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  Au village de Croch’Plateau, les festivités de l’Entre-deux Lunes commençaient après le culte de Dunia, le dieu unique des hartlans, avant le grand repas de la mi-journée. A vrai dire, les réjouissances duraient toute la journée avec pour moment culminant l’éclipse nocturne de minuit. Les villageois profitaient pleinement d’un des deux seuls jours sans travail dû au royaume (l’autre étant le jour de la Lune Unique). Le matin, tous les habitants œuvraient à l’installation du mobilier extérieur du banquet au centre bourg ; tables, bancs, scène, tentes, rôtissoires à volailles, foyers surmontés de broches empalée des meilleurs cochons du comté, quatre tonneaux du meilleur vin de la saison, vaisselle, carafons. Au soleil à son zénith, tout le monde se rassemblait au cœur du village, s’installant autour de la vingtaine de tables. Croch’Plateau comptait à peu près trois cents âmes. Une petite estrade se dressait au centre de la place. Le bourgmestre Arlovin et ses conseillers dont Pol’Jow et le prêtre Alfo se présentèrent dessus. Au pied, attendaient Lee’Roy, encadré par ses sœurs gentiment moqueuses et sa mère, tendu et apeuré comme s’il était condamné au bucher. D’un coup de sa canne, Arlovin centra l’attention de la communité sur lui. Le silence se fit.

« Mes camarades, cette année encore vous êtes présents nombreux et en bonne santé pour le passage de l’Entre-deux Lunes. Comme nous l’avons fait ce matin avec notre prêtre Alfo, remercions encore Dunia pour cette saison d’été qui nous a apporté soleil, nourriture et paix. Le blé a été abondant, les vignes juteuses et nos élevages gras et nourriciers. Notre part au revenu du royaume a été largement accompli. Nous remercions notre bon roi Jowsen III de nous avoir octroyé une remise sur nos impôts dû à la qualité exceptionnelle des denrées fournies au château et au remplissage maximum des silos de grains pour l’hiver à venir. Dunia nous a protégé cette année encore des foudres de la nature ; tempêtes, inondations et gèles persistants…

Le bourgmestre tourna la tête légèrement vers le pied de l’estrade.

« Et quand exceptionnellement la nature place une embuche sur notre passage pour tester notre vaillance, Dunia a été suppléé par le plus courageux de ses enfants. En un instant déterminant, il est devenu le protecteur du royaume de Hartlan tout entier. Il a sauvé la vie de l’héritière des Jowan et rendu fier le petit peuple de Croch’Plateau. Il ne sera pas parmi nous ce soir pour l’éclipse mais cela pour une bonne raison. Le royaume de Hartlan, la famille royale des Jowan, la cité de Patalanne l’a invité pour lui rendre honneur à l’occasion du banquet de l’Entre-deux Lunes, et qui sait, sera-t-il inscrit sur la traditionnelle liste des prétendants de la princesse Syvannah.

Des rires bienveillants parcoururent l’assemblée. Pol’Jow passa un pousse sous sa paupière chassant une larme provoquée par son émotion et sa fierté.

« Je vous demande d’accueillir et d’acclamer notre petit prince de Croch’Plateau ; Lee’Roy Attila !

Tout le peuple du village rassemblé se leva et ovationna le jeune homme. La nouvelle de son exploit s’était diffusée dans les chaumières comme un éclair. Comme par miracle, tous les pères paysans ayant une fille en âge de s’accoupler avait été présenté à Lee’Roy et son père. Nul besoin, il côtoyait toutes ses filles à l’école ou à l’office. Mais il doit bien avouer que leur intérêt avait fortement évolué en positif. Il était loin ce temps où les gens le dévisageaient et l’observaient comme une bête curieuse, comme une anomalie humaine.

Lee’Roy engoncé dans ces nouveaux habits offerts par la princesse Syvannah, avec un sourire crispé et une raideur de déplacement inhabituelle, monta les cinq marches pour rejoindre le bourgmestre. A ces côtés, il salua fébrilement la foule.

