ce que vous voudrez, toi et Gilbert, mais il n’est pas question que je vous laisse partir sans moi.

- Et ta fille ? Rétorqua Aymeric à bout d’argument. Tu ne vas pas l’entraîner dans cette croisade, j’espère.

- Et pourquoi pas ? Elle aura six ans et sera tout à fait capable d’endurer un tel voyage.

Tout en passant ses doigts dans ses cheveux pour leur redonner un semblant d’ordre, il secoua la tête en haussant les épaules d’un air désespéré avant de lâcher :

- Tu es complètement folle.

Piquée au vif par la remarque, Gerberge lui attrapa le bras avant qu’il ne fasse demi-tour et le regarda en face :

- Oui je suis folle, mais pas au sens où tu l’entends.

- Parle moins fort, on va finir pas nous surprendre. Et puis, que veux-tu dire par là ?

Devant le regard glacial que lui lança Aymeric, la vicomtesse sentit une boule d’angoisse envahir sa gorge. Elle allait partir. Elle ne pouvait plus se taire : il fallait qu’il sache. Il fallait qu’elle sache aussi. Elle n’arrivait pas à maintenir son regard dans le sien mais se força à le regarder même lorsqu’elle sentit les larmes envahir ses yeux.

- Je… c’est toi qui me rends folle, Aymeric.

Comme le chevalier n’avait pas l’air de comprendre, elle s’enhardit :

- Depuis le premier jour où je t’ai vu, j’ai su que tu n’étais pas comme les autres. Et lorsqu’on s’est connu plus intimement, j’ai tout de suite compris que j’avais trouvé mon maître. J’étais prête à tout pour toi, même lorsque tu m’as repoussée. Je te l’ai prouvé avec Roger de La Canourgue. Tu ne peux pas savoir à quel point tu m’as manqué pendant ces six longs mois. J’ai bien cru devenir folle, oui ! Heureusement, mes prières ont été exaucées quand vous êtes apparus sur la route de Clermont. Il n’a pas été très difficile de relancer une ancienne dispute avec Gilbert au sujet de ce fameux héritier qu’il veut à tout prix, comme il n’a pas été très difficile de te désigner comme étalon.

Alors qu’Aymeric essayait de se dégager de son emprise avec effarement, Gerberge s’agrippa à son bliaud et les larmes qu’elle retenait depuis le début débordèrent soudain de ses beaux yeux noirs.

- Je t’aime, Aymeric. Tu ne t’en étais pas aperçu ? Je ferais tout pour toi, tout pour être près de toi. Même si pour cela je dois aller à l’autre bout du monde. Et ne me ressert pas le couplet sur ta fidélité envers mon époux ou Ermessinde : je sais que tu la détestes. Je ne sais pas pourquoi et je m’en fiche du moment où tu la hais.

Dérouté par cette crise, Aymeric tenta d’essuyer ses larmes en marmonnant :

- Ne pleure pas, ma belle. Tout le monde va s’en apercevoir. Que vont-ils penser ? Tu es vicomtesse, Gerberge, ne l’oublie pas.

- Arrête de me le rappeler à tout bout de champ ! J’en ai plus qu’assez de tout cela ! Si c’était possible, je donnerais ma fortune, mon rang, oui tout ce que je possède pour pouvoir vivre auprès de toi.

Gerberge enfouit sa tête contre son torse et abandonna son ton de souveraine pour adopter un murmure de petite fille pleine d’espoir :

- Et toi ? Tu ne donnerais pas tout ce que tu possèdes pour m’avoir auprès de toi ?

Un silence pesant répondit à sa supplique. Aymeric ne savait quoi répondre pour ne pas la blesser. De plus, cette scène n’était pas sans lui rappeler celle plus que pénible qu’il avait eue avec Ermessinde lorsqu’elle l’avait soumis à son horrible chantage pour se faire épouser. Il savait qu’il allait encore se faire une ennemie en la repoussant, mais ce genre de femme ne se contenterait pas de demi-mesure : ce serait tout ou rien. Il n’avait pas le choix.

Aymeric poussa un profond soupir et détacha doucement mais fermement les mains de la vicomtesse agrippées à son bliaud. Il plongea son regard bleu profond dans ses yeux larmoyants et essaya de la raisonner :

- Tu sais très bien que tout ce que tu me dis là est impossible à réaliser, Gerberge. Nous avons passé du bon temps ensemble et c’est tout ce que tu dois retenir de cette aventure. Il ne faut pas t’attacher à moi de la sorte, ce n’est pas raisonnable et n’est pas digne d’une femme aussi réfléchie que toi.

- Arrête de chercher à m’amadouer avec tes belles phrases ! Avoue que tu n’éprouves rien pour moi, que je suis juste une distraction pour te venger de ton épouse.

Gerberge avait retrouvé toute sa superbe et fulminait devant la mine embarrassée d’Aymeric. Elle avait le souffle court et sa poitrine se soulevait sporadiquement à chaque inspiration.

- Ce n’est pas ce que tu crois, tenta de raisonner le jeune chevalier. Je ne me suis jamais servi de toi : tu me plais beaucoup - quel homme dirait le contraire ! - mais… je n’éprouve pas les mêmes sentiments que toi.

- J’avais remarqué, lança-t-elle avec amertume.

Détournant les yeux de son regard condescendant, elle effaça brutalement toute trace de larmes, arrangea sa tenue et sa chevelure d’un geste précis avant de lancer :

- En tout cas, sache que cela ne change en rien mon intention de participer à cette croisade. Que cela plaise à mon époux ou non. Dis-toi le bien !

- Mais si jamais… ? Commença Aymeric en désignant son ventre d’un air entendu.

Gerberge suivit son geste du regard et émit un ricanement obscène :

- Ce ne sera pas la première fois, ni la dernière, que j’aurai recours à ma vieille guérisseuse et à ses remèdes pour faire passer ce genre de « problème » !

Aymeric en avait plus qu’assez de cette conversation sordide et était pressé d’en finir une bonne fois pour toutes. De plus, par son prétendu mal de tête, Gerberge avait suffisamment retardé leur départ pour Millau. Il prit donc les devants pour écourter leur discussion stérile :

- Je crois qu’il ne nous reste plus qu’à nous dire adieu, alors.

Le regard de Gerberge flamboya dangereusement et elle se rapprocha d’Aymeric. Avant qu’il n’ait le temps de réagir, elle se haussa sur la pointe des pieds et l’attrapa par le cou pour coller sa bouche sur la sienne en un baiser passionné, presque agressif.

Le premier instant de stupeur passé, Aymeric la repoussa.

- Ça suffit pour un adieu.

- Oh, mais ce n’était pas un adieu, Aymeric. Juste un au revoir, ne l’oublie pas ! Lança Gerberge en faisant demi-tour et en s’éloignant à grandes enjambées vers l’escalier.

Atterré par tant de suffisance, Aymeric la regarda s’éloigner. Il la savait suffisamment maligne et manipulatrice pour parvenir à ses fins et convaincre son époux de l’emmener dans ses bagages. Mais lui, qu’allait-il devenir dans cette épopée : serait-il encore le jouet de ce couple sans scrupules ?

Et puis quoi encore ! Il avait toujours eu un faible pour l’appel de la chair, mais cela lui avait procuré assez d’ennuis comme ça et il se fit la promesse de ne pas retomber sous la coupe de Gerberge quelles que soient les circonstances !

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