« Qu’as-tu à dire Lee’Roy à notre communauté ?

— … Merci…

Un silence gênant s’installa que brisa rapidement son père.

« On applaudit mon fils Lee’Roy et souhaitons lui beaucoup de courage pour affronter ce monde inconnue pour lui et nous tous.

Pol’Jow souleva la main de son fils en signe de salut victorieux, ce qui fit remonter sa veste et sa chemise sortant de son pantalon. Lee’Roy força son père à baisser sa main en lui grognant dessus, remis sa chemise défroquée dans sa culotte et tira sa veste vers le bas. D’un dernier salut timide de la main, Lee’Roy s’échappa de la scène. Il priait pour que la même situation ne se reproduise pas au sein de la grande salle du trône du château des Immortels. L’embarras en serait décuplé et il n’assurait pas pouvoir rester conscient. Ce qui le motivait le plus dans cette corvée, était de revoir Rubby. Il retrouva les bisous baveux de ses sœurs et l’étreinte étouffante de sa mère. Au bord de l’évanouissement, il s’extirpa de la pression aimante familiale. Sans attendre la descente de son père, il rejoignit le carrosse qui lui avait été affrété. La porte s’ouvrit et apparut Rubby, la jeune femme de compagnie de la princesse Syvannah. Le visage de Lee’Roy s’illumina et il prit une grande bouffée d’air. Rubby lui tendit la main pour l’aider à prendre appui sur le marchepied.

« Monsieur, vous êtes bien élégant.

— Non sans mal madame. Malgré touts les efforts de mon père et mes sœurs à me défroquer par leur câlins collants, mon costume a résisté à leurs assauts.

Lee’Roy s’installa confortablement sur la banquette capitonnée au plus près de sa dulcinée. Il n’avait plus d’yeux que pour elle. Toute l’animation à l’extérieur en son honneur avait disparue. Le bruit de l’accrochage d’une poigne ferme à la portière le ramena à la réalité. Son père passa sa trogne par l’ouverture de la fenêtre non-vitrée.

« Père, mince, que fais-tu ? Ce ne sont pas des manières.

— Tais-toi et écoute-moi ! Fais très attention. Prend garde à présent à ton environnement. Quand tu auras passé les portes du château, tu pénètreras dans un univers qui t’est totalement nouveau. L’ouvrage de ses gens n’est pas le travail de la terre, l’élevage, la forge ou tout autre labeur manuel. Eux travaillent avec leur esprit, l’intelligence, l’apparence, la fourberie et tous autres techniques mentales. Tu n’es pas préparé à cela. Reste discret et ne joue pas avec eux sur leur terrain de prédilection. Jeune Rubby, vous qui avez un pied dans les deux mondes, je vous fais confiance pour aider mon fils à ne pas se perdre.

— Père…

— Ne vous en faite pas monsieur Attila, je lui suis entièrement dédiée.

— Merci jeune dame. Ramenez-le-moi entier ; physiquement et mentalement.

— Oui monsieur.

Rubby, entièrement dédiée à sa personne ! cette déclaration avait déjà éclipsé la présence et les paroles de son père. Il ne le voyait plus.

Le carrosse s’ébranla, quitta le village de paysans pour les grandes Portes de Patalane. Il parcourut le lieu qui le séparait par la voie bordant la falaise, par l’ouest. Il traversa le village de Portes de Patalane principalement habité par les soldats, et leur famille, de la garnison de la garde du pont reliant l’intérieur des terres au plateau volant de Patalane, ainsi que des artisans dont l’activité gravitait autour de l’armée (armuriers, forgerons, cuistots, prostituées, brasseurs, maçons, charpentiers, …). Après avoir montrée patte blanche aux abords du pont-levis et ses deux hautes tours qui en marquait l’entrée, le carrosse traversa le bras de mer sur le pont long de deux cents pas. Rubby admira l’air émerveillé de son hôte la tête sortie par la portière tel un chien de compagnie s’amusant de l’air sur sa truffe. Quinze ans sur les terres de Patalane à contempler le pont et la cité de Patalane du bord de sa falaise de Croch’Plateau, la joie de Lee’Roy d’y mettre les pieds pour la première fois de son existence transpirait par tous ses pores. Avec regret, Rubby tira Lee’Roy par le bas de sa veste pour le rassoir dans l’habitacle et interrompit son expectation.

« Lee’Roy, avant d’arriver à la cours, je dois vous faire part de l’agenda de l’après-midi et de la soirée.

Un Oui ahuri siffla entre les lèvres du jeune homme.

« Dans un instant, nous nous rendons à l’Académie Royale pour déjeuner au réfectoire avec les cadets de la garde royal et le prince Vyneprince.

— La princesse Syvannah ne sera pas parmi nous ?

— Non, la princesse sera occupée à ses préparatifs pour la soirée. Vyneprince tenait à vous accueillir en premier et qu’après votre collation, vous assistiez à leurs activités de mâles dominants, dit Rubby sur un ton grinçant.

Un frisson d’inquiétude parcourut l’échigne de Lee’Roy. Se retrouver au milieu d’une horde d’adolescents de la noblesse ne l’inspirait guère.

— Après si vous en sortez vivant…

— Merci pour vos encouragements.

— … Vous serez présenter au roi Jowsen III dans son bureau.

— Rien que ça…

— Il vous sermonnera surement sur l’attitude à avoir auprès de sa fille et sur votre comportement en société. Il réservera son merci royale à votre égard devant l’assemblée de ce soir.

Lee’Roy commençait à ressentir le tournis des obligations à venir. Le carrosse avait achevé sa traversée et arpentait à présent les allées de la capitale insulaire, longeait la Bibliothèque des Erudits Anciens.

« S’en suit le moment le plus apaisant pour vous je pense, la rencontre avec la princesse dans ses appartements où vous prendrez une boisson chaude et quelques biscuits. Et enfin, vous passerez le reste de votre temps avant le banquet avec moi et le personnel du château.

C’est ce moment avec vous qui sera le plus agréable pour moi, pensa Lee’Roy.

« La princesse Syvannah vous aurait bien gardé pour elle toute seule jusqu’au banquet, mais la reine n’était pas de cet avis. Elle ne voulait pas que l’on cancane sur son accaparement de votre personne, surtout auprès des prétendants et de leur famille de ce soir.

Tant mieux !

« Ah au fait, cela à porté à plaisanterie tout à l’heure au village, mais pour dissiper tous les doutes, vous n’êtes pas inscrit sur cette liste de prétendants.

Je n’en avais aucune envie. C’est avec vous que je voudrais être.

« Est-ce clair pour vous ?

Lee’Roy fixait d’un air crétin la jeune subordonnée.

« Lee’Roy ?

— Oui, oui, je crois… Vous serez à mes côtés lors du déjeuner avec le prince ?

— Oui, mais à distance. La présence d’une femme dans ses lieux n’est appréciée que derrière les fourneaux et au-dessus des latrines pour leur récurage.

— Il n’y a pas de femmes dans notre armée ?

— Oh oui ! elles ont des rôles militaires puissant mais assez obscures ; renseignement furtif, garde rapprochée de la reine, missions secrètes, éclaireurs, et il se dit aussi ; assassins sur demande royale.

— Après réflexion, je crois qu’elles me font encore plus peur.

— Vous êtes bien craintif pour le héros de sa princesse.

— Je suis un paysan !

Ses instructions, certes sorties de la voix suave de Rubby, avaient gâché quelque peu la visite accélérée de la cité suspendue. Le carrosse chemina devant l’Hospice des Miséricordieux, avant de faire un crochet pour déboucher devant les portes de l’Académie Royale.

Rubby indiqua la portière du carrosse de la main.

« A vous de jouer mon cher !

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